Accidents du travail

Aller au travail… et ne jamais en revenir

Accidents du travail

par Julie Wagner

Julie Wagner avait un frère jumeau, Maxime. Il est mort d’un accident du travail sur un chantier du Grand Paris Express début 2020. Depuis, la famille se mobilise pour obtenir justice. Le procès vient d’être renvoyé pour la deuxième fois.

Vendredi 28 février 2020. C’est le soir. Je reçois un appel d’une de mes petites sœurs, Pascaline. Elle m’apprend que mon frère jumeau, Maxime, est dans le coma. Il vient d’avoir un accident au travail. Il y a quelques mois, il a été recruté comme intérimaire sur un chantier du Grand Paris Express. C’est si violent, on ne comprend pas ce qui se passe. Le lendemain, avec ma mère, mes cinq sœurs et mon mari, nous montons à Paris pour nous rendre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Hebdomadaire Politis
La carte blanche de l’hebdomadaire Politis est un nouveau format, un espace de libre expression donné par Politis à des personnes peu connues du grand public mais qui œuvrent au quotidien à une transformation positive de la société. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction. Cette carte blanche a été publiée dans le numéro du 8 décembre, à retrouver ici.

À l’époque, c’est le début de la crise sanitaire et les hôpitaux doivent affronter une situation sans précédent. Nous n’avons accès à aucune information. Jusqu’à ce qu’on nous parle d’une « explosion » qui aurait eu lieu sur le chantier. Maxime aurait été soufflé et serait immédiatement tombé dans le coma. Nous sommes restés sur place deux semaines. À trois reprises, Maxime a changé de service. Les médecins étaient unanimes : le pronostic vital était engagé. Nous nous accrochions au reste : les « constantes » – comme ils disent dans le jargon médical – restaient bonnes. Franchement, j’y croyais. Je voulais qu’il s’en sorte.

Avec l’avancée du Covid, la situation de l’hôpital s’est dégradée. Les visites nous ont été interdites. Le 11 mars, nous sommes rentrés chez nous. Le 18, les médecins ont constaté que les lésions au cerveau étaient devenues trop importantes. Le 19, c’est la fin. Maxime nous quitte. Pas un article de presse. Pas une brève. Rien sur les circonstances terribles de cet accident professionnel. Mon frère est mort dans l’anonymat d’une France confinée. Maxime était papa de deux petites filles : Sannah, qui avait neuf ans en 2020, et Noémie, qu’il avait eue avec sa nouvelle femme, âgée de deux ans lors de l’accident. Il était aussi le « papa de cœur » d’Hanaé, la grande sœur de Noémie.

Les mois passent. La souffrance reste. Nous n’avons aucune nouvelle ni de l’entreprise ni des autorités. Nous ne savons rien de plus que ce qui nous a été annoncé à l’hôpital le jour de notre arrivée. Ma mère a quelques échanges avec la police. Mais, vite, les liens s’estompent et la policière avec laquelle elle avait pris l’habitude d’échanger ne répond pratiquement plus.
Maxime est mort en pleine santé. Il n’avait que 37 ans. Personne ne semble s’émouvoir des circonstances de sa mort. Personne pour se donner la peine de nous expliquer le « comment » et le « pourquoi » de cette tragique histoire. Comme chaque jour, Maxime est parti au travail en embrassant ses enfants. Mais, ce jour-là, il n’est pas revenu. Comment est-ce possible dans la France de 2020 ?

Au bout d’un an et demi de questions sans réponses, ma mère a arrêté de chercher à avoir des informations. Ça lui bouffait la vie. Malgré tout, elle a continué, au fil des semaines, à faire des recherches Google dans l’espoir de tomber sur quelque chose qui mentionnerait la mort de Maxime. C’est ce qui est arrivé en avril 2022 avec un article de basta! (« “Silence, des ouvriers meurent” : sur les chantiers du Grand Paris, des accidents de travail à répétition  », publié le 7 mars 2022) racontant l’histoire de mon frère.

Pour la première fois, on apprend les réelles circonstances de l’accident. Maxime n’a pas été soufflé par une explosion. Il a été victime de ce qu’on appelle un mouvement en coup de fouet d’une conduite au sein du tunnelier. Celle-ci l’a percuté au niveau du crâne. Et c’est seulement deux ans après les faits qu’on découvre qu’une enquête de l’inspection du travail a été rendue il y a plusieurs mois. La responsabilité de l’entreprise y est clairement pointée du doigt. On s’aperçoit également que Maxime n’est pas le seul : au moins trois autres personnes sont mortes sur les chantiers du Grand Paris Express.

À ce moment-là, mes sentiments sont confus : entre soulagement – enfin on en parle – et incompréhension. Pourquoi ce silence durant toutes ces années ? Et si basta! n’avait pas publié son article, que se serait-il passé ? Aurions-nous été informés des conclusions de l’enquête de l’inspection du travail ?

Désormais, on est remontés à bloc. On raconte notre histoire dans la presse, on reprend un avocat, on relance le parquet. Et, vite, les choses se débloquent. L’entreprise, une filiale de Vinci, est mise en examen pour homicide involontaire et une date d’audience est fixée au 12 décembre [le procès a été renvoyé au 5 avril 2023. La faute à l’entreprise qui a rendu ses conclusions le jour de l’audience à midi, ndlr]. Nous voulons que l’entreprise soit reconnue coupable de la mort de Maxime. Mourir au travail, ça n’est pas normal. Nous attendons que ce procès l’acte en condamnant les responsables. Les employeurs sont obligés d’assurer la sécurité de leurs salariés. Nous voulons que justice soit rendue. Pour Maxime !

Julie Wagner

Photo : Sur un chantier du Grand Paris, à Saint-Denis/©Pierre Jequier-Zalc.