Développement durable ?

L’écologie selon La Poste : suppressions d’emplois, malaise social et greenwashing

Développement durable ?

par Thomas Clerget

Engagée depuis dix ans dans un gigantesque plan de restructuration visant à préparer sa mise en concurrence, La Poste ne cesse de communiquer sur les bienfaits de cette transformation. Lancée en grandes pompes à l’automne 2011, la lettre verte serait le symbole d’une politique « respectueuse de la planète et de ses habitants ». Pourtant, au gré des conflits sociaux qui secouent le service encore public, associations de consommateurs et salariés de l’entreprise remettent en cause une stratégie qu’ils considèrent comme une aberration, à la fois sociale et écologique.

Plus 7% en moyenne au 1er janvier 2015. C’est la plus forte augmentation de l’histoire du timbre en France, malgré une très faible inflation. La lettre prioritaire passera de 0,66 à 0,76 euros et la lettre « verte » de 0,61 à 0,68 euros. L’argument de la direction de La Poste ? La baisse de l’activité courrier, qui a quand même rapporté à l’entreprise à capitaux publics 11,1 milliards d’euros en 2013. Le groupe a également réalisé un bénéfice confortable de 627 millions d’euros en 2013. L’usager n’est pas le seul à payer le prix de l’ouverture progressive de ce service public à la concurrence. En dix ans, La Poste a supprimé plus de 66 000 emplois ! Une restructuration massive qui n’a pas fait la Une des médias [1].

En interne, la situation sociale s’est dégradée. En Picardie, des experts constatent une « situation alarmante », mal-être, tensions et souffrance, « avec une présence de symptômes physiques et psychiques » se banalisant chez un postier sur quatre. A Paris, l’inspection du travail pointe du doigt l’organisation du travail après le suicide d’un cadre [2]. Quelques mois seulement après l’annonce par Philippe Wahl, le PDG du groupe, d’une nouvelle « transformation en profondeur » de l’entreprise, les conflits se multiplient dans les agences et sur les plate-formes de tri. Les syndicats dénoncent un climat de répression croissante. Certains craignent que ce ne soit que les prémices de la crise sociale et morale qui a frappé de plein fouet France Télécom en 2008 et 2009, après l’aboutissement du processus de privatisation. Un contexte qui tranche avec la stratégie optimiste affichée par le groupe, qui se lance dans « un projet de conquête et de développement au service du client ».

Un « développement durable » pas très enthousiasmant

Si le prix augmente pour les usagers, si des bureaux ferment, si en moyenne plus de 6 000 emplois ont disparu chaque année depuis 2003, si un mal-être semble se répandre parmi facteurs, guichetiers et conseillers, La Poste ne veut cependant pas rater le tournant du « développement durable »... Son « timbre vert », lancé en grandes pompes à l’automne 2011, constitue l’un des piliers d’une politique plus « respectueuse de la planète et de ses habitants » [3]. Le timbre vert, c’est l’assurance que votre lettre ne prendra pas l’avion, sauf pour la Corse et les DOM. Et ce, pour un coût légèrement inférieur à la lettre prioritaire. « La lettre verte, distribuée en quarante-huit heures, a été conçue pour émettre -15% de CO2 dès à présent et jusqu’à -30% (...) par rapport à la lettre prioritaire. Plus cette offre sera choisie par les clients, plus l’impact sur l’environnement sera favorable », vante alors sa communication. Seule contrainte : une lettre verte mettra 48h à arriver à destination, une journée de plus que son homologue prioritaire.

La Poste serait si soucieuse de l’écologie qu’elle semble favoriser dans ses agences la vente des lettres vertes aux dépens des autres produits. « Les guichetiers sont incités à vendre prioritairement le timbre vert », dénonce l’UFC Que choisir en 2013. Une politique d’incitation commerciale que dément la direction. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’Arcep, ouvre cependant une enquête, Clôturée en février 2012, elle pointe plusieurs incitations avantageant la lettre verte, comme l’octroi de remises exceptionnelles aux revendeurs, les buralistes par exemple, ou l’indisponibilité des autres produits au guichet ou dans certaines machines automatiques en agence. Depuis, « rien n’a bougé », déplore Nicolas Galepides, secrétaire fédéral du syndicat Sud-PTT et représentant des salariés au CA de La Poste.

Une vision de l’écologie qui coûte cher aux usagers

Pourquoi La Poste fait-elle tout pour promouvoir son timbre vert ? Sa direction serait-elle devenue écologiste, voire décroissante ? Pas vraiment. Il s’agit d’abord d’un joli tour de passe-passe commercial, qui a permis d’augmenter de fait le tarif économique. Avant l’arrivée du timbre vert, La Poste proposait deux tarifs : le timbre rouge ou « lettre prioritaire », livré en J+1, et l’écopli, de couleur verte, livré en J+2. A l’automne 2011, ce dernier, moins cher de cinq centimes, change de couleur et devient gris. Il voit son délai de livraison passer à quatre jours. Pour assurer le même service en 48h, le timbre vert le remplace... à un prix plus élevé, 57 centimes au lieu de 55. Des associations de consommateurs protestent. La CGT dénonce l’équivalent postal de la « troisième classe SNCF », abolie en 1956 au nom du principe d’égalité de traitement des usagers. En vain. Entre 2011 et 2014, le prix de la lettre verte s’envole de 15 %, tandis que la lettre prioritaire augmente de 14 %.

Les usagers ne sont pas les seules victimes de ce marketing vert. La lettre verte permet aussi de restructurer en profondeur, aux dépens des conditions de travail des agents et... de l’écologie. Pour les représentants des syndicats Sud-PTT et CGT, majoritaires au sein de La Poste, cette promotion massive du timbre vert au détriment de la lettre prioritaire vise à saper, lentement mais sûrement, le principe même de la livraison en 24 heures. Objectif : réduire les coûts de fonctionnement de l’entreprise. Pour les postiers, historiquement attachés à la conception d’un service public égalitaire et performant, et notamment à la norme du J+1, la pilule verte est difficile à avaler.

Adresser un courrier en 24h coûte cher. Son acheminement implique un recours massif au transport aérien. Une douzaine d’avions affrétés par la compagnie Europe Airpost – l’ancienne Aéropostale – effectuent, chaque nuit, de Brest à Marseille en passant par Toulouse, Lyon et Paris, près de quarante liaisons. Sans compter les vols opérés par Air France. Pour La Poste, la facture totale s’élève à 120 millions d’euros par an, soit le plus gros budget de dépense externe du groupe. Une facture qui a gonflé après 2007, quand le groupe s’est séparé de sa filiale Europe Airpost, alors bénéficiaire, pour la vendre au groupe irlandais Air Contractors. Une décision justifiée, selon la direction, par les coûts de renouvellement de la flotte d’avions et par le basculement annoncé du trafic aérien vers le transport ferroviaire, plus « propre » du point de vue environnemental.

De l’aérien au ferroviaire, du ferroviaire aux... camions

Deux ans plus tard, La Poste décide pourtant une réduction du nombre de rotations effectuées quotidiennement par le TGV postal. Et ajourne le développement d’une filiale commune avec la SNCF. Au printemps 2014, c’est le retrait pur et simple des sept demi-rames du TGV postal qui est annoncé. La Poste souhaite désormais développer le fret combiné : l’acheminement du courrier en containers mobiles, alternativement transportés par camion et sur le rail. Ce mode de transport ne devrait concerner qu’une partie des plis : courrier lent, courrier d’entreprise, presse et « petits objets ». Et le plan d’investissement ne prévoit l’acquisition que d’une vingtaine de containers. Malgré la création prochaine d’une grande plate-forme multimodale en région parisienne, ajoutant le transport fluvial à ces possibilités, la mise en place des « caisses mobiles » sera-t-elle suffisante pour éviter que l’essentiel du trafic qui n’est plus acheminé par avion (lettre verte oblige), ni par TGV (bientôt supprimé), ne se retrouve massivement sur les routes ?

Acheminer le courrier, cela signifie le ramasser, le trier puis le distribuer. D’énormes plateformes industrielles de courrier (PIC) ont fait leur apparition. Un budget supérieur à trois milliards d’euros a permis l’acquisition de machines de tri nouvelle génération, capables de traiter jusqu’à 35 000 enveloppes par heure. Des centres de distribution disparaissent. Conséquence directe, La Poste vit un gigantesque plan social silencieux. Depuis 2003, près d’un salarié sur quatre est parti (en effectif mensuel moyen).

Aberrations sociales et environnementales

Les postiers soulignent aussi les aberrations logistiques causées par cette industrialisation du tri. Les zones couvertes par les plateformes industrielles sont de plus en plus vastes. Chaque courrier collecté doit y transiter, avant de repartir vers son point de livraison. Traduction : un courrier posté à Briançon dans les Hautes-Alpes, à destination de la même commune, doit parcourir 250 kilomètres pour gagner la plateforme de Marseille, avant de repartir en sens inverse pour être livré à son destinataire. Un trajet total de 500 kilomètres ! Difficile d’imaginer comment l’allongement des distances parcourues par le courrier local, qui représente entre 30 et 50 % du trafic, pourrait ne pas augmenter les quantités de CO2 générées par ses aller-retours. Sans oublier l’augmentation des temps de déplacement domicile-travail occasionnée, pour le personnel, par la fermeture des centres de tri intermédiaires.

« Ce nouveau réseau de production et de distribution du courrier, qui repose sur une optimisation des liaisons de transport, permet une réduction structurelle des émissions de CO2, indique cependant le groupe dans son Rapport développement durable 2013. Entre 2008 et 2012, le nombre de kilomètres parcourus a baissé de 4,7 %. » Les représentants du personnel demeurent sceptiques : « On nous donne le nombre de tournées, le nombre de courriers ; on nous dit : actuellement, il y a tant de salariés, tant de trafic, tant de parts de marché. Mais nous n’avons aucun moyen de vérifier les informations qui nous sont communiquées par La Poste », regrette Luc Grolé, responsable syndical de la Fédération CGT des activités postales et de télécommunications.

Augmentation de plus de 12 % des émissions de CO2

Charge à La Poste de donner des gages de confiance sur la validité des données qu’elle produit. En attendant, certaines données des rapports « développement durable » et « responsabilité sociale » publiés par le groupe entre 2006 et 2012 disent le contraire. Ils laissent apparaître une augmentation de plus de 12 % des émissions de CO2 liées aux activités de transport [4]. A comparer avec un chiffre d’affaires en hausse de 8 % sur la même période. Et à l’engagement du groupe de réduire ses émissions de 20 % d’ici 2018... Un objectif ambitieux qui cache cependant – encore – une subtilité.

Cette réduction de 20 % s’applique uniquement aux émissions directes de La Poste, ce qui a pour conséquence d’exclure l’ensemble des opérations de transport effectuées en sous-traitance. C’est à dire, en 2013, pas moins de... 60 % des émissions de CO2 du groupe, dont celles de ses prestataires aériens ! L’externalisation massive des activités, avec son lot de précarité, est une autre facette des transformations engagées par l’entreprise depuis dix ans. Alors, une seule certitude : le nouveau modèle d’organisation industriel mis en place à La Poste est un modèle pauvre en emploi. Quant à ses effets positifs d’un point de vue écologique, ils restent encore à démontrer.

Thomas Clerget (avec Ivan du Roy)

Photo : CC Mypouss

Notes

[1Voir cependant l’enquête d’Elsa Fayner et de Sébastien Vassant, « Bougez avec La Poste », parue dans La Revue dessinée n°4, été 2014, ou le livre de Sébastien Fontenelle, Poste stressante, une entreprise en souffrance, éditions du Seuil, Paris, 2013.

[2Voir par exemple cet article de Libération, ou du Parisien.

[3Rapport RSE 2012 du Groupe La Poste, paru en 2013.

[4Source : rapports « développement durable » et RSE, années 2006 à 2012, groupe La Poste. Les données retenues sont les émissions de gaz à effet de serre (GES) en tonnes équivalent CO2, à l’échelle du groupe, tels qu’énoncées par ces documents.