Moins de 10 euros par jour pour survivre : ce qui attend les allocataires du RSA en cas de sanctions

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La possibilité de nouvelles sanctions pour les allocataires du RSA, et la menace de les faire sombrer encore davantage dans la pauvreté, suscite la consternation. Associations et syndicats tentent de mobiliser « des deux côtés du guichet ».

par Nolwenn Weiler

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Contrôler et punir : voici comment le gouvernement conçoit l’accompagnement des 1,3 million de personnes qui perçoivent le revenu de solidarité active, le RSA. La récente révélation par le quotidien Le Monde des nouvelle sanctions prévues pour les allocataires du RSA a suscité la colère et la consternation parmi les associations qui accompagnent ces personnes en situation de précarité.

Le nouveau dispositif est le résultat de la loi pour le plein-emploi de décembre 2023, qui a réformé la RSA en rendant notamment automatique l’inscription des allocataires à France Travail et en instaurant une obligation d’au moins quinze heures d’activité par semaine. Avec les nouvelles sanctions, il s’agit de punir les personnes au RSA si elles ne respectent pas leur « contrat d’engagement » mis en place par le département et qui définit les obligations de l’allocataire.

« Les niveaux de sanctions annoncés vont de 30 % à 100 % de l’allocation suspendue ou supprimée, s’inquiète Sophie Rigard, chargée de plaidoyer au Secours catholique. Il va y avoir une aggravation de la pauvreté, avec des privations de chauffage et de nourriture, des impayés et des expulsions locatives. » Fin 2024, les foyers touchant le RSA recevaient en moyenne 557 euros par mois. Si on retire 30 %, on arrive à 290 euros, et avec 50 % de moins, il ne reste que 278 euros, soit moins de 10 euros par jour pour survivre.

« C’est la peur qui domine »

« Cette mesure est présentée par le gouvernement comme une sanction qui va mobiliser les allocataires du RSA, mais quand on discute avec les personnes concernées, c’est plutôt la peur qui domine », mentionne Geoffrey Renimel, délégué national de l’association ATD Quart monde. Les associations de terrain affirment que les gens auront tellement peur de se faire contrôler et de perdre des revenus, ou de devoir rembourser certaines sommes, qu’ils renonceront à demander leurs droits.

Dans les départements où l’obligation de prouver 15 heures d’activité a d’ores et déjà été imposée aux allocataires RSA, le non recours a augmenté de 10 % a documenté un rapport associatif publié en octobre 2024.

« Le gouvernement fait fi de nos expertises de terrain et de ce que dit la science, proteste Sophie Rigard. Plusieurs rapports ont documenté que les sanctions ne favorisent pas la reprise d’emploi. » Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, qui travaille en collaboration avec le Premier ministre, l’a aussi souligné en mars dernier : les sanctions peuvent déstabiliser les personnes en recherche d’emploi et accentuer leurs difficultés.

Recours difficiles et contrôles multiples

L’inquiétude des associations est d’autant plus vive que les voies de recours face aux éventuelles suspensions arbitraires ou radiations par erreur sont difficilement accessibles aux allocataires. Ils et elles auront dix jours après leur notification de suspension et trente jours en cas de suppression pour s’y opposer. « Il faut donc être assez rapide, commente Geoffrey Renimel, Sachant que l’on parle de gens qui pour certains sont très éloignés des institutions. »

L’homme ajoute que l’on ne sait pas à qui il faut écrire, ni où, pour enclencher ces démarches de recours. Cette insécurité contrarie la stabilité dont ont besoin les personnes en situation de vulnérabilité. Comme le rappelle le collectif Alerte, qui réunit des associations nationales et des collectifs inter-associatifs locaux de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, « les personnes concernées par le RSA ont besoin d’être sécurisées dans leurs ressources et que la relation avec le conseiller soit fondée sur la confiance et l’écoute, de manière à pouvoir se projeter et envisager l’avenir sereinement. »

« Il faut se mettre à la place d’un.e allocataire du RSA à qui l’on retire ses droits, ajoute Sophie Rigard. Il ou elle va alterner entre la panique et la paralysie, se demander qui contacter ou se résigner. On parle de gens qui sont déjà dans une bataille quotidienne pour survivre. Compter chaque centime, cela prend du temps et de l’énergie. »

Certaines personnes émargeant au RSA se remettent doucement de burn-out liés à leurs boulots précédents, d’autres se sont faits virer à quelques années de la retraite ou sont physiquement cassés à cause d’anciens travaux très durs. Il y a aussi des agriculteurs, qui ne touchent aucun revenu en dépit de semaines de travail harassantes.

Des faisceaux d’indices pour sanctionner

Les nouvelles sanctions ne prennent pas ces réalités en compte. Dans un document distribué aux agents de France Travail à l’automne 2024, on trouve ainsi la description d’un faisceau d’indices censés indiquer qu’un demandeur d’emploi est dans « une dynamique faible voire insuffisante de recherche d’emploi ». Autrement dit : c’est un.e tire-au-flanc à qui il faut remonter les bretelles, avec un contrôle par exemple. Sachant que les allocataires RSA sont automatiquement inscrit.es à France Travail depuis le 1er janvier 2025, iels sont directement concerné.es par cette quarantaine d’indices.

On peut citer « le CV non déposé », « le profil non visible des recruteurs », « le refus de la promotion de son profil », le fait de ne pas renseigner son numéro de téléphone ou son mail, le fait de ne pas suivre de formation ou d’en suivre une sans être capable de chercher du travail en même temps…. Sans oublier les « offres raisonnables d’emploi », que l’on n’a pas vraiment le droit de refuser, ou les défauts de respect de son contrat d’engagement, les fameuses 15 heures d’activité que tout.e bon.ne allocataire se doit d’accomplir pour avoir accès à ces droits.

Sanctionnés par un algorithme ?

« Si un demandeur d’emploi allocataire du RSA n’effectue pas les 15 heures, ce sera signalé aux plate-formes de contrôle », détaille Guillaume Bourdic, représentant syndical CGT au comité d’établissement de France Travail, opposé à toute conditionnalité du versement des aides. Il s’inquiète par ailleurs de la mise en place de « contrôles flash » qui permettront aux conseilleurs de faire un contrôle et de prendre une décision de sanction sans même contacter les allocataires.

« Nous savons qu’il y a aussi des tests de sanction ou de remobilisation réalisés par un algorithme. En dernière instance, c’est le conseiller qui décidera, nous vend la direction. Mais avec la charge de travail des conseillers France Travail, cette automatisation se traduira par une validation du contrôle, puis de la sanction, dénonce Guillaume Bourdic. N’oublions pas que France Travail pour objectif de tripler le nombre de contrôles d’ici 2027, pour arriver à 1,5 million de contrôles par an. »

Selon lui, le service des contrôles est le seul à voir ses effectifs augmenter au sein de France travail, alors que l’accompagnement pour retrouver un emploi peut prendre bien davantage de temps. « Les conseillers France Travail doivent déjà suivre de 350 à 400 personnes chacun et aucun moyen supplémentaire n’a été annoncé », s’inquiète Geoffrey Renimel. « Entre l’inscription obligatoire à France Travail élargie et le retour du chômage de masse, les conseillers vont avoir une charge de travail plus lourde », renchérit Guillaume Bourdic.

Sophie Rigard approuve : « On sait qu’il y a beaucoup de souffrance du côté des personnels de France Travail car ils ont de moins en moins de marges de manœuvre. Tout est de plus en plus automatisé. Ils sont nombreux à ne pas être d’accord pour mettre autant de pression sur les personnes qu’ils suivent. Ils savent que c’est plutôt en tissant un lien de confiance qu’on y arrive. » Pour elle, il est nécessaire de nouer des alliances « des deux côtés du guichet ».

Dernier filet de protection

Militants syndicaux et associatifs s’attellent donc à mobiliser tous les acteurs concernés. « On a un groupe au niveau confédéral qui réunit les agentes de France Travail, les salariées des missions locales, celleux des départements ou des associations d’insertion pour mener des luttes communes », détaille Guillaume Bourdic. D’autres syndicats, comme la CFDT ou l’Union syndicale Solidaires, s’inscrivent dans cette convergence. « On observe un abandon de l’objectif de lutte contre la pauvreté, déplore Sophie Rigard. Le seul prisme des politiques semble être le retour à l’emploi à tout prix. Et tout le monde n’est pas d’accord avec cela. »

« La généralisation des 15 heures d’activité obligatoires depuis le mois de janvier a donné un coup d’accélérateur à la mobilisation, observe Geoffrey Renimel. Il y a une unanimité sur le rejet de cette réforme du RSA, et en particulier de ce volet "sanctions" qui s’inscrit dans une attaque forte contre notre modèle de protection sociale ; attaque qui inclut les diverses réformes de l’Assurance chômage. »

« Imagine-t-on sanctionner financièrement une personne qui ne dispose que de 636 euros par mois pour survivre ? » interroge une pétition lancée par ATD Quart monde pour demander le retrait des sanctions contre les allocataires du RSA. « Le RSA, c’est le dernier filet de notre système de protection social, résume Geoffrey Renimel, de l’association ATD Quart monde. Ce que disent les gens qui signent la pétition, c’est leur refus d’affaiblir encore notre modèle de protection sociale. »