Comment l’accord avec les États-Unis sape les avancées environnementales européennes

ÉcologieClimat

L’accord sur les droits de douane conclu cet été entre l’Europe et les États-Unis remet en cause les mesures environnementales mises en place par l’UE ces dernières années, alerte Stéphanie Kpenou, de l’Institut Veblen. Entretien.

par Rachel Knaebel

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 Basta!  : Les États-Unis et l’Union européenne (UE) ont finalisé pendant l’été un nouveau cadre commercial sur les droits de douane. Fin août, une déclaration commune dessine les détails de cet accord, qui instaure des droits de douane de 15 %, taux en vigueur depuis le 7 août, sur la plupart des exportations européennes. En quoi cet accord est-il déséquilibré ?

portrait de Stéphanie Kpenou
Stéphanie Kpenou est responsable de plaidoyer pour la réforme de la politique commerciale à l’Institut Veblen. Elle est basée à Bruxelles.

Stéphanie Kpenou : Pour l’instant, nous n’avons que cette déclaration conjointe. Il s’agit d’un texte politique et les textes juridiquement contraignants n’ont pas encore été publiés et devraient l’être prochainement. Ce qu’on sait, c’est que l’UE semble avoir concédé le principe de zéro droit de douane sur les biens états-uniens importés ici, alors que la plupart des biens européens exportés, dont les produits agricoles, vont se voir appliquer un droit de douane de 15 %.

Ce que nous trouvons aussi préoccupant, et qui remet en question les engagements climatiques de l’UE, c’est la promesse d’achat aux États-Unis de plus de gaz naturel liquéfié, de pétrole, et aussi d’énergie nucléaire, pour un montant de 750 milliards de dollars jusqu’en 2028. Ce qui impliquerait de tripler les importations américaines actuelles.

« L’Union européenne a l’intention d’acheter du gaz naturel liquéfié, du pétrole et des produits dérivés de l’énergie nucléaire américains pour un montant estimé à 750 milliards de dollars jusqu’en 2028. »
Déclaration commune du 21 août 2025 sur un cadre entre les États-Unis et l'Union européenne en vue d'un accord commercial réciproque, équitable et équilibré

Vous déplorez également des reculs sur des mesures environnementales européennes comme la taxe carbone aux frontières sur les produits importés et la lutte contre la déforestation. Sont-elles sacrifiées avec cet accord ?

Cet accord marque vraiment un recul sur presque toutes les avancées récentes du Pacte vert européen [le « Green Deal »] en matière de politique commerciale. Ce Pacte vert a notamment conduit à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Avec ce mécanisme, les produits importés dont la production n’a pas été soumise à un prix du carbone – ou l’a été à un niveau inférieur à celui de l’UE – se voient appliquer ce prix carbone à leur entrée sur le marché européen. Le règlement sur la déforestation importée [adopté en 2023, ndlr] interdit l’accès au marché européen aux biens agricoles dont les procédés de production engendrent de la déforestation, comme le cacao, le café ou le soja.

« Consciente que la production des produits concernés sur le territoire des États-Unis ne présente qu’un risque négligeable pour la déforestation mondiale, l’Union européenne s’engage à s’efforcer de répondre aux préoccupations des producteurs et des exportateurs américains concernant le règlement de l’UE sur la déforestation, afin d’éviter toute incidence négative sur les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Union européenne. »
Déclaration commune du 21 août 2025 sur un cadre entre les États-Unis et l'Union européenne en vue d'un accord commercial réciproque, équitable et équilibré

Avec ces textes, l’UE commençait vraiment à se préoccuper des impacts de ses modes de consommation dans les pays tiers exportateurs. C’était novateur. Or, dans la déclaration conjointe entre les États-Unis et l’UE sur les droits de douane, déclaration qui reste vague, on se rend compte que l’exécutif européen offre aux États-Unis d’affaiblir ces mesures environnementales sur les marchandises importées, dont les produits agricoles, ou en tout cas de faire preuve de plus de flexibilité dans leur mise en œuvre pour les États-Unis.

« Prenant note des préoccupations des États-Unis concernant le traitement réservé aux petites et moyennes entreprises américaines dans le cadre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, la Commission européenne […] s’engage à œuvrer pour offrir davantage de flexibilité dans la mise en œuvre du mécanisme. »
Déclaration commune du 21 août 2025 sur un cadre entre les États-Unis et l'Union européenne en vue d'un accord commercial réciproque, équitable et équilibré

Il y est aussi dit que l’UE va faire des efforts pour que les directives européennes sur le devoir de vigilance [qui soumet les grandes entreprises européennes ou opérant en Europe à des obligations concernant la protection de l’environnement et des droits humains dans leurs chaînes de production, ndlr] et le reporting extra-financier [qui oblige les entreprises à communiquer sur les impacts sociaux et environnementaux de leur activité, ndlr], ne fassent surtout pas de mal au commerce transatlantique.

On ne connaît pas les tenants et les aboutissants exacts de ces concessions. Ce que cette déclaration montre, c’est que, finalement, l’UE est prête à mettre en jeu ses réglementations environnementales et climatiques dans le champ de négociations commerciales. Et ça, c’est un sérieux recul.

« L’Union européenne s’engage à tout mettre en œuvre pour que la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises et la directive sur le reporting en matière de durabilité des entreprises n’imposent pas de restrictions excessives au commerce transatlantique. »
Déclaration commune du 21 août 2025 sur un cadre entre les États-Unis et l'Union européenne en vue d'un accord commercial réciproque, équitable et équilibré

Craignez-vous que ces concessions puissent avoir des impacts encore plus larges sur la politique environnementale de l’UE ?

Dans la déclaration, il y a une phrase qui dit que l’UE et les États-Unis s’engagent à travailler ensemble pour s’attaquer aux barrières non tarifaires [des réglementations qui concernent par exemple la qualité d’un produit, ses conditions de production, le recours ou non à tels produits toxiques, etc., ndlr] affectant le commerce de produits alimentaires et agricoles. Cela ressemble à un engagement global de l’UE visant à abaisser toutes les normes environnementales, sanitaires, de santé publique, qui seraient de nature à entraver le commerce avec les États-Unis.

On comprend bien qu’en matière de commerce à caractère agricole, l’objectif des États-Unis est d’ouvrir le marché européen à des produits alimentaires américains qui répondent à des normes de qualité inférieures à celles des produits européens. Ceci est inquiétant pour les citoyens, pour notre santé, mais aussi pour les agriculteurs des pays de l’UE, qui vont encore une fois se retrouver confrontés à une forme de concurrence déloyale.

Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas eu plus de résistance de la part de l’UE face à ces concessions, alors que la protection de l’agriculture européenne, d’une part, et la politique environnementale, avec le Pacte vert d’autre part, constituent des enjeux importants pour l’Europe ?

Ce que je vois depuis Bruxelles, sur ce qui concerne le Pacte vert, c’est que depuis la mise en place de la nouvelle Commission, l’année dernière, nous avons vu arriver, avant même cet accord avec les États-Unis, plusieurs lois de « simplification », ce qu’on appelle les lois omnibus. Celles-ci ont commencé à détricoter les avancées environnementales obtenues sous le mandat précédent. Depuis 2025, il y a un vent de recul sur les mesures environnementales.

Aujourd’hui, l’exécutif européen dit que cet accord avec les États-Unis sur les droits de douane est la moins pire des solutions. Dans un premier temps, la Commission devrait – je pense – clarifier sa position. Est-on avec cet accord sur un geste plutôt diplomatique, ou est-on vraiment en train de brader les protections environnementales de l’UE ? La Commission est-elle prête à réaffirmer son engagement à préserver les acquis du Pacte vert ? Nous sommes aujourd’hui dans le flou.