Un centre social hyperactif et populaire menacé par l’austérité budgétaire

par Malo Janin

À la fois studio de musique, banque alimentaire, tremplin professionnel, atelier de cuisine, lieu de rencontres et de conseils... Le centre social Pluriel(le)s de Tours et sa dynamique équipe subissent les conséquences de coupes budgétaires.

« Bonjour, Salam aleykoum ! Vous avez quoi pour nous ? » lance Mamate à tout-va aux commerçants du marché du quartier Sanitas, à Tours (Indre-et-Loire). Accompagné d’une dizaine de bénévoles du centre social Pluriel(le)s, le jeune homme de 18 ans glane de stand en stand. Les cagettes de kakis, dattes et tomates s’amoncèlent peu à peu sur leur chariot bleu. À deux pas, d’autres trient les produits récoltés entre deux tasses de café chaud. Deux fois par semaine, une trentaine d’habitantes dans le besoin se retrouve grâce au centre pour préparer des paniers de produits frais qu’ils pourront rapporter chez eux.

Imaginée par Pluriel(le)s, ce glanage collectif permet de dépasser le malaise de le faire seul. « Ça n’a rien à voir avec de l’aide alimentaire. Ici, les gens sont acteurs de leur alimentation, et surtout ils créent du lien », défend Loïc, employé de centre qui a lancé ce projet. Assise au soleil avec ses amies face à des enfants qui jouent, Lahouaria, 68 ans, attend son panier. « Ça fait sortir de la solitude, de la misère », dit la sexagénaire.

Un homme âgé devant des stands d'un marché en plein air
Glanage intergénérationnel
Jean participe toutes les semaines au tri et à la confection des paniers qui font suite au glanage organisé par le centre social.
© Malo Janin

Le quartier prioritaire Sanitas est situé à seulement dix minutes à pied de la gare de Tours. Plus de la moitié de ses 7800 habitantes vit sous le seuil de pauvreté. « Le Sanitas a la particularité d’être en centre-ville. Mais les barrières restent, elles sont invisibles et symboliques. Certains gamins ne quittent jamais le quartier », souligne Julien, directeur du centre social Pluriel(le)s.

Mais en deux ans, Pluriel(le)s a vu ses ressources diminuer drastiquement. Les charges ont augmenté, et les subventions n’ont pas suivi. En 2024, ses coûts salariaux ont augmenté de 50 000 euros, après une revalorisation des salaires des seize équivalents temps plein, en vertu de la convention collective. « La ville de Tours fait des efforts », tient à préciser le directeur du centre. Elle a augmenté sa subvention de 7000 euros, mais n’a pas pu couvrir la hausse.

En parallèle, le gouvernement a annoncé la fin de certains contrats aidés subventionnés par l’État pour assurer des missions de médiation sociale et culturelle. « D’ici juillet, on peut perdre deux médiateurs, déplore Julien. C’est pourtant eux notre colonne vertébrale. » En conséquence, le centre doit réduire son champ d’action, cesser certaines activités.

Discussions pour les parents, jeux pour les enfants

À une rue de la place du marché, les portes du centre social s’ouvrent sous les arcades d’un HLM. Sur la façade, des pancartes colorées exhibent les actions menées. « Le Sanitas contre les idées d’extrême droite », affiche l’une d’elles. Le centre organise des groupes de discussion pour parler des débats politiques actuels. « L’idée est de questionner les habitantes sur des problématiques qui les concernent », détaille David, l’un des médiateurs concernés par les suppressions de postes.

Derrière la porte, un groupe de personnes s’est réuni ce jour de Saint-Valentin autour du thème « contre l’amour ». « Parce qu’on a que des déceptions ! » rit Loïc, un employé. « Ça nous permet de rompre la solitude, on se fait des amis, on partage nos soucis », témoigne aussi Nathalie, une habitante.

Dans la salle adjacente, des enfants jouent au baby-foot ou aux cartes. Au sous-sol, c’est atelier cookies avec des mères. David, médiateur, la trentaine, connaît tout le monde au Sanitas. Son rôle : faciliter la vie des gens. Il gère les conflits de voisinage, oriente les personnes qui ont besoin d’une aide. « Mon but n’est pas de donner les solutions, mais d’aider les habitantes à les trouver pour améliorer leurs conditions de vie », souligne-t-il.

Studio de musique

Pour toucher les jeunes du quartier, David n’est pas seul. Mighty Ki La, ancienne star du dance-hall martiniquais aujourd’hui médiateur culturel, opère depuis l’arrière du centre social. Il y a installé ses guitares, synthés, et micros pour créer un local d’enregistrement appelé Ti’Studio.

Les futurs rappeurses et musiciennes y sont accompagnées de l’enregistrement à la distribution. Après y avoir fait ses premiers pas, le rappeur Lebk LeKarnage a donné des concerts jusqu’à Paris. « Mais c’est surtout un lieu de rencontre, une safe place pour les jeunes. On se partage des offres d’emploi, des infos sur le quartier », dit Mighty.

L’action permet d’amener des personnes au centre tout en leur proposant une manière de s’insérer. C’est le cas d’Ana Maria, réfugiée politique vénézuélienne aujourd’hui salariée de Pluriel(le)s. La musicienne professionnelle est arrivée à Tours sans parler le français, avec ses deux enfants. Le Ti’Studio lui a permis de reconstruire sa vie. « J’ai pu remonter sur scène, enregistrer des albums. Le centre social est le seul endroit à avoir cru en mes compétences », explique la chanteuse. Mais la fin des contrats aidés adultes-relais pourrait aboutir au départ de Mighty, et à la fin du projet du Ti’Studio.

Soutien contre la précarité

Le centre social permet aussi aux habitantes de sortir de la précarité. Yamina, coordinatrice du pôle « accès aux droits » organise des cours de français pour tous et des ateliers d’écriture pour les personnes en insertion. Elle apprend également aux adhérentes à utiliser les outils numériques. Le droit des étrangers représente la plus grande partie des demandes d’aide. « On accompagne des personnes qui risquent de perdre leur travail, des mamans qui n’arrivent pas à renouveler leur titre de séjour », expose Yamina.

Au pôle « famille », les parents sont accompagnés sur la gestion du temps d’écran de leurs enfants, la parentalité ou encore l’alimentation. Juliette, la référente, accueille principalement des mères au foyer. « Beaucoup passent leur temps à élever leurs enfants et ont vécu des trajectoires de vie compliquées. C’est important pour elles d’avoir des espaces où elles peuvent venir seules », rapporte l’employée.

Un groupe de jeunes devant des photos
Street art
Sur les murs de la galerie associative du Sanitas, les enfants du centre ont accroché les photos prises à Paris lors d’une excursion.
© Malo Janin

Les enfants et adolescents ne sont pas délaissés. « Au centre, on nous apprend à faire confiance, à nous ouvrir aux autres. On peut juste se poser, parler de nos problèmes aux animateurs », témoigne Céliane, 16 ans. Cet après-midi, les jeunes participent à un jeu de piste Koh-Lanta dans Tours. Et ce soir, ils exposent dans une galerie leurs photos prises à Paris l’an passé, lors d’un voyage autour des arts de rue. « Certains jeunes n’avaient jamais pris le train, jamais vu Paris ni la Tour Eiffel ! » pointe Scarab, organisateur de l’activité.

Menaces sur les associations locales

« L’idée, c’est que les habitantes soient autonomes. Le centre n’est qu’un levier pour ça », explique Yasmine, co-directrice. Les exemples sont nombreux. Mathilde, une adhérente du centre, a été accompagnée pour devenir floqueuse textile. Le centre est aussi un tremplin professionnel pour les jeunes adultes, nombreux à venir y faire leur premier stage. Et sur les dix-huit salariées actuelles de Pluriel(le)s, un tiers vient du quartier de Sanitas.

Des affiches sur une vitre
« Recul des services publics, besoins sociaux croissants, surcharge administrative » : sur les fenêtres de Pluriel(le)s, des affiches racontent les difficultés des centres sociaux.
© Malo Janin

Khaled, bénévole de 25 ans, se rend au centre social depuis qu’il est enfant. « On avait que ça à faire », se souvient-il. Il organise aujourd’hui les « tables de quartier » une fois par mois. Ce temps permet de regrouper les habitantes pour travailler à l’amélioration de leurs conditions de vie. Ils et elles y élaborent des actions, développent une stratégie de négociation avec les pouvoirs publics. « Ça concerne le quartier, donc c’est à nous de le gérer. Il faut laisser la place aux gens pour créer leurs propres initiatives », explique le jeune homme.

Des bâtiments
L’été venu, la pelouse de la friche s’anime autour d’une guinguette associative et des différents événements organisés avec l’aide de Pluriel(le)s.
©Malo Janin

Organisateur de nombreux événements tels que les fêtes de la musique et du quartier et open-mics, Pluriel(le)s tisse des partenariats avec les habitantes organisées dans d’autres associations locales. « Ces structures vivent des prestations de service du centre. Il maintient le tissu associatif local », explique Tatum, coordinatrice au sein de l’Archipel, qui tient une guinguette estivale au Sanitas.

« Pour 2025, on a divisé nos prestations et nos achats par deux », soupire le directeur du centre, Julien. C’est la mort des associations locales qui l’inquiète avant tout : « Si on ne peut plus les financer, elles vont crever avant nous. »