Une première victoire pour le personnel de ménage à Sciences-Po

par Lisa Damiano, Maïa Courtois

Les agents d’entretien du campus de Sciences-Po Paris viennent de remporter une victoire, après avoir mené une grève soutenue par une partie des étudiants pour faire connaître leurs difficiles conditions de travail.

« La grève se finit, on n’est plus stressés ! Je ressens une immense joie, je suis très contente pour le treizième mois », s’enthousiasme Aguerram, femme de ménage depuis dix ans dans les locaux de Sciences Po Paris. Cette travailleuse, qui cumule les heures de ménage avec un second emploi, se rendait dès l’aube sur le piquet de grève tenu par les agents d’entretien, devant les grilles de l’institution parisienne.

À l’issue d’une réunion de négociation qui s’est déroulée le mardi 11 mars au siège d’Atalian, l’entreprise prestataire de nettoyage, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), les 77 agents d’entretien représentés par la CFDT ont signé un accord leur ouvrant de nouveaux droits. Les salariés ont obtenu le paiement d’un treizième mois. Ainsi que la mise en place d’une commission mixte avec leur employeur et les représentants du personnel pour revoir la charge de travail et les qualifications de chaque personne, au cas par cas.

Depuis 2023, cette charge de travail a augmenté de manière conséquente. De 6 heures à 10 heures, chaque jour, Aguerram nettoie cinq étages. « Il faut que je coure. Ils ont retiré beaucoup de monde. Quatre personnes en moins, sur une équipe d’un peu plus de dix. » 2023, c’est l’année où le contrat entre Atalian et Sciences Po Paris a été renouvelé, bien qu’amputé de 700 heures de travail, à la demande de l’université. Une suppression qui a abouti à la réduction des effectifs. Atalian a alors commencé à perdre « beaucoup d’argent, car un nouveau bâtiment avait été ouvert, et le cahier des charges avait été mal chiffré. Ils ont dû embaucher 24 personnes, presque le double de ce qui était prévu », retrace Layla Mabrouk, de la CFDT propreté et nettoyage. Des négociations ont ensuite lieu entre Atalian et le donneur d’ordre, Sciences Po Paris. Mais la grande école « n’a pas voulu les accompagner avec de l’argent en plus. Donc leur solution a été de réduire les heures et le personnel » partout ailleurs.

Ménage, métro, ménage

Après son créneau 6 heures-10 heures, Aguerram file en direction de son second emploi administratif – on évitera de préciser lequel puisque, comme tous les grévistes ici, personne ne souhaite être repéré par son autre employeur au risque de passer pour « un salarié qui fait des problèmes ». Après deux heures passées à nettoyer, Aguerram revient à Sciences Po. Elle enchaîne sur un nouveau créneau de ménage de trois heures l’après-midi, de 13h30 à 16h30. Sur deux bâtiments différents. « Parfois, je reste même un quart d’heure en plus, pour finir. Mais ce n’est pas payé. »

Avec ses heures de ménage, Aguerram ne gagne que 1300 euros net par mois, en moyenne. Les nombreux grévistes qui ne font que deux heures et demie par jour affirment gagner, eux, un peu moins de 500 euros par mois pour compléter leurs autres revenus. À ce prix-là, s’absenter une journée coûte cher. Récemment, Aguerram est venue au travail malgré la douleur d’une hernie discale. « Quand je suis arrivée ce matin-là, au début je suis restée assise », raconte-t-elle en se tenant le bas du dos pour illustrer ses propos. « Puis dès que j’ai pu marcher, j’ai commencé à nettoyer, petit à petit. Mes collègues m’ont aidée. »

Alors quand les étudiants de Sciences Po venus en soutien sur le piquet à partir de 7 heures annoncent avoir récolté près de 4000 euros dans une caisse de grève, les applaudissements fusent. Après l’annonce des résultats positifs des négociations, Aguerram pense tout de suite à eux : « Merci aux étudiants, on est très contents. »

Travailler de 6 heures à 20h30 : « On y va. Il n’y a pas le choix. »

Une pétition de soutien lancée par les étudiants a également recueilli 2000 signatures. Celle-ci demande à la direction de l’école, entre autres, le lancement d’une enquête sur les bénéfices potentiels d’une intégration des agents au personnel de l’université. Mais pendant toute la durée de la grève, la direction de Sciences Po n’a pas reçu les grévistes, renvoyant la responsabilité vers Atalian. Pendant deux jours, l’école a fermé, regrettant des « dégradations » commises lors de la mobilisation précédente du 7 mars.

Ce type de mobilisation réussie, « il faudrait que ce soit au quotidien », soulève, en observant le rassemblement devant les grilles de Sciences Po, Kassim Fatima, technicienne de surface depuis quinze ans ici. Cette femme souriante fait du ménage de 6 heures à 8 heures 30 à Sciences Po tous les jours ; puis elle enchaîne avec un emploi de serveuse de 9 heures… À 20h30. « Je suis obligée. Quand tu es, comme moi, une mère de trois enfants, il faut se donner. » Certes en se réveillant chaque jour vers 4 heures, « on a tous les matins envie de démissionner », confie-t-elle en souriant. « Mais ensuite, on y va. Il n’y a pas le choix. »

Le reste de la journée, cette femme déborde d’énergie. Ses collègues la reconnaissent pour son dynamisme à toute épreuve : « Elle est tous les jours comme ça ! Elle est très forte », glisse l’une d’elles à son propos. Sans être syndiquée, Kassim Fatima prend au quotidien la défense de ses collègues. Et elle n’a pas la langue dans sa poche. « On a souvent des problèmes de respect du personnel. Y compris avec les chefs d’équipe. Personne ne vous le dira ici, mais les collègues subissent. Et ils n’en parlent pas. »

La direction « oublie » de rembourser le passe Navigo

Elle cite l’exemple de collègues dont le passe Navigo n’a pas été remboursé plusieurs mois de suite. « Un détail », dit-elle presque en s’excusant, mais qui n’en est pas un sur la fiche de paie. Elle ne s’est pas laissée faire, et a appuyé les autres dans leurs revendications auprès de leurs propres chefs d’équipe.

Heureusement il y a Souad, la cheffe d’équipe du bâtiment auquel elle est affectée. Une sexagénaire que tout le monde la qualifie d’ « adorable » – Kassim Fatima la première. Souad se tient non loin de là, discrète. 18 ans qu’elle travaille ici. Presque 30 dans le secteur du nettoyage. « Les salariés doivent faire très vite. Et quand il y a des contrôles de Sciences Po, ils ne sont jamais contents, on reçoit les pressions, les réclamations… Mais c’est que tout le monde doit faire trop vite », regrette-t-elle, impuissante.

À ses côtés, un agent d’entretien qui travaille deux heures et demi par jour, comme bien d’autres, déplore la non-prise en compte des risques liés à l’exposition aux produits chimiques. « On met les mains dans les seaux, comme ça. C’est un travail dangereux et on n’a pas les moyens de protection. C’est un travail esclavagiste », déplore-t-il. Les salariés ont des masques, mais pas de gants fournis, assure-t-il. Souad confirme : « Les gens ramènent leurs propres gants. Souvent, je vais acheter des gants d’infirmière en magasin pour en ramener à mon équipe. Je les paie avec mon propre argent. »

« En fait, je ne dors que quatre heures par nuit »

Ces aspects du métier ne seront pas modifiés par les mesures obtenues après la négociation du jour. Idem pour les risques liés à la pénibilité, parfois prégnants. Wendel, chef d’équipe depuis 8 ans, raconte par exemple que les cinq étages dans lesquels officie son entreprise sont « sans ascenseur. On doit porter les machines monobrosse dans les escaliers. Souvent, on monte ça à deux », dit-il en haussant les épaules.

Selon la CFDT-propreté, qui tenait une conférence de presse en début de semaine, il y a « beaucoup » d’accidents du travail liés à de la « précipitation » dans le travail sous pression, et au port de charges lourdes. Les poubelles, par exemple. Fofana Alimata a 30 ans d’ancienneté ici, à Sciences Po. Elle a connu le défilé des prestataires. Âgée d’une soixantaine d’années, son premier réflexe est de nous montrer sur son téléphone les photos des grands sacs poubelles qu’elle doit porter. « Regardez, comptez combien il y en a sur cette photo ! » Cinq grands sacs sont empilés sur un chariot, certains avec du verre.

À ses côtés, une autre femme, également l’une des plus anciennes sur site, raconte une vie dédiée au travail. Un lever à 4 heures, puis des heures entrecoupées, ici et là dans Paris, jusqu’à 20h30. « Je rentre chez moi à 22 heures, il faut encore prendre sa douche, manger. La digestion se fait en dormant », dit-elle en riant, avant de confier : « En fait, je ne dors que quatre heures par nuit ». Elle a 66 ans.