Face aux incendies, l’ONF en première ligne malgré la baisse des effectifs

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Avec la multiplication des feux en France, l’Office national des forêts doit en faire plus, mais avec moins d’agents. Alors que le réchauffement climatique exige que les forêts s’adaptent pour survivre.

par Guy Pichard

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« Aujourd’hui, la saison des feux est plus longue, de mars à septembre. C’est épuisant pour tout le monde et cela a un impact sur le milieu naturel. » Vincent Leurs est l’un des dix employés de l’Office national des forêts (ONF) dans le département d’Ille-et-Vilaine, en Bretagne. Il est technicien forestier territorial et correspondant départemental au titre de la défense des forêts contre les incendies.

En cette journée de début septembre, le jeune homme nous a donné rendez-vous en forêt domaniale de Liffré, à 20 kilomètres au nord-est de Rennes. Ici, la maisonnette de l’ONF est nichée au milieu des bois. La zone avait subi un feu exceptionnel pour la région en mai 2022.

« Depuis le premier confinement du Covid, nous observons à l’échelle nationale une recrudescence de la fréquentation des forêts par le grand public et elles pèsent davantage dans le débat public également depuis », expose Vincent Leurs.

Des restes d'arbres brûlés.
Les stigmates de l’incendie de 2022 qui détruit la zone sont encore bien visibles sur une partie de la végétation de la forêt de Liffré.
©Guy Pichard

Qui dit plus de personnes à visiter les bois, dit davantage de risques d’incendie, d’autant plus quand les étés se font toujours plus chauds. Selon l’ONF, environ 90 % des feux qui se déclarent dans les forêts en France sont d’origine humaine. Le reste étant majoritairement lié à la foudre, comme c’est le cas régulièrement en Corse.

Il y a les feux criminels, mais d’autres causes existent, comme les travaux, des jets de mégots, un bivouac mal éteint... « Cet été dans les Côtes-d’Armor, par exemple, un camping-car un peu ancien a subi un court-circuit électrique et cela a provoqué un départ de feu, détaille l’agent de l’ONF. Quand en mai 2022, 20 hectares de forêts avaient brûlé dans la forêt domaniale de Liffré, l’incendie avait démarré au niveau de l’autoroute », précise l’homme. Il pourrait donc s’agir d’un jet de cigarette.

Le tournant de 2022

En Bretagne, l’incendie de la forêt de Liffré il y a trois ans a marqué les esprits. « Car à bien des égards, l’été 2022 était annonciateur de ce qui pourrait arriver dans les années à venir », dit Julien Ruffault, chercheur spécialiste des feux de forêt à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). En 2022, plus de 66 000 hectares de forêts avaient brûlé à travers la France, contre plus de 35 000 pour l’instant cette année. 2022 a été la pire année en termes d’incendies depuis vingt ans.

« Pour nous, l’été 2022 est un été comme ils seront fréquents en 2050. C’est une conséquence directe du changement climatique », appuie le chercheur. Autre spécificité de 2022, la majorité des surfaces de forêt brûlées se trouvaient hors de l’arc méditerranéen.

Un homme en t-shirt de l'ONF devant un paysage de forêt et un ciel gris.
Vincent Leurs, technicien forestier territorial de l’Office national des forêts en Ille-et-Vilaine.
©Guy Pichard

« Pour des incendies comme on en a connu il y a trois ans, les trois ingrédients sont la sécheresse, la chaleur et le vent, continue Julien Ruffault. Nous n’arriverons pas à contrer ce type de feux avec plus de pompiers, à cause de leur intensité. Nous devons repenser nos paysages pour empêcher que ces événements arrivent, ou au moins limiter leur probabilité. Cela va de la parcelle forestière à l’agriculture et même au plan d’urbanisme. »

Un travail de fond est nécessaire pour tenter d’adapter notre environnement à des feux comme ceux de 2022. « 2025 a été intense au niveau des feux de forêt, plus que les deux années passées, mais moins que 2022, explique Christophe Chantepy, expert en défense des forêts contre les incendies pour l’ONF. Nos équipes ont tout de même beaucoup été sollicitées cette année, avec comme point d’orgue l’incendie de Ribaute », dans l’Aude. L’incendie qui a touché les Corbières début août a parcouru 17 000 hectares, détruit près de 4000 hectares de forêts, et causé la mort d’une personne. C’est l’un des pires incendies qu’a connus la France depuis des décennies.

« Cet incendie a représenté un tiers des surfaces parcourues par les feux cette année, précise Christophe Chantepy. Nous nous retrouvons dans des conditions où les feux démarrent très vite et gagnent en puissance rapidement, pour devenir hors norme ». Dans ce contexte, l’agent de l’ONF salue « la réactivité de l’ensemble des équipes d’intervention », pour éviter les nouveaux départs de feux. L’ONF déploie par exemple des patrouilles spécifiques pour des interventions sur feu naissant.

Plus de feux, moins de personnel

Avec une saison des feux plus longue et des feux plus intenses, les agents de l’ONF sont de plus en plus essentiels pour la lutte contre les incendies. « Mais on continue de nous laisser dans un manque d’effectifs », dénonce Loukas Benard, secrétaire national de la CGT forêts et agent de l’ONF. Depuis les années 2000, un tiers des effectifs de l’ONF ont disparu, dénonce le syndicat, passant de plus de 12 000 agents à moins de 8000 aujourd’hui.

« Les effectifs sont grandement gonflés par des emplois contractuels ou en formation, ces derniers ne sont pas des employés à part entière, ajoute le représentant syndical. Malgré tout en 2022, l’ONF a arrêté de supprimer des postes et réaffecté un certain nombre de postes à la défense des forêts contre les incendies, précise Loukas Benard. C’est en soi une bonne chose, mais cela cache un déficit global de personnel qui s’accroît et empêche de réaliser toutes les autres missions. »

« Sur le volet de prévention des incendies, l’ONF a vu ses effectifs augmenter, défend au contraire Christophe Chantepy, l’expert de l’ONF. Sans me prononcer sur les effectifs globaux des établissements, je ne peux que vous dire que plus nous serons nombreux pour couvrir le territoire, plus la mission sera pleine et entière. »

La diversité des arbres contre les feux

En plus de tenter de prévenir les incendies, l’ONF agit aussi pour régénérer les surfaces brûlées. Dans sa forêt bretonne, Vincent Leurs travaille à restaurer la vingtaine d’hectares partis en fumée en 2022. Le renouvellement forestier peut prendre plusieurs dizaines d’années. Avec l’incendie de 2022, la forêt de Liffré est ainsi devenue un peu plus silencieuse. Les oiseaux y reviennent doucement, aidés par des aménagements pensés pour eux, comme le dépôt de bois mort.

Une main en gros plan ramasse un petit tas de terre au sol.
Il suffit de soulever légèrement la terre pour retrouver les traces de l’incendie de 2022.
©Guy Pichard

Depuis quelques années, le mantra de l’ONF, c’est la « forêt mosaïque », un principe qui prône la diversité de la forêt, à la fois dans les méthodes de traitement que les essences d’arbres. « C’est une gestion multifonctionnelle de la forêt, car nous avons aussi une responsabilité sur la production de bois, détaille Vincent Leurs. Ici, après l’incendie, nous avons d’abord réalisé un état des lieux. Puis nous avons reboisé, et cela a plutôt bien marché. » Entre les genêts, les résineux réapparaissent.

Multiplier les espèces d’arbres, c’est également se protéger davantage des incendies, certaines essences résistant mieux que d’autres. « Nous essayons aussi de faire un peu de migration assistée, c’est-à-dire qu’avec le changement climatique, le climat va évoluer plus vite que la migration naturelle des espèces, continue l’agent. Une petite partie de notre action est donc de pousser cette migration en allant chercher des espèces un peu plus du Sud, plus adaptées aux évolutions des températures. Typiquement, un chêne sessile est plus adapté au changement climatique que son cousin le chêne pédonculé. »

La forêt est en grande partie un espace géré par les humains, souligne Vincent Leurs : « Il faut sortir de l’idée que la forêt est en France un espace totalement naturel. » Face au changement climatique, l’intervention humaine a pour but de les protéger.