Sobriété

Réparer ses appareils électroménagers : où en est la lutte contre l’obsolescence programmée ?

Sobriété

par Maÿlis Dudouet

En attendant les lentes avancées politiques en faveur de la réparabilité des équipements électroménagers, des associations pallient les lacunes des fabricants, comme la Bibliothèque des objets de Montreuil. C’est aussi là que se joue la sobriété.

« C’est le génie de la réparation, rien ne lui résiste », sourit Delphine, qui repart avec son vélo fraîchement réparé. Une autre femme s’avance à son tour vers Michel, qui remonte ses lunettes. À 61 ans, cet ancien employé du monde de la communication a opéré une reconversion à 180 degrés : il est devenu réparateur d’objets en tous genres et officie à la Bibliothèque des objets de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le lieu a ouvert en avril dernier dans les locaux d’un ancien centre de santé municipal.

Michel dirige l'atelier de coréparation de la Bibliothèque des objets de Montreuil.
Michel dirige l’atelier de coréparation de la Bibliothèque des objets de Montreuil.
©Nathalie Quiroga

Autre patient du jour pour Michel : un aspirateur d’âge non identifié. Sa propriétaire, Sylvie, ne garde pas un souvenir précis de la date d’achat. Tout ce qu’elle sait, c’est que l’appareil ne fonctionne plus. Michel décide de débrancher la créature pour en examiner les entrailles. La Montreuilloise observe la scène, concentrée sur les tentatives d’ouverture au tournevis, que ponctuent des recherches de tutos YouTube élaborés par d’autres réparateurs.

C’est aujourd’hui un genre particulier d’atelier qui est proposé : la coréparation. Le principe : réparer un objet défectueux en présence du propriétaire, moyennant une adhésion à la Bibliothèque des objets (entre un et dix euros selon les revenus) et un tarif libre aux frais de chacun après réparation.

En somme, deux cerveaux, un objet, et beaucoup de patience. De quoi initier les plus frileux à réparer leurs équipements du quotidien. La quantité de déchets électriques et électroniques ménagers rejetés par habitant avoisinait les 11,6 kilos en 2019, selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), soit 779 785 tonnes de déchets. Réparer plus est bon pour la planète comme pour le portefeuille : cela permettrait de jeter moins et d’économiser l’achat d’un appareil neuf – ainsi que l’énergie pour le produire.

« On arrive à réparer 70 % des objets »

L’organisme public qu’est l’Ademe multiplie d’ailleurs les documentations en faveur de la réparation, parmi lesquelles un « guide d’initiation à la réparation ». L’agence accompagne également les chambres de métiers et de l’artisanat avec l’élaboration d’un annuaire des réparateurs à partir d’un label dédié (Répar’acteurs).

« On ne s’intéresse pas à traiter les déchets inutilement produits, mais à éviter leur production en amont », détaille Sylvain Mustaki, fondateur et président de l’Observatoire du partage, l’association qui porte le projet de la Bibliothèque des objets. Ses adhérents peuvent aussi emprunter à la semaine les objets dont ils ont besoin, pour des sommes allant de 5 à 30 euros selon la valeur de l’appareil. À l’entrée du local de Montreuil, une initiative appelée « Regenbox » permet de vérifier si vos piles alcalines classiques sont réutilisables, et de les recharger gratuitement (nul besoin d’être rechargeable pour cela).

« Ça me fait mal au cœur de voir des objets jetés dans la nature. Pourtant, c’est souvent facilement réparable, à condition d’avoir les bons outils, souligne Michel. Ici on arrive à réparer 70 % des objets. Un fil détaché, un fusible fondu, une perte de contact, c’est souvent peu de chose et on leur donne une seconde vie. » À force, le bricoleur a pu constater les astuces des constructeurs pour rendre les objets irréparables, des « petites choses qui font que les appareils sont piégés ». « Parfois, on ne peut pas les ouvrir parce qu’il faut des outils très spécifiques, explique-t-il. Pour d’autres, comme dans les tours d’ordinateur, des pièces sont soudées ou sont devenues difficiles d’accès. »

Même avec persévérance et volonté, la réparation a donc parfois ses limites. « Une bouilloire est plus simple à réparer qu’une machine à laver », résume Sylvain Mustaki. L’atelier de Michel s’occupe seulement du petit électroménager.

Des indices pour mesurer si un appareil est réparable

D’autres militants des objets durables misent donc sur la loi pour lutter contre l’obsolescence programmée. En France, certains appareils sont dotés d’un indice de réparabilité depuis l’entrée en vigueur de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) le 1er janvier 2021. Cet indice prend la forme d’une note sur 10 établie par le fabricant. Il est défini selon différents critères élaborés par le ministère de la Transition écologique. Parmi les éléments pris en compte, il y a la documentation technique, la disponibilité des pièces, mais aussi la démontabilité ou encore le prix des pièces détachées. La mesure est restreinte à cinq types d’équipements : lave-linge à hublot, téléviseur, ordinateur portable, smartphone et tondeuse à gazon électrique. Elle devrait s’étendre à quatre autres catégories (autres types de lave-linge, lave-vaisselle, aspirateur, nettoyeur haute pression) dès le 4 novembre prochain.

Tableau de calcul de l'indice de réparabilité
Tableau de calcul de l’indice de réparabilité
Fiche de calcul de l’indice de réparabilité à remplir par le fabricant.
Source : MTE, ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires.

Ronan Groussier, de l’association Halte à l’obsolescence programmée (Hop), a passé l’indice à la loupe. Il est l’un des rédacteurs du rapport d’enquête publié en mars 2022 sur ce sujet. Il souligne le « manque de transparence de l’indice ». « On demande à ce que les fiches de calcul remplies par les fabricants soient rendues publiques et que les engagements pris, comme la durée de disponibilité d’une pièce, qui leur permettent d’obtenir des points soient également disponibles dans la documentation », explique-t-il.

Ces corrections seront peut-être intégrées à son successeur amélioré, l’indice de durabilité. Prévu pour entrer en vigueur en 2024, ce dernier comprendra de nouveaux critères de notation, dont la fiabilité. « La fiabilité, c’est la possibilité pour mon produit de durer le plus longtemps possible tant qu’il n’est pas tombé en panne. Et la réparabilité, c’est la possibilité de prolonger sa durée de vie une fois la panne arrivée », détaille Ronan Groussier, dont l’association participe au groupe de travail d’élaboration de l’indice de durabilité.

C’est à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d’effectuer les contrôles de l’indice de réparabilité. La sanction en cas de non-respect de l’obligation d’information n’est pas très dissuasive : elle est passible depuis le 1er janvier 2022 d’une amende qui peut aller jusqu’à 3000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une entreprise.

En 2021, la DGCCRF a réalisé une enquête sur la fiabilité des informations communiquées aux consommateurs avant l’entrée en vigueur des sanctions. Sur 329 établissements contrôlés, les autorités ont constaté que plus de la moitié ne respectaient pas les exigences de l’indice de réparabilité (absence d’affichage, mauvaise couleur du pictogramme), « et ce, qu’il s’agisse de magasins physiques ou de sites internet. » À l’époque, ces derniers avaient été notifiés d’un simple rappel à la réglementation. Ils peuvent aujourd’hui être sanctionnés.

Des sanctions menacent désormais les fabricants

Les pouvoirs publics ont pris un virage en 2015. À cette période, l’État a tenté d’encadrer les pratiques déloyales des constructeurs au travers d’une première définition de l’obsolescence programmée, élaborée dans la loi « relative à la transition énergétique pour la croissance verte ». La définition a été par la suite intégrée en 2016 dans le Code de la consommation. L’obsolescence programmée y est définie comme « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement ». En 2021, la loi y a ajouté l’aspect de l’obsolescence logicielle (pour les outils numériques tels que smartphones, ordinateurs et tablettes) : « Est interdite la pratique de l’obsolescence programmée qui se définit par le recours à des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie. »

L'ampoule à incandescence, l'un des exemples les plus célèbres de l'obsolescence programmée.
L’ampoule à incandescence, l’un des exemples les plus célèbres de l’obsolescence programmée.
©Nathalie Quiroga

Désormais les sanctions pénales pour les pratiques d’obsolescence programmée s’élèvent à deux ans d’emprisonnement et une amende de 300 000 euros. L’association Hop n’est pas étrangère à la reformulation de la loi. Pour elle, la question de l’encadrement juridique est un enjeu vital dans la lutte contre le phénomène. « On s’est aperçu que la définition juridique de 2015 de l’obsolescence programmée était difficilement mobilisable parce que dure à prouver, détaille Ronan Groussier. À l’époque, il fallait démontrer une double intentionnalité, à savoir que le fabricant avait intentionnellement mis en place des pratiques qui réduisaient la durée de vie de son objet et qu’en plus, il l’avait fait dans l’optique de faire racheter son produit. »

En 2017, l’association Hop avait par exemple déposé plainte contre Apple, qui s’est soldée par une victoire en demi-teinte. Selon l’association, Apple bridait délibérément les performances d’anciens modèles d’iPhones, via des mises à jour, pour pousser les utilisateurs à acquérir des modèles plus récents. « Nous n’avons pas vraiment gagné, rapporte le responsable de Hop. Apple a payé une amende en 2020, mais c’était une transaction pénale. Ils ont préféré arrêter les poursuites et n’ont pas été condamnés. C’est à la suite de cette affaire qu’on a dit que le délit d’obsolescence programmée, tel qu’il était alors formulé, ne suffisait pas. Le procureur avait réorienté les poursuites sous forme de pratiques commerciales frauduleuses parce que l’angle de l’obsolescence programmée était trop compliqué », se souvient Ronan Groussier. Le spécialiste craint aujourd’hui que les fabricants contournent leurs obligations en organisant des circuits fermés de réparation, dans lesquels ils détiendraient le monopole sur le prix des pièces et le service de remplacement.

Les choses avancent aussi à l’échelle européenne. En mars 2022, la Commission européenne a notamment rendu publique une proposition de directive pour « renforcer la protection des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales qui empêchent les achats durables telles que les pratiques d’obsolescence précoce ». Il faudra encore attendre un moment pour que le projet se transforme en une législation applicable dans tous les pays de l’Union européenne. Les choses vont plus vite dans l’atelier de Michel. Au terme d’une heure et demie, il peut poser un diagnostic sur l’aspirateur de Sylvie. « Il manque une pièce, conclut-il. Il suffit d’en racheter une. »

Maÿlis Dudouet

Photo de une : ©Nathalie Quiroga