Les chambres d’agriculture, un outil au service de la FNSEA ?

par Nolwenn Weiler

La FNSEA contrôle actuellement 95 % des chambres d’agriculture. Aux manettes, le syndicat majoritaire développe son pouvoir d’influence, au détriment de toute transparence.

L’édito de Nolwenn Weiler
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Alors que se tiennent jusqu’au 31 janvier les élections des chambres d’agriculture, un chiffre interpelle : sur les 101 chambres d’agriculture, 97 sont aujourd’hui contrôlées par la FNSEA. Comment expliquer cette mainmise ?

« Les chambres », comme on les appelle dans les campagnes, sont omniprésentes dans le quotidien de celles et ceux qui travaillent la terre. Elles instruisent les dossiers d’installation puis délivrent des conseils techniques au fil des années et des saisons, avant d’intervenir une dernière fois au moment de la transmission des fermes. Elles sont aussi des interlocutrices privilégiées des dirigeants politiques. D’où l’intérêt pour la FNSEA de les contrôler.

Certes, ce syndicat a davantage d’adhérents que ses adversaires, mais le mode de scrutin des élections le sur-favorisent. Via un système de « prime » pour le premier arrivé (comme nous vous le détaillons sur Basta!), la FNSEA se retrouve avec un nombre de sièges particulièrement élevé. Elle a ainsi raflé la quasi-totalité des directions des « chambres » lors des dernières élections, en 2019, malgré les 20 % respectifs de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne.

En plus des élues, le bureau – organe de direction des chambres – comprend des « membres associés », librement choisis par le Président, et quasi-tous encartés à la FNSEA. Ce manque de diversité syndicale a été épinglé par un rapport parlementaire en 2020, qui suggérait de revoir le mode de scrutin des élections. Sans succès.

Une fois installés dans « les chambres », les élues de la FNSEA obtiennent de nombreux sièges dans diverses autres instances agricoles qui disposent d’un important pouvoir décisionnel : on peut citer par exemple la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA) où l’on décide de la pertinence, ou non, de telle ou telle installation ; il y a aussi les Safer qui s’occupent du foncier et de l’attribution des terres ; les tribunaux des baux ruraux qui règlent les litiges entre propriétaires et locataires ; les organismes en charge de la formation…. Bref, un réseau très vaste qui couvre une bonne partie des espaces de vie et de travail de la population agricole.

Pour prendre la mesure de ce réseau, on peut citer l’exemple de l’Orne, où un chercheur a calculé que le cumul des sièges réservés à des élues chambre FNSEA représente un total de 195 places disséminées au sein de 62 institutions !

Tout ce petit monde se croise en réunion mais également dans les couloirs et à la cantine puisque les bureaux de la chambre sont situés dans le même bâtiment que ceux du syndicat agricole. Ce voisinage entre la FNSEA et les chambres prend aussi des visages moins conviviaux et plus formels : tous les mois, les présidents des chambres reçoivent des instructions concernant les mots d’ordre ou éléments de langage de la part du bureau national de la FNSEA.

Un modèle généreux en pesticides

Une place à la « chambre », cela peut aussi être un tremplin vers la politique. En Bretagne, Olivier Allain, ancien président de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor est devenu vice-président de la région en charge de l’agriculture sous le mandat de Jean-Yves le Drian. Cette présence au cœur du pouvoir se vérifie également au niveau national, avec des places au sein d’instances décisionnelles cruciales comme celle qui gère la répartition de l’argent de la politique agricole commune (PAC), soit 9,3 milliards d’euros en France chaque année.

Sans surprise, le modèle agricole défendu au sein des « chambres » est généreux en pesticides et peu friand de normes environnementales. Au sein des séances plénières où se réunissent les élues trois fois par an, on réclame l’abandon du « Nodu » – unité de mesure des quantités de pesticides épandues chaque année sur les terres – par le gouvernement, la possibilité d’utiliser des pesticides dans les zones classées sensibles, ou encore la non obligation de tenir un registre phytosanitaire. Autant d’exemples qui semblent soufflés directement par la FNSEA.

Opacité

Autre problème des « chambres » : leur manque de transparence. Beaucoup d’entre elles n’ont pas de règlement intérieur. Les assemblées plénières et les bureaux ne publient pas toujours leurs compte-rendus (certaines ne le font même jamais), les règles de prises de décisions sont inégales et ressemblent parfois à une boîte noire avec des personnes non élues qui participent au vote alors qu’elles ne sont pas censées le faire.

Côté finances, ce n’est pas beaucoup plus clair. La Cour des comptes s’en est d’ailleurs émue à plusieurs reprises, dénonçant des « coûts injustifiés souvent au profit d’organisations agricoles » via des subventions ou des avantages en nature. Les conflits d’intérêt sont parfois tels que la Cour de discipline budgétaire et financière a déjà condamné plusieurs présidents et anciens présidents de chambres dirigées par la FNSEA.

Sur ce sujet des irrégularités, la Coordination rurale, quand elle est aux manettes, se débrouille assez bien ; au moins dans le Lot-et-Garonne où la Cour des comptes est allée enquêter et a rédigé un rapport accablant sur le manque de rigueur et les entorses à la loi.

Alors qu’une large partie du budget global des chambres d’agriculture – 800 millions d’euros annuels – provient de fonds publics, « le réseau ne dispose pas de données globales récentes sur les activités de ses personnels et leur productivité », s’alarme la Cour des comptes. Il est difficile, en l’absence d’évaluation interne et de centralisation des informations, de mesurer l’efficacité de leurs actions, regrette l’institution de contrôle de la gestion de l’argent public.

Cela dit, sachant que le nombre d’agricultrices et d’agriculteurs installées ne cesse de diminuer alors même que « la coordination de l’ensemble des actions liées à l’installation » fait partie des missions de service public des chambres d’agriculture, on peut avancer sans trop de risques que l’échec des chambres pilotées par la FNSEA est évident. On peut même se demander si leur programme n’est pas plutôt de désinstaller les agriculteurs.