Photo : Gongashan
Située en Seine-Saint-Denis, aux portes de Paris, la maternité des Lilas, est connue bien au-delà des frontières de l’Île-de-France. Ouverte en 1964, elle fait partie des rares hôpitaux qui considèrent que l’accouchement est un événement de vie avant d’être un événement médical. « Un accouchement est un acte physiologique, et non pathologique », rappelle Marie-Laure Brival. Gynécologue obstétricienne et chef de service, elle travaille aux Lilas depuis 1982. Elle est aussi porte-parole du collectif de défense de la maternité, désormais en danger. « Ici, nous nous efforçons de minimiser la médicalisation, tout en étant extrêmement vigilants sur les problèmes qu’il pourrait y avoir. »
Les choix et les préférences des femmes qui viennent accoucher aux Lilas sont respectés, tant que la sécurité de la mère et de l’enfant le permettent. Elles peuvent, par exemple, se mettre accroupies au moment où le bébé arrive. Alors que dans la plupart des hôpitaux du pays elles sont tenues de rester allongées sur le dos, les pieds dans les « étriers », une posture qui facilite le travail des sages-femmes et des médecins, mais qui est des plus inconfortables.
Naissances comme avortements, sans discriminations
Elles peuvent aussi choisir le moment où elles demandent une péridurale. « Le médecin anesthésiste est à la disposition des femmes, et non l’inverse. C’est assez rare », souligne une femme ayant accouché deux fois aux Lilas. Autre particularité de l’accompagnement singulier dans cette maternité : la place réservée aux pères. Certains, dont les enfants sont nés il y a plus de vingt ans, se souviennent avec émotion de leur « droit » de pouvoir donner le premier bain à leur petit. « Les groupes de pères, qui peuvent se réunir pour être accompagnés tout au long de la grossesse, ont souvent fait sourire , se souvient une mère. Pourtant, beaucoup d’hommes ont pris de l’assurance grâce à ces groupes. » Sans compter que les soins prodigués aux enfants par les pères sont un rouage essentiel du partage des tâches à la maison.
Autre activité de la maternité : la planification familiale, la contraception et les avortements. 1.300 interruptions de grossesse y sont pratiquées chaque année. Là aussi, l’accompagnement se veut singulier et respectueux des choix des femmes. « Pour nous, la vie d’une femme peut être parcourue par une naissance mais aussi par une grossesse non prévue et non désirée qu’elle décide d’interrompre, décrit Marie-Laure Brival. Il n’y a pas les gentilles femmes qui auraient des enfants, et les mauvaises qui choisiraient d’avorter. La qualité de l’accueil qu’on leur propose fait que beaucoup d’entre elle reviennent chez nous pour, ensuite, accoucher. Elles ne scindent pas ces deux moments de leur vie. Alors qu’elles le font souvent, ailleurs. »
Changement de cadences
La dimension à taille humaine et l’ambiance familiale des Lilas, qui a séduit des milliers de couples depuis les années 60, se sont modifiées au fil du temps. À la fin des années 90, commence, dans toute la France, le démantèlement de l’hôpital public. Dont fait partie la maternité des Lilas, « hôpital privé à but non lucratif ». L’introduction progressive de la tarification à l’acte (T2A), à partir de 2003, contraint le personnel à accélérer la cadence. « Quand je suis arrivée en 1982, nous faisions 950 naissances par an, se souvient Marie-Laure Brival. Nous sommes passés à 1.700 aujourd’hui, mais le personnel est à peine plus nombreux. »
La « tarification à l’activité » modifie en profondeur les modes de financement des hôpitaux publics. La logique de moyens, qui prévalait jusqu’alors, cède la place à une logique de résultats. Objectif : réaliser des gains de productivité. Mais l’exigence de rentabilité n’est pas vraiment compatible avec les pratiques des personnels soignants. Habitués à prendre soin, justement. Sans compter. « Nous avons maintenu au maximum la qualité de notre accueil, poursuit Marie-Laure Brival. Mais au prix d’un surinvestissement du personnel. » Chantal Birman, sage-femme, qui a exercé pendant quarante ans aux Lilas, se souvient qu’il a été difficile « de passer d’une ambiance attentive et prévenante à une obligation de rendement. On court d’une femme à l’autre. On ne mange pas, on n’a pas même le temps d’aller aux toilettes en douze heures de garde ! »
Pas assez grand au goût des gestionnaires
Autre composante du délitement de l’institution hospitalière : la création de grands pôles hospitaliers, dotés de multiples compétences. Et la suppression des petits hôpitaux de proximité. Depuis 1997, plus de 50 maternités ont ainsi été supprimées. Entre 2000 et 2006, au moins autant de centres IVG ont été condamnés. Mais la maternité des Lilas, qui a pourtant le profil des unités que l’on ferme à tout-va, semble échapper à l’hémorragie. Mieux : un projet d’agrandissement est lancé, la maternité est rentable mais jugée trop vétuste et exiguë. « Nous avons décidé de construire un nouveau bâtiment, toujours aux Lilas, précise Marie-Laure Brival, pour nous permettre de passer à 2.500 naissances annuelles. » En 2008, le projet est acté par les différentes institutions – municipalité, conseil général, conseil régional – par l’agence régionale de santé (ARS) et par l’ancienne ministre de la Santé, Roselyne Bachelot. Un terrain est acheté. Le permis de construire est obtenu.
Las, au printemps dernier, la nouvelle tombe comme un couperet : sous l’égide de Claude Evin (ancien ministre socialiste de la Santé), l’ARS Île-de-France suspend le projet d’agrandissement. Créées en 2010, les ARS remplacent les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass) et les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass). Officiellement mises en place pour décentraliser le système de santé, elles sont surtout très attachées à la rentabilité financière du secteur. Les raisons de la décision prise pour la maternité des Lilas sont confuses. L’ARS évoque le rapport d’une inspection effectuée en 2010, à la suite d’une plainte d’anesthésiste, qui justifierait un changement de projet.
Vers la privatisation ?
Une personne travaillant au sein de l’ARS confie que ce rapport a été examiné assez rapidement. Et que les arguments soutenant la décision de suspension des travaux sont peu étayés et peu nombreux. Parmi les mille et une rumeurs qui courent sur le sujet depuis la fin du printemps : le fait que les anesthésistes rechigneraient à venir travailler dans un endroit où ils doivent s’adapter au rythme des femmes (et non l’inverse), évoqué comme une des raisons possibles de la fermeture. « Mais cela aussi avait été examiné avant la décision d’agrandir, relève une membre du collectif. Et il avait été conclu que cela ne posait pas de souci. » Dans les couloirs de l’ARS, certains s’étonnent même qu’une maternité qui ne connaît pas de difficultés économiques particulières soit menacée de fermer.
Alors pourquoi ce revirement des autorités ? Pour Marie-Laure Brival, il est clair que la maternité est finalement prise dans le vaste mouvement de désengagement de l’État des services publics. La France brade ses hôpitaux, très performants, et que de nombreux pays nous envient, au privé. « Début juillet, l’ARS nous a conseillé de nous rapprocher d’un fonds de pension australien, Ramsay santé, qui prévoit la création d’un nouveau pôle de santé ! », tempête le docteur Brival. Présenté sur son site web comme un « acteur international de l’hospitalisation privée », Ramsay Santé possède neuf cliniques en France, principalement dans la région parisienne. Parmi ses unités de soins : la clinique de la Muette, à Paris. Où accouchent des « people », telle Rachida Dati. Et où il faut compter sur une (très) bonne mutuelle pour ne pas s’endetter à l’occasion de la naissance de son enfant.
Pour faire face à la décision inattendue et douloureuse de l’ARS, le personnel des Lilas a décidé de créer un collectif. Constitué en association loi 1901, il réunit les divers corps de métier assurant le fonctionnement de l’hôpital : sages-femmes, auxiliaires de puériculture, médecins, personnel administratif, agents d’entretien. Investi dans la coordination nationale des comités de défense des maternités et hôpitaux de proximité, le collectif est soutenu par de nombreux usagers, par des syndicats, des politiques et autres personnalités publiques. Il a, depuis le mois de juin, multiplié réunions, communiqués de presse et manifestations. Et il entend bien mener la lutte jusqu’à ce que l’ARS revienne sur sa décision. Une pétition demandant le maintien du projet de reconstruction a déjà recueilli 6.000 signatures. Prochain rendez-vous : le 24 septembre, à 11h, devant la maternité des Lilas... pour défendre son maintien, et une certaine idée du service public et de la découverte de la parentalité.
Nolwenn Weiler