Consommation

Toujours plus de vêtements produits, à très bas prix : l’ultra fast-fashion est nocive pour le climat

Consommation

par Maÿlis Dudouet

Les entreprises de prêt-à-porter à très bas prix et quasi-jetable, dont la marque chinoise Shein est le leader, ont bouleversé les habitudes de consommation de vêtements, au détriment du climat. Pour les associations, il faut réguler.

« Tant que les vêtements coûteront moins cher qu’un café, on aura un problème », dénonce Julia Faure, cofondatrice d’une marque de vêtements promouvant la sobriété. On appelle ce système de prêt-à-porter à très bas prix et quasiment jetable l’« ultra fast-fashion ».

« Caractérisées par leurs prix dérisoires et une rotation extrêmement rapide de leurs modèles », les enseignes d’ultra fast-fashion « illustrent la fuite en avant d’un système ultra compétitif où seuls ceux qui polluent et exploitent le plus survivent », résume Les Amis de la Terre dans leur rapport « Quand la mode surchauffe : Shein, ou la course destructrice vers toujours plus de vêtements », publié en juin. L’ONG y décrypte le modèle de la marque chinoise lancée en 2008 et qui est devenue le leader de ce marché.

En 2022, Shein a doublé son chiffre d’affaires, atteignant 30 milliards de dollars contre 15 milliards en 2021. « Alors que les enseignes de prêt-à-porter françaises s’enfoncent dans une crise économique et sociale sans précédent, les marques de fast-fashion semblent être les seules à sortir leur épingle du jeu », analysent Les Amis de la Terre.

La recette de Shein, c’est de sortir toujours plus de modèles. En mai 2023, elle a ajouté sur son site en moyenne 7200 nouveaux modèles par jour, selon l’analyse des Amis de la Terre. Ce qui équivaut à, au minimum, un million de vêtements produits dans la journée, soit entre 15 000 et 20 000 tonnes de CO2 émises selon les calculs d’une étude publiée en 2021. « Et ce, avant même que les vêtements soient mis en vente », pointent les Amis de la Terre.

Des entreprises toujours plus puissantes

Chez Shein, un tee-shirt se vend entre 5 et 10 euros, des pantalons entre 10 et 20 euros. « Il faut que l’Europe comprenne que le prix de nos vêtements, c’est du semi-esclavage à l’autre bout du monde », réagit face à ces prix Julia Faure, qui milite depuis deux ans au sein de l’association d’acteurs du textile « En mode climat », qui milite en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur.

« Nous sommes les produits de la génération Rana Plaza [1], qui a grandi avec ce mythe du consommateur qui se tourne vers des marques écoresponsables. Cette prophétie s’est en partie réalisée. Mais c’est un effet d’optique si on regarde les ordres de grandeur. Les entreprises d’ultra fast-fashion qui polluent n’ont jamais été aussi puissantes », constate la créatrice de mode.

Au-delà de l’impact écologique, Pierre Condamine, chargé de campagne aux Amis de la Terre, interroge lui aussi l’ensemble de la chaîne de production de cette tendance du prêt-à-porter. « L’impact social de Shein, on le connaît. La marque a la majorité de ses usines en Chine. Si elle peut produire en de telles quantités pour pas cher, c’est sur le dos des personnes qui les produisent, accuse-t-il. Les ouvriers Shein font des semaines de 75 heures avec un jour de congé par mois et gagnent quatre centimes par vêtement produit », dénonce aussi le militant associatif.

Obsolescence émotionnelle

L’ultra fast-fashion modifie aussi les habitudes de consommation. L’achat de nouveaux vêtements ne repose plus sur un « besoin primaire d’habillement, mais sur l’envie d’acquérir des pièces à la mode, analyse le rapport des Amis de la Terre. Aujourd’hui, il est estimé que l’usure physique ne représente que 35 % des causes de fin de vie d’un vêtement ». On parle alors d’obsolescence émotionnelle.

En proposant 900 fois plus de produits qu’une enseigne française traditionnelle, Shein entraîne par ailleurs les marques concurrentes dans sa course au vêtement jetable. « Il faut à tout prix réguler ce secteur, au sein duquel seules les enseignes les plus néfastes parviennent à maintenir un équilibre, au détriment de la stabilité économique des autres marques, mais également de la planète et des travailleurses du secteur, revendiquent Les Amis de la Terre. Jusqu’ici, les avancées environnementales ont largement été basées sur l’amélioration de la qualité du produit via la durabilité physique ou les matières utilisées. Aujourd’hui, il est nécessaire de s’attaquer au système même de surproduction, en limitant les volumes de produits mis en vente », propose l’ONG. « Soit on régule, soit il n’y aura plus de marques de milieu de gamme : il n’y aura plus que du low cost et du luxe », résume Pierre Condamine.

Des régulations pour empêcher la surproduction

La directive européenne sur le devoir de vigilance, adoptée par le Parlement européen le 1er juin, pourrait aider à réguler le secteur. Le texte doit encore être validé par les États membres de l’Union européenne pour entrer en vigueur. Elle a pour objectif d’instaurer des « obligations de vigilance en matière de droits de l’homme et d’environnement » sous peine d’amendes pour les grandes entreprises multinationales. « Si cette proposition est acceptée par les États membres, les entreprises seront tenues de réaliser des plans quinquennaux de transition climatique, dès l’entrée du texte en vigueur », détaille l’eurodéputé écologiste Marie Toussaint.

Une loi similaire existe déjà en France depuis 2017. Et pourtant, le devoir de vigilance peine toujours à s’imposer. La faute à une formulation trop « générale » et au fait qu’elle ne s’applique en France qu’aux très très grandes entreprises, de plus de 5000 salariés, regrette l’élue Marie Toussaint. En plus, « la France ne s’est pas dotée d’autorités efficaces de contrôle chargées de veiller à l’application des obligations de vigilance par les entreprises, souligne l’eurodéputée. Ce sont donc principalement les ONG et les expert.es qui veillent à l’application de cette loi », avec des moyens limités.

En France, un décret fixant les conditions d’affichage environnemental des produits textiles d’habillement et de chaussures doit par ailleurs voir le jour l’année prochaine. Ses critères seront précisés cet été, à partir d’une expérimentation réalisée entre 2021 et 2022. La mesure était prévue par la loi « Climat et résilience » d’août 2021. Encore faut-il qu’elle soit mise en œuvre.

Maÿlis Dudouet