De l’Amazonie au Kenya, les crédits carbones pourrissent la vie des populations autochtones

Débats

Les crédits carbone sont présentés comme un moyen de sauver la planète. Si ce marché permet à des pays et des entreprises de verdir leur bilan écologique, il se fait parfois sur le dos de populations locales des pays « fournisseurs » de crédits.

par Emma Bougerol

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« Les groupes écologistes sont furieux », écrit le journal britannique The Guardian. Pourquoi ? Car, au début du mois de juillet, l’Union européenne a pris une décision contestée : autoriser les États membres « à comptabiliser les crédits carbone étrangers dans leurs objectifs climatiques, tels que la plantation d’arbres et la préservation des forêts, que les chercheurs qualifient souvent d’inefficaces ». Ces crédits carbone correspondent fréquemment à des projets de plantation d’arbres dans des pays en développement. Leur utilisation ne fait pas consensus, souligne le média brésilien Repórter Brasil : « Les critiques portent notamment sur le “greenwashing” » et sur le fait que ces crédits détournent de l’objectif principal : réduire les émissions plutôt que les compenser.

Déjà, qu’est-ce qu’un crédit carbone ? Le média brésilien résume : « Les crédits carbone sont des certificats qui représentent la réduction ou l’élimination de l’équivalent d’une tonne de dioxyde de carbone (CO2) ou d’autres gaz à effet de serre de l’atmosphère. Ces crédits peuvent être générés par des projets qui évitent les émissions, tels que le reboisement et les énergies propres, ou par des technologies de capture et de stockage du carbone. »

Extorsion et violence armée

Sur le terrain, certains projets environnementaux allouant des crédits carbone sont vecteurs de tensions et de violences. En avril 2025, le média colombien Vorágine publiait une enquête titrée « Extorsion et violence armée : l’impact des compensations carbone en Amazonie ». La forêt amazonienne fournit un grand nombre de ces titres, étant donné qu’un hectare sauvé là-bas correspond à 100 à 200 tonnes de CO2 captés.

Les populations autochtones d’Amazonie sont au premier rang de la conservation de la forêt. Elles subissent donc de plein fouet les conséquences de ce marché mondial des crédits carbone. « Pour avoir protégé la nature comme elles l’ont toujours fait, mais être maintenant engagées dans des projets de compensation carbone, elles sont victimes d’extorsion et de menaces de la part de divers groupes armés illégaux et d’organisations criminelles », écrit le site indépendant colombien.

En juillet, Mongabay Latam et le Centre latino-américain de journalisme d’investigation (CLIP) ont révélé comment, en Amazonie colombienne, « Chevron, l’une des plus grandes compagnies pétrolières du monde, a acheté des millions de crédits carbone liés à un système de compensation carbone qui prétend protéger les terres indigènes, alors même que la communauté qui est censée bénéficier de ce système n’en a pas été tenue informée. »

Trois millions de crédits carbone ont été vendus, mais les communautés n’ont bénéficié d’aucune retombée économique. Un leader communautaire résume la situation ainsi : « Zéro sur tous les fronts, zéro information, zéro participation, zéro bénéfice. » « Cette situation soulève des questions fondamentales sur l’efficacité du marché des crédits carbone et sur l’impact réel de ces projets sur les communautés qu’ils prétendent aider », écrit le fondateur de Mongabay, Rhett Ayers Butler.

Violations du consentement des populations

Les bénéfices de ces projets, les habitants du nord du Kenya – « où les effets du changement climatique sont vifs et désastreux », écrit Africa Uncensored – peinent également à les voir. Le média d’investigation kényan décrit la « coexistence difficile des projets climatiques et des droits communautaires », dans une région du nord du pays. Là, des projets de compensation carbone, menés par une même ONG, ont des conséquences néfastes sur les populations locales.

Les éleveurs rencontrent des difficultés pour trouver des terres pour leurs bêtes, la population ne peut plus accéder à des lieux importants pour la communauté, comme des sites funéraires, et des conflits éclatent avec les personnes armées en charge de la protection des zones. La situation est tendue. Des habitants déplorent que leurs revendications et leurs besoins n’aient pas été écoutés.

Ce n’est pas un cas isolé. Il existe plus de 400 projets de crédits carbone au Kenya. Or, « les violations directes du consentement préalable, libre et éclairé des populations autochtones dans le cadre de projets liés au carbone sont de plus en plus documentées », note le média. L’impact de ces crédits carbone sur les populations locales devra être discuté lors de la prochaine Conférence internationale sur le climat, la Cop30 de Belém (Brésil) en novembre, plaide Africa Uncensored.