La poésie n’est pas un musée. C’est un art vivant, et une pratique très contemporaine. C’est ainsi que Aurélia et Charlotte, salariées de l’association rennaise Slam connexion conçoivent le slam. Apparu aux États-Unis dans les années 1980, le slam est une pratique ouverte à tous ceux et celles qui ont envie de dire de la poésie. La leur, le plus souvent. Déclamés en public, sur des temps limités, les slams se disent sans musique, et sans décor. Ils sont le plus souvent scandés dans des bars, en scène ouverte ou lors de tournois, où des équipes s’affrontent en confrontant leurs talents d’écrivains autant que d’orateurs. Rencontre avec un art qui peine à être reconnu comme tel.
Par Nolwenn Weiler
Photographies et vidéos : Laurent Guizard
Plusieurs scènes slam existent à Rennes, dans divers bars. Aurélia crée sa propre scène. Elle y est « Slam mistress », c’est à dire organisatrice et animatrice de soirées poésie lors desquelles tout le monde peut venir déclamer des vers personnels. En 2008, elle décide de quitter son travail pour faire de sa passion son métier. Elle se forme, fait des stages puis se frotte "en live" aux réalités de la vie associative : demandes de subventions, écriture de projets, organisation de tournois et, bientôt d’ateliers d’écriture... Elle est assez vite débordée et accueille avec grand plaisir l’arrivée de Charlotte, qui enfile immédiatement la casquette d’animatrice des ateliers. « Je me suis concentrée sur le travail de l’ombre : toute la partie de gestion de l’association, mais j’adore ça ! »
Un outil d’expression universel
Apparu aux États-Unis dans les années 1980, le slam est arrivé en Europe au début des années 1990 via Berlin. Il a gagné la France quelques années plus tard, où il s’est épanoui dans divers bars parisiens, avant de se développer en province. La légende raconte que la règle française « un poème dit=un verre offert » a boosté sa popularité1 ! « On le confond souvent avec le rap, remarquent Aurélia et Charlotte. Mais le slam, c’est a-capella, en live et on y partage la scène avec d’autres slameurs : on quitte le public le temps d’un slam et on y retourne ensuite. » Pour elles, impossible d’envisager un album de slam. « Il doit y avoir un auditoire ! »
Une écoute bienveillante
« Il y a aussi une limite de temps, trois minutes maximum par poème, précise Aurélia. En compétition, chaque période de 10 secondes au-delà du temps réglementaire fait perdre un demi-point au slameur, la note étant sur 10 ». C’est elle qui tenait le chronomètre lors du tournoi adultes de la coupe de la ligue slam de France, organisée à Rennes par Slam connexion ce printemps 2016. Sise au cœur de la ville, au théâtre du Vieux Saint-Étienne (ancienne église reconvertie en salle de spectacle), « la coupe de tous les slams » a accueilli pour la troisième année consécutive des dizaines de participants, venus des quatre coins du monde, et âgés de 12 à 86 ans 2.
Pendant deux jours, les artistes ont fait claquer la poésie, en déclamant leurs textes. Avec ou sans notes mais toujours sans accessoires, sans musiques et sans costumes. « Les mots, rien que les mots », répète Aurélia. « Le cadre compte aussi beaucoup. Il doit être le plus bienveillant possible. » Dans le théâtre du Vieux Saint-Étienne, ce samedi de mai, chaque poète est applaudi à sa descente des marches. Et les deux slam mister (animateurs) réclament des encouragements nourris quand ceux-ci sont trop faibles. « Avoir cette écoute et cette bienveillance, c’est important. Chacun met beaucoup de soi dans un texte de poésie », dit Charlotte.
30% de femmes, 70% d’hommes
Manu déclame sur la « prise de la jonquille » et le round up, Blanche-neige regrette que son prince soit trop charmant, Aliceterix demande « combien faut-il de coups vent pour disperser l’enfer ? » tandis que Magma rend hommage aux ados sur un air de Brel. « On est collectivement garant d’une certaine forme de vivre ensemble », précise Aurélia qui adore dire que le slam est apolitique de gauche. « Les propos discriminants, sexistes, raciste et homophobe sont interdits. Malheureusement, on n’est pas à l’abri de ce qui se passe ailleurs dans le monde. On dit souvent que partager la parole permet de partager le pouvoir, quand on parle du slam. Mais sur scène, on a en moyenne 30% de femmes pour 70% d’hommes... »
« Les slameurs des scènes ouvertes sont souvent éducateurs, ou enseignants », ajoute Aurélia, qui regrette qu’il n’y ait pas plus de texte engagés politiquement, et revendicatifs. « Les gens parlent beaucoup d’eux. » Charlotte n’est pas du même avis. « Pour moi, une bonne scène slam, c’est quand il y a une belle diversité. L’un qui respecte les règles de l’alexandrin, l’autre qui place correctement quelques gros mots. L’un qui parle politique, l’autre qui va écrire un texte pour décrire l’arc-en-ciel qu’il a vu le matin. S’il peut y avoir des jeunes et des plus anciens, c’est encore mieux. Chacun décrit son monde, c’est ça qui est riche dans le slam. »
Fin du volet pro de Slam connexion
Malgré sa popularité, le slam peine à être reconnu comme une forme d’expression culturelle, à Rennes comme ailleurs. « On a eu plus de soutien de la politique de la ville que de la politique culturelle, note Aurélia. Quand on a fait une demande de local, on n’a pas été installées dans un espace dédié à la culture, mais dans un pôle associatif situé en plein quartier populaire. « Les territoires prioritaires, c’est un peu le règne de la bidouille ! »Cela dit, on y était très bien ! On a organisé des ateliers d’écriture avec les gens du quartier, on a organisé le festival de toutes les paroles, avec les gens du quartier aussi, en bossant sur une vraie politique tarifaire. En fait, on a fait de l’animation socio-culturelle et de l’éducation populaire, sans l’avoir vraiment prévu ni programmé. Mais les territoires prioritaires, c’est un peu ça : c’est le règne de la bidouille ! »
Financée à 40% par la région Bretagne, l’association bénéficie aussi de subventions de projets allouées par la ville, et s’autofinance en partie avec la vente d’ateliers. « Le plus difficile, à la fin, pour moi c’était de justifier le paiement du temps de travail sur les projets », dit Aurélia. L’année dernière, la subvention régionale qui lui permettait de financer son poste n’a pas été renouvelée. Elle a donc arrêté de travailler pour Slam connexion à la fin du mois de novembre. Charlotte a tenu la barque seule depuis lors, avant de rompre à son tour son contrat, à la fin du mois d’avril.
« Tout le monde à des restrictions budgétaires, constate-elle. Du coup, nos commandes d’atelier ont beaucoup chuté. Notre trésorerie était vraiment en difficulté. » L’aventure professionnelle de Slam connexion est donc terminée. « Mais l’idée, ce n’est pas d’arrêter, disent Aurélia et Charlotte. L’association continue d’exister et on va poursuivre l’organisation de scènes le plus régulièrement possible. » Les deux jeunes femmes restent très impliqués dans la ligue slam de France, et vont continuer à écrire et déclamer. Elles ont des projets de spectacle. « Sans le public, plus de slam », résume Aurélia qui aime aussi parler de « processus poétique participatif ».
Texte : Nolwenn WeilerPhotographies & vidéos: Laurent Guizard