À l’école maternelle et élémentaire Ambroise Paré de Colombes (Hauts-de-Seine), il n’est pas encore l’heure de la rentrée que déjà des cours ont repris. Et pas n’importe lesquels : ceux destinés aux adultes désireux
ses d’apprendre ou de reprendre le vélo. La vélo-école – lancée cette année – accueille un petit groupe de femmes pour un stage de trois jours dans la cour d’école désertée et un garage aménagé pour l’occasion.Appréhender les virages, garder l’équilibre tout en pédalant, gérer la vitesse pour ne pas se faire peur : autant de réflexes qui peuvent sembler évidents à celles et ceux qui ont appris le vélo enfant. Pour les femmes présentes ce jour-là, tous ces gestes ne sont pas encore automatiques et leur apprentissage pas forcément facile. « Essaye de ne pas prendre trop de vitesse », lance Philippe Terrot, l’instructeur, à l’une d’elles, juchée sur un petit vélo bleu dont les freins crissent.
« J’ai dû vendre ma voiture, car ça me revenait trop cher »
Micheline El Hadri est la doyenne du groupe présent ce mardi matin. À bientôt 60 ans, elle fait ses premières armes sur un biclou prêté par la vélo-école. « J’ai dû vendre ma voiture, dit-elle. Je suis au RSA et ça me revenait trop cher. Donc maintenant, il faut que j’apprenne le vélo, je n’ai pas le choix. » Elle est venue à la vélo-école pour le stage, mais elle compte bien intégrer la nouvelle promotion d’élèves cyclistes en septembre.
Les cours de Mieux se déplacer à bicyclette (MDB) se veulent accessibles à toutes les bourses. Moyennant 30 euros, adhésion à l’association incluse, les nouvelles et nouveaux inscrit es peuvent se rendre à une dizaine de séances. Les vélos sont fournis parmi une flotte composite, entre flambant neufs et récup. « Notre souci actuellement, c’est plutôt de trouver assez de formateurs, regrette Philippe Terrot. Il faudrait que la formation qualifiante soit prise en charge financièrement. »
Pour Micheline El Hadri, le vélo représente à terme surtout un moyen de transport du quotidien, « pratique pour les courses et pour les petits trajets », précise-t-elle. « Je n’ai pas eu l’occasion d’apprendre à faire du vélo quand j’étais jeune, comme mes enfants actuellement. Je le regrette aujourd’hui, car quand je vois d’autres gens en faire, ça me donne envie, ajoute la sexagénaire. Après, sans voiture, ça ne va pas être évident, sachant qu’un de mes enfants est handicapé. Mais je verrai comment faire quand j’aurai appris à faire du vélo correctement. Puis ça fait toujours une voiture de moins pour l’atmosphère. »
Sarah et Mounia, toutes deux trentenaires, ont déjà appris à faire du vélo avant le stage. « J’ai appris étant enfant, mais je n’ai plus du tout fait de vélo ensuite, donc j’ai tout oublié », rapporte Sarah. Inscrite depuis déjà un an an sur la liste d’attente de la vélo-école, elle participe aujourd’hui à ce stage de trois jours et espère faire partie des élèves de la prochaine session longue de formation.
« Pour ma part, j’ai appris adulte, mais je viens ici pour gagner en confiance, car ça me fait peur de pédaler en ville, notamment au vu du manque de pistes cyclables sécurisées », détaille Mounia. C’est le but d’une session également proposée par la vélo-école à la suite des cours d’apprentissage du vélo. « La deuxième session se passe, elle, directement en ville pour des mises en situation réelle », explique Philippe Terrot. Pour Mounia, sur liste d’attente depuis mars, le passage en deuxième session pourrait être plus rapide que prévu, vu son aisance sur le parcours.
« Mon fils de sept ans aimerait bien faire des balades avec moi »
Malgré les quelques différences de niveau, l’atmosphère est bon enfant. Les participantes s’encouragent et rient parfois de leurs frayeurs. « Avant de venir ici, j’avais demandé à plusieurs personnes de m’aider. Mais elles me disaient soit qu’elles n’étaient pas disponibles, soit que c’était “facile” », dépeint Sarah.
L’objectif d’emprunter le vélo pour le trajet quotidien jusqu’au travail est récurrent chez la majorité des participantes qui travaillent à Colombes et ses alentours. « Il y a peu de transports en commun à Colombes et les bus ne sont pas fiables, critique Mounia. Le vélo, c’est beaucoup plus pratique. Pour ma part, je sors aussi beaucoup le soir et quand il y a eu les émeutes, il n’y avait tout simplement plus de bus. »
Les deux femmes apprennent le vélo autant pour elles que pour les personnes qu’elles côtoient. « Mon fils a sept ans et comme il sait déjà faire du vélo, il aimerait bien faire des balades avec moi », confie Sarah. Mounia, elle, est enseignante et apprend aussi le vélo pour ses élèves : « L’année prochaine, mon établissement organise un rallye-vélo sur les bords de Seine. Il faut que je sois prête à ce moment-là ». L’enseignante poursuit d’ailleurs aujourd’hui la transmission de cet apprentissage dans son travail. « Au bout de deux-trois séances, on voit que certains sont déjà à l’aise et puis ça pousse les parents à se pencher sur la question. »
« Apprendre le vélo est une fierté »
Ismaïl Wissal, 36 ans, est radieuse. « Le vélo, ça me fait tout de suite penser à des images de femmes libres dans la bande dessinée ». Arrivée en France depuis la Syrie il y a sept ans, Ismaïl Wissal vit ses premiers cours à la vélo-école comme un « défi », qu’elle aborde avec joie. « Quand j’arrive à tenir en équilibre et pédaler, je le ressens comme une vraie victoire. »
Les cours de la vélo-école rassemblent le plus souvent seulement des femmes. Philippe Terrot confie son hypothèse : « L’ego des hommes fait qu’ils ne s’inscrivent pas en disant qu’ils maîtrisent déjà suffisamment le vélo ou qu’ils apprendront tout seul. »
Déterminée à continuer les cours en septembre, Ismaïl Wissal compte bien, à l’avenir, aller à son travail à Nanterre en vélo. « Pour aller à Paris, ce ne sera sûrement pas évident, donc je pense continuer à prendre les transports en commun. Je ne me vois pas conduire une voiture, apprendre le vélo me semble beaucoup plus facile », détaille la trentenaire.
L’apprentissage du vélo résonne également beaucoup avec son passé syrien. « Les femmes qui font du vélo là-bas sont assez rares et dans les villages, ce n’est même pas la peine d’y penser. Je n’ai jamais eu l’occasion de pratiquer le vélo dans mon village. Donc pour moi, apprendre le vélo aujourd’hui est une fierté, surtout que je serai la première femme de ma famille à savoir en faire. »
Nils Hollenstein
Photo de une : Micheline El Hadri lors du deuxième jour de stage à la vélo-école. ©Nils Hollenstein