Solidarité

Des bénévoles se mobilisent pour débloquer les dossiers des « naufragés » de la Caf, privés d’aides sociales

Solidarité

par Rachel Knaebel

RSA suspendu sans explication, dossiers bloqués, impossibilité de parler à un conseiller… Face aux difficultés des allocataires, une association de Mulhouse s’est mobilisée, et a réussi à obliger la Caf à les écouter.

« C’est un combat qu’on mène depuis longtemps. Le service public ne va pas. On ferme partout des bureaux, les entrées sont filtrées, il n’y a pas vraiment de réponses à nos demandes. » Isabelle Maurer, 59 ans, est bénévole dans des associations sociales en Alsace depuis 34 ans. Elle-même sans emploi, elle vit avec le RSA et aide d’autres allocataires dans la même situation.

Les choses « ne s’arrangent pas, dit-elle. Aujourd’hui encore, j’ai eu un homme de 57 ans qui a pleuré au téléphone, il a été renvoyé de son usine, il attend une réponse de la Caf depuis trois mois. » En 2016, Isabelle Maurer a subi un contrôle de patrimoine de la Caf, qui a abouti à une suspension de son RSA pendant plus de deux ans, parce qu’un courrier s’était perdu. « Les Caf avaient envoyé à des centaines de personnes de la région un courrier papier pour une “vérification de patrimoine”. Il fallait dire si on avait de l’argent de côté, une assurance vie, une résidence principale, secondaire, etc. Je n’avais rien de tout cela. Mais le courrier qui m’était adressé s’est perdu. La Caf attend trois mois, et sans réponse, au quatrième mois, elle coupe tout. »

« Ils m’ont coupé le RSA pendant 27 mois. J’ai erré pendant ce temps avec mes affaires de toilettes »

Son dossier est resté bloqué, très longtemps. « Ils m’ont coupé le RSA pendant 27 mois. J’ai erré pendant ce temps avec mes affaires de toilettes à droite à gauche. Quand c’est reparti, ils m’ont renvoyé un papier pour la déclaration de mon patrimoine… Croyez-bien que si j’avais une résidence secondaire, un château, je m’éviterais l’assistante sociale, le conseiller de Pôle emploi pour les plus de 55 ans…, ironise la quinquagénaire. Pôle emploi vous botte les fesses comme si à 59 ans on ne savait pas chercher du travail tout seul. Même les entreprises d’insertion ne veulent pas de nous en disant que nous sommes trop vieux. »

Dans sa ville de Mulhouse (Haut-Rhin), Isabelle Maurer a rejoint la Maison de la citoyenneté mondiale, une association membre du Mouvement national des chômeurs et précaires. Avec les autres bénévoles, elle manifeste depuis près d’un an tous les premiers mardis du mois devant la Caf de la ville. Parce que « si nous, les allocataires, on ne se bouge pas, ça ne changera pas. »

« Le système a ses failles, il faut que la Caf le reconnaisse »

« Nos slogans lors des rassemblements, c’est qu’il faut sortir de la honte face à la dégradation du service public. Nous demandons non pas du contrôle, mais une relation avec des agents et un accompagnement aidant et non pas culpabilisant, explique Serge Bertelli, lui aussi actif au sein de l’association mulhousienne. Nous avons à souffrir dans nos propre rangs, chez nos bénévoles, de la répétition de la suppression totale d’allocations. Le système a ses failles, il faut que la Caf le reconnaisse. Elle informe très mal les allocataires, pour ne pas dire pas du tout. Il y a des espaces personnels numérisés, prétendument de dialogue, mais quand vous y posez des questions, vous n’avez aucune réponse. »

À force de mobilisations, l’association de Mulhouse a réussi à obtenir des rendez-vous avec des représentants la Caf. « Nous avons été reçus par l’ancien directeur, précise Isabelle Maurer. Ils nous accueillent parce que c’est le minimum qu’ils sont obligés de faire, mais sortis de là, on a toujours l’impression de seulement les déranger. »

« Parler au public lambda qui fait la queue à la Caf »

Tout de même, les bénévoles ont pu instaurer le contact, et le conserver, avec des référents, puis une médiatrice. Ce qui permet de poser directement des questions sur des dossiers bloqués. « Depuis janvier 2021, nous voyions deux agents tous les deux mois et nous pouvions rester entretemps en contact avec eux par mail, pour leur adresser les dossier connus de nous, précise Serge Bertelli. Aujourd’hui, le contact s’est resserré sur la médiatrice de la Caf. Nous avons son adresse mail et pouvons communiquer avec elle en direct. Mais du coup, seuls les dossiers connus de nous et de nos associations partenaires, actives dans l’hébergement, peuvent bénéficier de cet accompagnement. Les dossiers du public naufragé face à l’administration, et qui n’a pas de contact avec les associations, restent perdus. »

Les rassemblements mensuels ont permis de nouer malgré tout le contact avec ces allocataires hors des radars. « Là, on peut parler au public lambda qui fait la queue à la Caf », dit le bénévole. Serge Bertelli a-t-il vu la situation se dégrader ces dernières années ? « C’était déjà dégradé au milieu des années 2010 », répond-il. Aujourd’hui, pourtant, la Caf de Mulhouse semble tellement submergée qu’elle envoie des dossiers à traiter… en Ariège, comme l’association l’a appris dans la presse locale.

« C’est nous, les bénévoles, qui passons des heures à écouter les gens »

Autre spécificité du département du Haut-Rhin : les allocataires au RSA y sont censés faire des heures de bénévolat. La mesure prise en 2016 avait d’abord été retoquée par le tribunal, avant d’être finalement validée par le Conseil d’État, à condition qu’il s’agisse d’un « contrat personnalisé » entre le département et l’allocataire.

« Quand nous signons notre contrat d’échange réciproque, tous les trois mois, nous devons indiquer les actions engagées pour se réinsérer, rapporte Isabelle Maurer. Parmi elles, il y a marqué “je m’engage à faire du bénévolat”, de sept heures par semaine. Moi, je n’ai pas attendu cela. Si toutes mes heures de bénévolat depuis plus de trente ans avaient été payées, je péterais les compteurs de la retraite. Et si je voulais du travail au noir, j’en aurais aussi eu depuis longtemps. »

Face à la situation économique, Isabelle Maurer alerte : « Une boîte après l’autre ferme, tout le monde va avoir des relations qui seront en difficulté. Et ils seront obligés de passer par nous les bénévoles, parce que ce ne sont pas les cinq minutes que vous accorde une administration qui va vous faire avancer. C’est nous les bénévoles qui passons des heures à écouter les gens, à remettre leur dossier en place. » Pour elle, « il n’y a que le revenu universel individuel et inconditionnel qui peut nous sauver. »

Rachel Knaebel

Photo : Lors d’un rassemblement des bénévoles de Mulhouse devant la Caf de la ville, en septembre 2021. ©L’Alterpresse68.