Avec 52 décès liés à une intervention des forces de l’ordre en 2024 et 50 en 2023, la hausse spectaculaire du nombre de décès liés à l’action de la police ou de la gendarmerie observée depuis 2020 se confirme. Toutes unités confondues, la police nationale est impliquée dans les deux tiers environ de la centaine d’interventions létales recensées. La police municipale est, elle, concernée par cinq affaires de ce type. De plus en plus sollicitées pour des missions de droit commun ou de maintien de l’ordre, les unités spéciales (GIGN, Raid...) sont impliquées dans une dizaine de décès, en particulier en Nouvelle-Calédonie. Ces décès recouvrent des situations très différentes qui ne préjugent en rien de la légitimité – ou non – du recours à la force. Nous abordons plus spécifiquement les affaires impliquant les personnes tuées par les forces de l’ordre alors qu’elles étaient armées dans cet article.
Le Raid a été épinglé pour avoir dissimulé pendant plusieurs semaines son rôle dans la mort de Mohamed Bendriss, 27 ans, décédé le 2 juillet 2023 à Marseille, en marge des révoltes urbaines qui suivent l’assassinat de Nahel par un policier, en région parisienne. Alors qu’il effectuait une livraison de repas à scooter, Mohamed Bendriss a reçu deux balles en caoutchouc tirées depuis un véhicule blindé du Raid, déployé dans les rues. Trois membres de l’unité ont été mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Trois décès liés aux armes dites non létales
Les mal nommées armes « non létales » sont ainsi à l’origine de trois décès en deux ans. Outre la mort de Mohamed Bendriss, celle de Kyllian Samathi, employé dans une épicerie à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), pose particulièrement question. Le 4 janvier 2024, Kyllian Samathi aurait présenté un « comportement agressif » alors qu’il travaille dans l’épicerie. Six policiers arrivent et usent d’une douzaine de décharges de pistolet à impulsion électrique Taser ainsi que de leur LBD. En arrêt cardiaque, Kyllian Samathi tombe dans le coma. Hospitalisé, il décède le lendemain. Le gérant de l’épicerie dément avoir appelé la police. Selon lui, à la suite de l’incident « ils ont tout nettoyé, les projectiles, les caméras… Plus rien n’était là ». Le parquet de Bobigny ouvre une information judiciaire « contre X pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique ».
Cinq personnes tuées par balle pour un « refus d’obtempérer »
Cinq personnes ont été tuées par balle alors qu’elles conduisaient ou étaient passagères d’une voiture tentant d’éviter un contrôle. L’IGPN note dans son dernier rapport une sensible baisse des tirs mortels sur les véhicules en mouvement par rapport aux treize décès par balle dans le cadre d’un « refus d’obtempérer » en 2022 – un funeste record ! Basta! révélait cette année-là que cinq fois plus de tirs mortels avaient pris pour cible des véhicules. En cause : l’article L435-1 de la loi du 28 février 2017 (passée sous le mandat de François Hollande) qui étend les règles d’usage d’arme à feu au-delà du cadre de la légitime défense sous certaines conditions. Cet article est très critiqué par plusieurs associations, à l’image du Syndicat des avocats de France (SAF), qu’elles considèrent comme un blanc-seing donné aux forces de l’ordre pour ouvrir le feu. Des chercheurs en sciences sociales ont confirmé cet effet du changement législatif sur le nombre de tirs mortels. Le SAF, les associations Flagrant déni et Stop aux violences d’État viennent de saisir à ce sujet le rapporteur spécial de l’Onu sur les exécutions extra-judiciaires.

En 2023, on compte trois personnes tuées dans ce contexte, dont Nahel Merzouk, à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin 2023 et, deux semaines plus tôt, Alhoussein Camara, 19 ans, près d’Angoulême (Charente) dans des circonstances assez proches. S’y ajoutent deux affaires de ce type en 2024 : le 9 juin 2024, Sulivan Sauvey, 19 ans, est ainsi tué d’une balle dans le dos à Cherbourg (Manche) alors qu’il fuit un contrôle à pied ; le 25 juillet 2024, près de Toulouse, Maiky Loerch, 28 ans, est au volant de sa voiture et accompagné de sa femme et de son bébé de 6 mois, quand, alors qu’il tente d’échapper à un contrôle, il est tué d’une balle dans la tête par des gendarmes. Sa famille, issue de la communauté des Voyageurs, porte plainte pour « homicide volontaire » avec constitution de partie civile. Le gendarme auteur du coup de feu mortel est mis en examen en février 2025.
30 accidents mortels lors d’une fuite en véhicule en 2023 et 2024
Les accidents routiers mortels liés à une intervention des forces de l’ordre sont particulièrement nombreux en 2023 et 2024. Le 12 décembre 2023 à Paris, un homme de 84 ans qui traverse sur un passage piéton est heurté par une moto de la Brav-M – un escadron spécialisé dans la répression des manifestations – qui grille le feu rouge. L’octogénaire décède le lendemain d’un traumatisme crânien.
La plupart des accidents routiers sont cependant liés à un refus de s’arrêter, à scooter ou en voiture, suivi, le plus souvent, d’une course-poursuite avec les forces de l’ordre. Nous recensons dix-neuf affaires de ce type en 2023 – c’est la première fois que ce chiffre est aussi élevé – et onze en 2024. Deux jours avant Noël, le 23 décembre 2023, un véhicule de gendarmerie percute – directement ou indirectement, via un autre véhicule – une moto qui roulait en excès de vitesse près de Montpellier. Le motard, Julien, et sa passagère, Maëlys, 17 ans, perdent la vie. Ce type d’intervention interroge : les gendarmes auraient pu faire le choix de relever la plaque d’immatriculation pour ensuite sanctionner l’excès de vitesse, ce qui aurait évité ces deux décès. Idem pour plusieurs affaires, dans lesquelles des motos ou scooters sont pris en chasse au motif que leur conducteur roule sans casque – une infraction qui le met en danger, danger lui-même accru par l’intervention policière et la tentative d’y échapper.
Il s’agira de surveiller l’évolution des pratiques des forces de l’ordre en la matière. En mai 2025, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau est à l’origine d’une nouvelle instruction applicable aux policiers et gendarmes en cas de refus d’obtempérer. Elle se substitue à celle en vigueur depuis 1999. Jusque-là, « les poursuites de véhicules » devaient se limiter – en théorie – à des faits « d’une grande gravité ». Désormais, « par principe, la poursuite des véhicules en fuite et refusant d’obtempérer aux injonctions de s’arrêter des policiers et des gendarmes doit être engagée ». Ce texte risque d’aggraver une situation déjà alarmante, s’inquiète l’ONG Flagrant déni. Cette doctrine est à rebours des réflexions de la gendarmerie autour des solutions alternatives à l’interception immédiate, lorsque des personnes tentent de se soustraire à un contrôle.
Les contrôles et leur intensification – inefficaces en matière de lutte contre la grande criminalité – sont à l’origine d’un quart des décès recensés. Sept personnes ont ainsi perdu la vie en fuyant à pied les forces de l’ordre depuis 2023. Quatre se sont noyés après avoir sauté dans une rivière, dans un fleuve ; deux ont fait une chute mortelle. Parmi eux : Enzo, un Strasbourgeois de 17 ans, retrouvé sans vie dans la rivière Ill en tentant d’échapper à la BAC. Depuis le classement de sa plainte pour « omission de porter secours », la famille se bat pour obtenir la vérité sur les circonstances exactes du drame. L’IGPN n’a pas recensé ce cas dans son registre.
Plus d’une dizaine de décès entre les mains des forces de l’ordre

Ce sont les tristement célèbres « malaises » en garde à vue ou en cellule de dégrisement, et autres arrêts cardiaques « d’origine inconnue » lors d’une interpellation. Nous en recensons cinq en 2023 et huit en 2024. L’un d’eux concerne Tamer Miskir, un Palestinien de 47 ans, interpellé à Paris le 17 août 2023 après une rixe. Durant son transport vers le commissariat du 10e arrondissement, « l’individu se cogne la tête contre les parois du véhicule de police », écrit l’IGPN… Il décède après une semaine dans le coma d’un « traumatisme cranio-facial grave ». Libération a révélé que l’interpellé, menotté, a été frappé au visage par un « gardien de la paix ». Celui-ci est mis en examen.
On meurt aussi dans les centres de rétention administrative, prison spéciale pour sans-papiers. Un Égyptien de 57 ans est ainsi retrouvé mort dans celui de Vincennes (Val-de-Marne) en mai 2023. Des témoignages recueillis par Politis évoquent des violences policières préalables au décès. La France est le pays d’Europe qui compte le plus de morts dans un local de police, un commissariat, une gendarmerie ou un CRA.