« Enfin ! » Après plus de deux ans d’attente, la famille de Maxime Wagner accueille avec soulagement l’avis qui les convoque en tant que victime devant la 9e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, le 9 juin prochain. Sur le banc des accusés figurera l’entreprise de BTP Dodin Campenon-Bernard et deux de ces employés. Ils sont poursuivis pour homicide involontaire.
Le 28 février 2020, Maxime Wagner travaille depuis plusieurs mois en tant qu’intérimaire pour cette filiale de Vinci, au sein du tunnelier qui creuse le prolongement de la ligne 14 au sud de Paris, à Villejuif (Val-de-Marne). Ce jour-là, ce père de deux enfants est victime d’un grave accident de travail. Alors qu’il débouche une canalisation, celle-ci, du fait de la pression, vient heurter le côté droit de la tête de l’homme. Admis à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans le coma, Maxime Wagner succombe à ses blessures trois semaines plus tard.
L’effet « coup de fouet » de la conduite était identifié par l’entreprise
Après deux ans d’investigations, le parquet de Créteil a décidé de poursuivre l’entreprise, estimant qu’elle est responsable de cet accident de travail. Il suit donc l’avis de l’inspection du travail qui avait rendu son enquête en septembre 2020. Celle-ci, dont Basta! vous révélait en mars les conclusions principales, pointe plusieurs infractions potentielles de la part de Dodin Campenon-Bernard. La plus importante est sans doute la modification de l’équipement de travail – en l’occurrence la conduite – qui n’était pas maintenu de manière à préserver la sécurité.
Plus que cela, selon nos informations, l’effet « coup de fouet » – le mouvement qui a fait que la conduite à heurté la tête de Maxime Wagner – de la conduite au sein du tunnelier était identifié par l’entreprise. Au point qu’une chaîne métallique avait été posée en février 2020 « pour éviter le phénomène identifié de "coup de fouet" intempestif de la conduite retenant le coude métallique à la structure du tunnelier », pour reprendre les termes du parquet. Le risque était donc connu. Mais au moment de l’accident, cette chaîne avait été retirée.
Le manque d’information du salarié est également pointée par le ministère public. Maxime Wagner n’aurait ni reçu d’instructions claires sur la manière de faire cette opération, ni été informé des risques avérés de cette opération, notamment après le retrait de la chaîne métallique évoquée plus haut. « Ces instructions auraient pu permettre de faire stopper les opérations avant la survenance de l’accident », conclut le parquet de Créteil. Enfin, le « plan particulier de sécurité et de protection de la santé » (PPSPS), ce document qui établit les risques et les règles de sécurité sur un chantier, était incomplet. Selon le parquet, il était inadapté « aux conditions d’exécution spécifiques de l’opération », et cela, « malgré l’identification des risques de projection de mortier sous pression et du « coup de fouet du tuyau ».
L’entreprise encourt jusqu’à 375 000 euros d’amende
Toutes ces infractions potentielles ont été retenues contre l’entreprise par le parquet. Celui-ci en conclut que la sécurité des travailleurs n’était pas assurée. Il a donc engagé des poursuites pour homicide involontaire à l’encontre de la filiale de Vinci. Il avance que l’homicide involontaire a été causé par « la violation manifestement délibérée d’obligations particulières de prudence ou de sécurité ».
Cette précision a une importance de taille. Elle implique que ce n’est pas uniquement par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité » que Dodin Campenon-Bernard serait responsable de l’accident de travail de Maxime Wagner. Mais bien par « la violation manifestement délibérée » d’une ou plusieurs obligations de sécurité.
Si la filiale de Vinci est reconnue coupable, les sanctions pourraient être lourdes : jusqu’à 375 000 euros d’amende, interdiction définitive d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles, placement provisoire sous surveillance judiciaire, fermeture définitive des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ou encore communication publique d’une éventuelle condamnation. Contactée par Basta! (voir notre boîte noire ci-dessous), l’entreprise n’a, à ce stade, pas souhaité répondre à nos questions, précisant simplement qu’elle « met tout en œuvre en matière de prévention pour assurer la sécurité et la santé de ses collaborateurs ».
Outre l’entreprise en tant que personne morale, deux employés de Dodin Campenon-Bernard sont également mis en cause personnellement dans la procédure, pour les mêmes raisons que celles développées plus haut. Ils encourent notamment jusqu’à 75 000 euros d’amende et cinq ans de prison.
Une autre entreprise condamnée en première instance pour homicide involontaire
Le 9 juin prochain se tiendra donc le second procès pour un accident de travail mortel sur les chantiers du Grand Paris. En début d’année, la société Urbaine de Travaux du groupe Fayat a été reconnue coupable en première instance d’homicide involontaire à la suite de la mort d’un ingénieur stagiaire de 21 ans, Jérémy Wasson, sur le chantier du prolongement du RER E.
Elle a été condamnée à 240 000 euros d’amende. Une employée a également été condamnée à 20 000 euros d’amende et à deux ans de prison avec sursis. L’entreprise a fait appel. Lors du procès, elle avait plaidé la relaxe, et cela, malgré un rapport accablant de l’inspection du travail, relevant par exemple que le jeune homme était seul dans sa zone de travaux au moment des faits, ce qui ne doit en aucun cas arriver pour un stagiaire.
Deux autres personnes, Abdoulaye Soumahoro en décembre 2020 et Joao Baptista Fernandes Miranda en janvier 2022, ont trouvé la mort sur les chantiers du Grand Paris. Les enquêtes ne sont pas encore terminées. En mars, Alix Bukulin, la substitut du procureur de la République de Bobigny en charge des accidents de travail, nous confiait que les investigations sur la mort d’Abdoulaye Soumahoro sont « extrêmement complexes » : « Dans le tunnelier il y a beaucoup de personnes impliquées, c’est toute une équipe. Sur cette affaire, il y a des difficultés à établir des responsabilités. Ce dossier demande beaucoup de finesse d’analyse ». Sur les chantiers des Jeux Olympiques 2024 et du Grand Paris, au moins douze autres personnes ont aussi été très grièvement blessées.
Pierre Jequier-Zalc