Une quinzaine de bénévoles de l’association Solidarité migrants Wilson s’active sur des tables balayées par le vent. Des dizaines de cafés remplis au thermos et des mètres de sandwichs à la confiture sont distribués à des personnes sans-abri qui patientent en file porte de La Villette, dans le nord de Paris. « Ils sont deux fois moins nombreux que la semaine dernière », observe Carine.
Début octobre, la préfecture de Paris avait interdit les distributions alimentaires dans certains quartiers du nord de la capitale. La décision a été retoquée une semaine plus tard par le tribunal administratif, grâce à la mobilisation d’une trentaine d’associations. Dans une tribune, celles-ci dénonçaient « une politique globale de harcèlement » à l’encontre des sans-domicile dans la capitale. Politique qui s’intensifie à l’approche des Jeux olympiques.
Entre La Chapelle et La Villette, il n’est pas rare pour les maraudeurs des associations d’assister à des contrôles de police alors qu’ils offrent de quoi manger à des personnes sans toit. Avant de lancer leur distribution du samedi, un briefing doit même rappeler aux bénévoles que donner de la nourriture aux plus précaires est une activité légale. « Il arrive que des policiers cherchent à nous intimider en nous disant que nous n’avons pas le droit de donner à manger », explique Antoine, bénévole d’une vingtaine d’années. En plus des intimidations, les tentes et les couvertures des personnes sans domicile sont parfois détruites ou saisies par la police.
« Intensification du harcèlement »
« On remarque une intensification du harcèlement policier depuis déjà janvier. Entre les stations de métro La Chapelle et République, les forces de l’ordre sont présentes matin et soir, avec plusieurs camions de CRS mobilisés pour que les personnes ne s’installent pas », dit Nikolaï Posner, porte-parole d’Utopia 56, association qui vient en aide aux personnes exilées.
Début 2023, l’association a publié sur son site une vidéo de l’une de ces opérations (ici reprise sur France Info). On y voit un policier en train d’utiliser du gaz lacrymogène pour rendre inutilisables les matelas de personnes à la rue. « Nous menons un combat permanent pour essayer de dénoncer cette réalité. C’est très dur à mettre en avant médiatiquement », poursuit Nikolaï Posner.
L’inquiétude est partagée par le milieu associatif depuis que la préfecture de Paris a annoncé que certaines « zones rouges » autour des sites olympiques ne seraient pas accessibles à la circulation des personnes sans-abri pendant les JO. Le parc de La Villette en fait partie, car il doit accueillir le « Club de France », un espace dédié à la célébration des athlètes français. Or, Solidarité Wilson maraude régulièrement dans ce quartier.
L’ensemble de ces « zones rouges » devrait être dévoilé en novembre par la préfecture. 70 associations se sont d’ores et déjà réunies au sein d’un nouveau collectif, « Le revers de la médaille », pour dénoncer le manque de considération des personnes précaires dans cette politique, interpeller le Comité d’organisation des Jeux et la préfecture.
« On veut dès maintenant un plan de prise en charge des personnes exclues, rencontrer les ministères, savoir comment on va faire pour que les points de distributions alimentaires, d’accès au soin ou d’accompagnement puissent se maintenir », insiste Paul Alauzy, porte-parole du collectif et membre de Médecins du monde. Le bénévole alerte sur « l’accumulation des signaux inquiétants » qui lui font craindre « un nettoyage social » de Paris à l’approche des JO.
Les solutions d’hébergement s’amenuisent
Déjà depuis plusieurs mois, les solutions d’hébergement s’amenuisent pour les personnes à la rue. « On sait que 3000 places d’hôtels sociaux ont été fermées pour que les hôteliers puissent loger des touristes pendant les JO. Donc, c’est 3000 places de moins au 115 en Île-de-France », déplore le porte-parole du collectif. En plus, le service d’hébergement d’urgence du 155 est déjà débordé.
De nombreux squats, lieux de regroupement informels pour les migrants en quête d’hébergement, sont aussi visés par des procédures d’expulsion depuis plusieurs mois. « En avril dernier, le squat Unibéton, où vivaient 500 personnes sur l’Île-Saint-Denis a été détruit pour devenir un lieu de construction du village olympique. Deux autres squats de sans-papiers ont été expulsés cet été », énumère Paul Alauzy. Au total, cinq lieux squattés ont été visés en six mois. Ils se trouvaient pour une partie à proximité de zones dédiées aux Jeux olympiques.
« Cette année, dix mois sont déjà passés sans que les 2000 jeunes qui sont à la rue dans Paris soient “mis à l’abri” par l’État », dénonce Kahina, bénévole à l’association Tara, qui prend en charge des mineurs étrangers non accompagnés. L’approche des JO lui fait craindre une situation encore pire. Elle reçoit déjà de nombreux appels de jeunes paniqués à l’idée de devoir retourner à la rue, après avoir reçu une convocation en préfecture leur demandant d’entamer une demande d’asile.
Un non-sens juridique pour leurs avocats, puisque ces jeunes sont déjà en procédure pour faire reconnaître leur statut de mineur non accompagné. La demande d’asile s’adresse uniquement aux majeurs. S’ils se conforment à la convocation, ils risquent de recevoir une obligation de quitter le territoire (OQTF). S’ils refusent, le retour à la rue est certain.
Squats et campements expulsés
En France, les demandeurs d’asile tout comme les mineurs non accompagnés sont censés bénéficier d’un hébergement provisoire en attente de l’évaluation de leur situation. Mais près de 70 % d’entre eux ne sont pas pris en charge en Île-de-France, alors que la région regroupe à elle seule près de la moitié des personnes migrantes récemment arrivées en France.
Pour héberger celles et ceux qui sont expulsés des campements ou des squats, une dizaine de centres d’accueil temporaires ont été ouverts dans plusieurs régions françaises depuis le mois d’avril 2023. Les personnes peuvent y être envoyées sans que leur situation ait été évaluée. « Dorénavant, lorsqu’un campement est démantelé, les migrants sont envoyés en région, où ils passent trois semaines. Après, on évalue leur situation, et s’ils ne répondent pas aux critères de demandes d’asile, on les remet à la rue. Ils se retrouvent en pleine campagne, et le 115 reçoit un nouveau pic d’appel dans une région qui n’est pas préparée pour », soupire Paul Alauzy.
Près de 1600 personnes ont déjà été déplacées de cette manière, selon le ministère du Logement. Le ministère soutient que ce dispositif vise à désengorger l’Île-de-France, sans corrélation avec les Jeux olympiques. Pourtant, ces centres d’accueil temporaire devraient être refermés fin 2024. Une fois les JO terminés.
Aude Cazorla
Photo : ©Anne Paq