Le gouvernement a donc suivi les préconisations de la Banque de France : baisser le taux de rémunération du livret A. Celui-ci passera de 1% actuellement à 0,75% à partir du 1er août, son taux le plus bas depuis sa création en 1818 pour combler les déficits hérités des guerres napoléoniennes. Cette baisse est censée refléter la faible inflation. « La baisse du taux du livret A aidera la croissance et l’emploi en allégeant le coût des crédits », estime la Banque de France, et doit « favoriser l’investissement du secteur du logement social, avec un gain de plus de 300 millions d’euros », vante le ministère de l’Economie et des Finances. Soit 5000 logements sociaux de plus en une année. Cette baisse du taux du livret A entraînera mécaniquement celle des autres livrets d’épargne « réglementée » : livret développement durable (LDD) ou livret d’épargne populaire (LEP).
Plusieurs organisations syndicales, associations de locataires et pour le droit au logement ne partagent absolument pas cet optimisme. Vu le faible taux d’intérêt, ils craignent que l’épargne continue de se réorienter vers des placements plus lucratifs, comme l’assurance-vie. La baisse du taux menacerait ainsi « les capacités de financement du logement social et des besoins d’intérêt général (transports en commun, université, hôpitaux...). Elle ne profitera ni aux classes populaires qui y placent leurs économies et celles de leurs enfants, ni aux locataires HLM, qui n’ont jamais vu leur loyer baisser malgré la baisse quasi ininterrompue du taux du Livret A depuis 1981 », expliquent-elles dans un communiqué commun [1].
Une épargne non spéculative et d’utilité sociale
Au total, cette épargne réglementée pèse 14% des 4259 milliards d’euros placés par les ménages sur des produits financiers. Livret A, LDD et LEP comptabilisent plus de 400 milliards d’euros mais leurs encours ne cessent de baisser au profit de l’assurance-vie qui pèse désormais trois fois plus (1332 milliards). Pourtant, il s’agit d’un « produit d’épargne créé il y a près de deux siècles, qui n’a fait l’objet d’aucune spéculation et n’a provoqué aucune crise », rappelait Pierre Duquesne, l’auteur d’un rapport sur la réforme de l’épargne réglementée il y a trois ans. Au contraire d’autres actifs, notamment risqués, dont on ne sait s’ils n’alimentent pas la spéculation sur les matières premières, sur les dettes souveraines, comme en Grèce, l’extraction d’énergies fossiles nuisibles au climat ou l’optimisation fiscale fatale à l’emploi (l’argent de l’épargne réglementée ne va pas ici).
En baissant le taux du livret A, gouvernement et banque de France n’encouragent donc pas les ménages à placer leur argent vers une épargne d’utilité sociale. Au contraire d’autres actifs, l’argent déposé sur ces livrets sert clairement à financer des investissements d’intérêt général, dont les objectifs sont fixés par la loi : la construction de logements sociaux, la politique de la ville, le financement de l’économie réelle et la rénovation thermique des bâtiments en ses temps de transition énergétique. Les deux tiers des encours de ces livrets sont gérés par la Caisse des dépôts et de consignation, sous contrôle du Parlement. En 2014, ils ont permis de construire plus de 122 000 logements à loyer régulé et d’en réhabiliter 274 000. Le tiers de l’argent restant est géré par la banque chez qui a été créé le livret selon les mêmes obligations. Sauf que les données – ou l’absence de données – fournies par les banques ne permettent pas de savoir si cette épargne est utilement placée. Au moins, avec l’assurance-vie, elles n’ont aucun compte à rendre…