Qui pâtit le plus de la crise sanitaire, les actionnaires de Carrefour ou les travailleurs précaires qui jonglent déjà en temps « normal » entre CDD et chômage de moins en moins indemnisé ? Qui souffre le plus des conséquences de la pandémie, les patrons du CAC 40 ou les infirmières et infirmiers, aide-soignantes, médecins qui ont trimé nuit et jour dans les hôpitaux et les Ehpad ? La réponse, vous la connaissez.
« Le groupe Carrefour France vient de mettre 90 000 de ses 110 000 salariés au chômage partiel, payés sur fonds publics, alors qu’il a versé 183 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires », rappelait-on en novembre. Une semaine plus tard, nous relevions aussi que « pour satisfaire les marchés boursiers, Danone annonce supprimer 2000 emplois, tout en versant des milliards d’euros dividendes ».
Les plus précaires, eux, sont les grand oubliés du plan de relance, tout comme les services publics. Même depuis le début de la crise sanitaire, les suppressions de lits d’hôpitaux ont continué à travers le pays. Nous en avons dressé la carte.
Pourtant, les travailleurs de la santé continuent à soigner, même quand ils sont discriminés, comme les médecins étrangers, continuent à croire au service public, à lutter, et à inventer des possibles, comme avec les réseaux autogérés de soignants dont nous vous parlions en novembre.
À Basta!, nous donnons la parole à celles et ceux qui réinventent un travail qui a du sens. Nous avons accompagné des travailleurs du charbon qui voient leur métier disparaître en même temps que leurs centrales rachetées par un industriel tchèque, et foisonnent d’idées pour reconvertir leurs sites (voir nos articles ici et ici). Nous avons aussi rencontré des ouvriers d’une usine de papier en Seine-Maritime, mobilisés pour maintenir l’activité en dépit des volontés de fermeture du groupe finlandais propriétaire, et ceux d’une une coopérative bretonne en train de relocaliser la production de masques, dont nous manquions cruellement au printemps. Nous avons également côtoyé cet automne des travailleurs sans-papiers en lutte pour leur reconnaissance.
Les citoyens sont complètement exclus des décisions sur la crise sanitaire
Nous voulons continuer à vous faire connaître ces combats, ces vies, ces projets qui se concrétisent pour travailler autrement, pour une autre économie, ces expériences d’auto-organisation. Rappelant le rôle qu’ont eu les patients et les citoyens dans la lutte contre l’épidémie de sida, le sociologue Gabriel Girard nous disait : « C’est très impressionnant historiquement de voir cette prise de pouvoir des patients et des personnes concernées, en quelque sorte contrainte et forcée, mais qui a abouti à la création d’une expertise profane très puissante, dont les échos se font toujours sentir aujourd’hui. » Les citoyens sont aujourd’hui complètement exclus des décisions sur la crise sanitaire. « Il serait possible d’avoir un débat collectif sur un plan d’endiguement de l’épidémie, sur comment on le pense nationalement mais aussi localement », ajoutait Gabriel Girard dans l’entretien qu’il nous a accordé.
Contre le sida, c’est l’organisation des premiers concernés, des groupes marginalisés et oubliés des pouvoirs publics, qui a été décisive pour combattre l’épidémie, pour le partage des savoirs, contre la toute puissance des labos pharmaceutiques. D’autres aspirent aujourd’hui à ce que l’auto-organisation et la participation de toute la société soient le chemin à suivre face à la crise sanitaire et économique. « Je vois ici la possibilité d’un monde qui céderait à la tentation de la solidarité », nous confiait l’économiste Eloi Laurent, qui, dans son dernier livre, appelle à refonder l’économie sur la santé et l’écologie. En 2021, Basta! va continuer à explorer ces possibles refondations nourries de solidarité. Faites-le avec nous !
Rachel Knaebel