Financement des associations : une situation alarmante, des propositions pour en sortir

Société

Multiplication des appels à projets, subventions coupées, mise en concurrence : le secteur associatif fait face à une crise de financement. Mais l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations explore des pistes de « démarchandisation ».

par Malo Janin

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Continuer de percevoir des subventions publiques pour assurer ses missions, quitte à se taire, ou garder son rôle critique vis-à-vis des pouvoirs en place, quitte à perdre tout ou partie de ses subventions. Tel est le dilemme de plus en plus oppressant auquel s’exposent une partie des associations en France. En plus de subir les humeurs politiques, elles sont désormais aussi soumises à la loi du marché. « Le cadre du marché permet à l’État de vérifier qu’on soit de bons petits soldats », déplore Louise, responsable d’équipe à la Cimade, association d’obédience protestante créée en 1939 pour venir en aide aux personnes évacuées de l’est de la France puis aux populations pourchassées par le nazisme.

En 1981, à la création des centres de rétention administrative (CRA), destinés à enfermer les immigrés sans-papiers, la Cimade est seule à intervenir pour assurer un accompagnement humain des personnes enfermées et rédiger des rapports d’activité, notamment sur l’arbitraire administratif ou les violences policières qui y seraient perpétrés. En 2009, cette présence humanitaire au sein des CRA est ouverte à la concurrence, sous forme de marchés publics et d’appels d’offre.

D’autres organisations – parfois moins critiques que la Cimade vis-à-vis des pouvoirs publics – sont choisies par l’État. Et chaque renouvellement de contrat induit de nouvelles clauses, empêchant aujourd’hui la Cimade d’exposer des critiques sur le fonctionnement des CRA dans ses rapports d’activité. « L’État considère que comme on fait des missions de service public, on doit respecter la même neutralité que les fonctionnaires », continue Louise. En mai, une proposition de loi a été adoptée par le Sénat pour bannir les associations des CRA. Ce qui risque d’imposer le silence sur ce qui s’y passe.

Ce basculement concerne tout le secteur associatif, quel que soit le domaine d’activités. Entre 2005 et 2020, la part des subventions dans le budget des associations est passée de 34 % à 20 %. En parallèle, la part de la commande publique a augmenté de 17 % à 29 %. « On est passé d’une politique ascendante où les associations construisaient leur objet associatif à partir de besoins concrets, à une politique descendante qui les positionne en prestataires de services vis-à-vis de l’État ou des collectivités territoriales », déplore l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations dans son rapport Entre marchandisation et démarchandisation, rendu public fin mai.

La subvention respecte un principe d’initiative citoyenne, puisqu’elle n’impose pas de projet particulier et va financer une initiative – culturelle, humanitaire, sociale, éducative, sportive... – qui part du bas, des associations elles-mêmes. Le « processus de marchandisation » par appel à projet s’accompagne, au contraire, d’une perte de sens et de lourdeur administratives. L’association doit tordre ses projets, et parfois en inventer de toute pièce quitte à se déconnecter des réalités, pour satisfaire les critères administratifs. « L’appel à projet c’est aussi l’impact du court-termisme », dénonce Martin Bobel, co-auteur d’un rapport pour le Conseil économique social et environnemental (CESE). Renouvelé de manière annuel, il ne permet pas de construire de projets sur le long terme.

Quand l’entreprise remplace l’association

En plus, la mise en concurrence met associations et entreprises sur le même plan. À Saint-Pol-de-Léon (Finistère), un club nautique associatif a ainsi disparu en 2022, après 40 ans d’existence et malgré le soutien de la population locale, au profit d’une entreprise lucrative. Un appel à projet, lancé par la ville, proposait la création d’un club Mickey qui sortait des compétences du club et une nouvelle activité de kitesurfing que les équipes du club associatif jugeaient dangereuse. L’entreprise, elle, pouvait répondre à ces attentes. « Est-ce la vocation d’une ville comme Saint-Pol-de-Léon que d’investir plusieurs centaines de milliers d’euros pour financer l’activité d’une société commerciale ? » interrogeait alors l’association.

Marianne Langlet, directrice du Collectif des associations citoyennes (CAC) et coordinatrice du rapport, alerte également sur la financiarisation des savoirs et pratiques associatives. « Des start-ups à impact voient le jour : elles ont le goût des associations, la couleur des associations mais ne sont pas des associations. Ces entreprises donnent une valeur monétaire à quelque chose qui n’en avait pas », dénonce-t-elle.

Leur arrivée sur le marché de l’économie sociale et solidaire entraîne les associations dans une logique de financement au résultat. L’évaluation quantitative et ses objectifs chiffrés, aux dépens de la qualité de la qualité de la mission et du temps long, obligent les associations à transformer leurs pratiques pour répondre aux indicateurs.

Le réseau Piments, qui accompagne des jeunes à la création d’une activité professionnelle en Auvergne-Rhône-Alpes, répond ainsi à l’appel à projet d’une fondation en 2022. Lauréat, le réseau Piments découvre qu’il est lié à une obligation d’évaluation d’impact, réalisée par deux cabinets de conseils spécialisés. L’association doit revoir ses budget pour prendre en compte les frais de déplacement, de formation et d’appropriation des outils logiciels imposés.

Elle doit aussi renseigner des listes d’indicateurs, remplir des tableurs, et créer des questionnaires pour les adhérents, là où elle organisait avant un temps de bilan, parfois collectif. Pour Thierry Véclin, coordinateur du réseau, cette culture du chiffrage qu’implantent ces indicateurs, « gomme toute la profondeur, la complexité, la mise en perspective et l’analyse ».

« Ces dynamiques permettent à l’État d’obtenir les bénéfices qu’il veut tout en restant dans le récit de l’autonomie des associations », explique Thomas Chevallier, docteur en science politique à l’université de Lille. Le chercheur souligne que la marchandisation peut aussi s’accompagner d’un dispositif de répression, à coup de subventions coupées. « S’il faut chercher à récupérer la subvention, il faut aussi en assurer le cadre pour la protéger et maintenir ses effets d’émancipation », dit-il.

Comment démarchandiser

Dans son rapport, le CAC explore trois pistes de « démarchandisation », avec plusieurs questions : « Comment repenser la subvention pour lui redonner du sens politique porteur d’intérêt général ? Comment redonner du pouvoir politique et citoyen à la notion de subvention pour mieux garantir l’autonomie associative ? »

En premier lieu, le collectif appelle à s’inspirer des expérimentations de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Ce projet veut redonner aux citoyens le pouvoir de gérer une caisse collective pour choisir leur alimentation, de manière démocratique. La Sécurité sociale de l’alimentation repose sur des caisses locales d’alimentation qui regroupent les différents acteurs d’un territoire et conventionnent les produits et lieux de vente. Un système de cotisation lui permettent de fonctionner.

« Qu’est-ce qui nous empêcherait d’étendre ces réflexions et expérimentations à d’autres champs comme le logement, l’énergie, l’eau ou la culture ? Que nous manque-t-il pour construire cette nouvelle norme économique hors du tout État et du tout capitalisme ? Pourquoi ne pas envisager une Sécurité sociale des associations pour celles qui proposent des espaces de vie démocratique, émancipatrice, sans intention lucrative ? » questionne le CAC. Il s’agirait de penser un système de cotisation sociale avec une gestion de la répartition portée par des instances locales et organisée démocratiquement avec les différents acteurs concernés.

Garantir un statut européen d’intérêt général

Pour protéger le statut des associations, le CAC propose de créer un statut national et européen sur l’exemple belge de l’éducation permanente. Cet équivalent de l’éducation populaire y est protégé par un décret qui garantit aux associations leur fonction de critique sociale, culturelle, économique et politique. Chaque association reçoit ainsi des financements pluriannuels, qui permettent des projets à long-terme.

« C’est l’absence de politique publique européenne qui considérerait les associations comme non marchande qui accélère ce processus de marchandisation », relève Martin Bobel. Le Conseil économique social et environnemental préconise ainsi d’intégrer « les activités associatives non-lucratives dans le champ de l’intérêt général européen afin de protéger l’initiative citoyenne des règles du marché intérieur ».

En dernière piste, le CAC propose de « soutenir l’interpellation citoyenne », afin de positionner les associations en co-constructeurs des politiques publiques, et non en petites mains de leur exécution. Le collectif préconise la création d’une autorité administrative indépendante, en charge d’un fonds qui viserait à financer « toute initiative citoyenne contribuant au débat public sur des enjeux d’intérêt commun posés à l’échelle locale comme nationale ». Ce fonds pourrait être financé avec 1 % prélevé sur le financement public des partis et 10 % sur les réserves parlementaires.

À Rennes, ce genre d’initiatives existe déjà, poussée par la ville qui co-construit les politiques publiques avec les acteurs associatifs. Ils participent à la création des feuilles de routes, à la définition des critères d’utilité sociale et font partie d’une commission mixte d’attribution des subventions. Une charte reconnaît aussi le rôle de contrepouvoir des associations nécessaire au fonctionnement de la démocratie participative.

Et pour couronner le tout, la ville a créé lors de la crise sanitaire un Fonds de solidarité inter-associatif destiné à soutenir les associations touchées par la crise, alimenté par un prélèvement de 2 % à 2,5 % sur les 75 000 euros des subventions attribuées aux associations conventionnées « Il faut qu’on soit conscient de notre force, nous sommes des millions à entretenir des espaces d’échanges », encourage Patricia Coler, du Mouvement pour l’économie solidaire.