L’heure serait venue de « responsabiliser » les pauvres : une réforme du RSA est prévue pour début juin afin d’en conditionner le versement à 15-20 heures d’activités, sans même attendre les résultats des expérimentations lancées sur le sujet dans 18 territoires. Le Mouvement ATD Quart Monde explique pourquoi il s’oppose à ce chantage à l’allocation.
S’opposer à cette réforme, c’est défendre un modèle de société basé sur la solidarité nationale
Parler du Revenu de solidarité active c’est parler d’un revenu de subsistance de 607 euros par mois : on ne vit pas au RSA, on survit. Quand le RMI a été créé, inspiré par le rapport du fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski, au CESE (Conseil Économique Social et Environnemental), il a été pensé comme une protection inconditionnelle pour celles et ceux qui en ont besoin pour vivre dignement, en référence à la Constitution française.
Évoluant en RSA, ce revenu, au nom d’une logique méritocratique, s’est traduit par un renforcement du contrôle des allocataires. Résultat : si certains allocataires acceptent de signer le contrat d’engagement lié au RSA, malgré des dispositifs d’insertion inadaptés aux bénéficiaires et au marché de l’emploi, un tiers des personnes éligibles préfèrent tout bonnement renoncer à leurs droits. Car, à un parcours semé d’embûches et de ruptures de droits, s’ajoutent trop souvent le poids intolérable de la suspicion de fraudes et des contrôles ubuesques.
Refuser de conditionner davantage le RSA, c’est savoir d’expérience que ce sont les sécurités de base qui permettent de faire face à ses responsabilités et non la peur des sanctions. C’est défendre un modèle de société dans lequel la solidarité nationale ne se marchande pas.
S’opposer à cette réforme, c’est refuser la « pauvrophobie »
Penser qu’il faudrait conditionner davantage le versement du RSA pour retrouver le chemin de l’emploi, c’est accepter l’idée que les allocataires « ne veulent pas travailler » que ce sont des « fainéants » qui « profitent du système » et qu’il faut donc les « responsabiliser », selon la terminologie en vogue. Ces idées fausses gangrènent le débat public.
L’engagement à nos côtés de nombreuses personnes allocataires du RSA et les expérimentations comme Territoires zéro chômeur de longue durée ou celles menées par ATD Quart Monde dans l’accompagnement des personnes en grande précarité vers des formations du secteur de l’animation sociale montrent tout le contraire
La difficulté d’accès à l’emploi des allocataires du RSA dépend moins de leur volonté que de réalités de vie difficiles : équilibres familiaux précaires, absence de solution de garde d’enfant ou de transports, problèmes de santé invalidants, absence de logement décent, discriminations, absences d’offres d’emplois dans certains territoires…
Aujourd’hui, 40 % des allocataires ne sont pas accompagnés, car l’État ne remplit pas son obligation d’accompagnement faute de moyens dédiés. Il y a 20 ans, à la création du RMI, les dépenses consacrées à l’accompagnement atteignaient 20 % du budget dédié au RMI. Aujourd’hui elles sont de l’ordre de 7 %. Peut-on encore croire que l’échec de l’accompagnement relève de la faute des allocataires ? Refuser de conditionner davantage le RSA, c’est arrêter de croire en des idées fausses sur les pauvres et la pauvreté.
S’opposer à cette réforme, c’est croire qu’un autre accompagnement est possible
Avec cette réforme du RSA – et les expérimentations lancées dans 18 territoires – le gouvernement dit vouloir « mieux accompagner » les allocataires. Or, généraliser ce type de dispositif à deux millions d’allocataires supposerait, pour le service public de l’emploi, un effort massif qui interroge au moment où le gouvernement annonce plusieurs milliards d’économies dans les dépenses publiques.
Car, 15 heures d’activités par semaine pour 2 millions d’allocataires, cela représente 30 millions d’heures d’activités hebdomadaires. Où sont-elles ? Quelles sont les structures et les entreprises qui vont les proposer ? Qui va faire le lien entre ces dernières et les allocataires, alors même que les travailleurs sociaux ne sont déjà pas assez nombreux ?
Même avec de la bonne volonté, les agents de pôle emploi ne risquent-ils pas de tomber dans une logique comptable, qui risquerait d’entraîner la radiation massive d’allocataires et nourrir un peu plus encore la maltraitance institutionnelle ?
Rappelons que si l’accès à l’emploi est un levier essentiel de la lutte contre la pauvreté, il n’est pas la seule voie de sortie : nous devons défendre l’accès de tous au logement, aux soins, à l’éducation et aux autres droits fondamentaux, indissociables du droit à l’emploi.
Refuser de conditionner davantage le RSA, c’est croire que d’autres solutions existent : c’est militer pour un véritable accompagnement basé sur la confiance, la reconnaissance des talents et des compétences des personnes.
Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde