Cet article a initialement été publié dans Transrural Initiatives.
« Ces deux dernières saisons, nous avons perdu 3 000 clubs, essentiellement ruraux. Chaque année c’est cinq à quinze clubs qui disparaissent dans chaque département ! », s’emporte Eric Thomas, président de l’Association française de football amateur (Affa). Le football amateur, qui compte en France plus de 15 000 clubs et deux millions d’affiliés, subit une lente hémorragie en milieu rural. « Pour beaucoup de villages, c’est le seul espace qui permet de rassembler les gens : le football amateur est un vrai ciment social qui amène de l’activité quand les enfants viennent jouer le samedi et quand les séniors disputent leurs matchs le dimanche », ajoute Eric Thomas, lui-même dirigeant d’un petit club rural en Indre-et-Loire.
Bénévolat en berne
Le football amateur rassemble près de 350 000 bénévoles, essentiellement des petites mains passionnées mais qui, comme dans l’ensemble du monde associatif, vieillissent et souffrent de non-renouvellement. « On ne soulignera jamais assez l’investissement des dirigeants bénévoles, l’énergie qu’ils y mettent et la passion qui les anime. Quand j’ai commencé le foot en 1980, certains dirigeants qui nous encadraient alors sont encore au club aujourd’hui... et toujours dirigeants », souligne Jean-Christophe Marsault, président du club de football de Paizay-le-Tort dans les Deux-Sèvres. Besoin d’administrateurs, d’entraineurs, de bénévoles pour entretenir les infrastructures ou encore de parents lors des déplacements pour les matchs, le ballon rond demande beaucoup d’investissement humain. Mais l’engagement bénévole est également mis à mal par le manque de financements et de nombreuses contraintes administratives.
« Il existe un foot amateur à deux vitesses, entre un foot des agglomérations avec de grosses infrastructures et un foot rural qui fait chaque jour avec les moyens du bord », explique Eric Thomas. Les clubs ruraux souffrent en effet de la baisse des financements de la part des collectivités et tentent parfois de fusionner avec d’autres pour améliorer leurs conditions et continuer à attirer des jeunes qui préfèrent s’inscrire dans les clubs urbains, mieux équipés. « Le souci majeur est de ne plus avoir nos propres catégories de jeunes pour alimenter à l’avenir les équipes seniors et assurer la pérennité du club, s’inquiète Jean-Christophe Marsault. Une des solutions est en effet de fusionner mais il y a la peur de perdre l’identité de son propre club... »
Un football lourdement taxé par la Fédération française de football
Mais selon l’Affa, ce sont aussi les amendes et les tâches administratives, imposées par la Fédération française de football (FFF) et les Ligues régionales, qui asphyxient les clubs amateurs. Les nombreuses sanctions pour une ligne du terrain mal tracée ou une feuille de match mal remplie, sont localement perçues comme des taxes destinées à financer la FFF. « Dans mon club, sur un budget de 100 000 euros, 20 000 euros partent en direction des instances rien qu’en licences, amendes administratives ou indemnisation des arbitres, explique Eric Thomas. Je viens de recevoir la rétrogradation d’un arbitre parce qu’il a eu un jour de retard pour déclarer un carton rouge donné à un joueur lors d’un match. C’est absurde quand on sait la difficulté à trouver et former des arbitres. La Ligue régionale nous étouffe administrativement au lieu de nous soutenir. » La Ligue du Centre compte ainsi à peine huit salariés pour près de 85 000 licenciés, délégant aux bénévoles de clubs de nombreuses tâches administratives annexes.
Au-delà des contraintes administratives dont souffrent les clubs amateurs, ces dernier fustigent le manque de transparence et de démocratie au sein de la FFF. Pour exemple, les 44 clubs professionnels (qui jouent en Ligue 1 et 2) votent directement pour la présidence de la FFF et représentent 37% des votes alors que les 15 000 clubs amateurs votent indirectement via les instances régionales. Ce manque de démocratie traduit, pour Eric Thomas, le mépris du football professionnel envers le football amateur.
« L’affaire de Luzenac »
Symbole de ce dédain, « l’affaire de Luzenac » a grandement secoué cette année le monde du football. Club amateur d’une commune ariégeoise de 650 habitants, Luzenac, après avoir gravi toutes les marches des championnats amateurs, s’est vu refuser son entrée dans le tournoi professionnel, pour, selon Eric Thomas, « ne pas écorner l’image marketing du foot professionnel réservé à de gros clubs nationaux et ne pas avoir à déverser des millions d’euros de droits de télévision à un petit club ».
Enfin, de nombreuses décisions prises au sein de la FFF sont imposées sans aucune transparence aux clubs locaux. « Depuis un mois, la FFF oblige les clubs à acheter exclusivement des minibus Volkswagen sous peine de ne pas recevoir l’aide prévue à cet effet dans le cadre du Fonds d’aide au football amateur. On ne peut ainsi plus acheter ce qu’on veut et à plus bas prix parce que la Fédération vient de signer un partenariat avec la marque automobile, raconte Eric Thomas. Autre exemple, la FFF ne subventionne désormais que la construction de terrains couverts et prévus pour sept joueurs... alors que le foot se joue à onze. J’en perds mon football… »
Le rôle social du « foot d’en bas »
Deux visions du ballon rond se confrontent ainsi entre une Fédération qui salue les récents investissements massifs dans les clubs professionnels comme « une nouvelle manière de consommer le football » et les clubs amateurs, qui se définissent eux-mêmes comme « le foot d’en bas », garant « d’une certaine idée du football, faite de morale, d’éthique et de justice ».
Cependant, affirme Eric Thomas, « un vrai football d’avenir se fera en travaillant main dans la main, entre football professionnel et amateur ». Vote direct des représentants de la FFF par internet grâce au numéro d’adhérent, financements de terrains synthétiques moins coûteux en entretien et en investissement bénévole, féminisation du football pour recruter de nouveaux jeunes… les idées portées par l’Affa ne manquent pas pour donner « un rôle social » au foot, pour qu’un club reste « un lieu de solidarité, de partage d’expérience et d’échanges » mais aussi et surtout pour que le football rural ne reste pas sur le banc de touche.
Mickaël Correia (Transrural) et Emmanuelle Malnoë
Article initialement publié par le magazine Transrural initiatives. Voir sa présentation sur notre page partenaires.
Photo : Match entre le club de Luzenac (Ariège) et le Red Star (Seine-Saint-Denis), le 13 septembre au stade de Foix / CC Groundhopping Merseburg