L’année scolaire s’est terminée juste avant les élections législatives anticipées. Deux mois plus tard, la rentrée scolaire va se faire avec un gouvernement, et une ministre de l’Éducation Nicole Belloubet, toujours démissionnaires.
« Cette rentrée est particulière puisqu’elle se fait avec une ministre qui n’est plus ministre », pointe Tony Tremblay, enseignant en collège en Seine-Saint-Denis et co-secrétaire du syndicat Snes-FSU dans le département. En Seine-Saint-Denis, enseignantes, enseignants et parents se sont mobilisés pendant des mois au printemps dernier pour demander un plan d’urgence pour l’éducation dans ce territoire parmi les plus pauvres de France.
Pour Tony Tremblay, il s’agit d’un « mouvement historique qui a duré plus de 100 jours, avec des manifestations fournies, pour demander simplement l’égalité des moyens entre notre département, le plus jeune et le plus pauvre de France, avec les autres ». Le professeur regrette donc d’autant plus que la rentrée se fasse « avec une ministre démissionnaire qui n’a pas reçu l’intersyndicale du 93 en juin pour cause de réserve électorale mais continue d’être ministre dans les faits, elle participe par exemple à la rentrée des recteurs, alors qu’elle a été désavouée, par le vote et la rue ».
Alexandra Colladant, professeur de philosophie au lycée Rosa-Parks de Saint-Denis, membre du Snes, a fait partie des enseignantes mobilisées avant l’été pour le plan d’urgence 93 réclamé par les syndicats. « Comme Nicole Belloubet est démissionnaire, on ne sait plus trop à qui s’adresser, constate-t-elle aujourd’hui à la veille de la rentrée. Nicole Belloubet avait promis de discuter du plan d’urgence 93 car la mobilisation avait commencé à créer un rapport de force. Mais les vacances sont arrivées et on a rien eu, comme d’habitude. Aujourd’hui, il n’y a aucun rendez-vous clair avec la ministre. » Dans ces conditions, l’enseignante se prépare à une nouvelle mobilisation : « Nous avons discuté entre collègues de la possibilité de se remettre en grève dès la rentrée pour rappeler notre existence et nos revendications, et dire que rien n’a été encore fait. »
Passage en force du « choc des savoirs »
D’autres sujets ont suscité l’opposition des professionnels et des syndicats enseignants avant l’été : la réforme du lycée professionnel, avec l’objectif de faire passer aux lycéens pro moins de temps à l’école et plus de temps en entreprise ; et celle du « choc des savoirs » voulue par Gabriel Attal quand il était lui-même ministre de l’Éducation. Celle-ci prévoit la mise place de groupes de niveau en collège.
« Le “choc des savoirs”, c’est le démantèlement du collège unique, accuse Tony Tremblay. Il y a eu un passage en force sur ces mesures. Les collègues ont résisté dans la rue, mais aussi dans les conseils d’administration de leurs établissements pour mettre en place des groupes hétérogènes en terme de niveau. Des élèves faibles ensemble, ça ne marche pas. Ce qui marche c’est l’hétérogénéité en petits groupes. »
Mais les doutes persistent sur la mise en œuvre de ces groupes dans les établissements. « Les situations sont très variées suivant les établissements, comme déjà l’année dernière, la ministre avait un peu relâché la pression sur la composition des groupes de niveaux, témoigne Olivier Moine, professeur en lycée dans l’Isère et représentant du syndicat Snes-FSU dans le département. Dans certains établissements, là où de fort collectifs se sont opposés au tri des élèves, les groupes de niveaux seront hétérogènes, mais en conservant l’exigence du texte qui implique qu’il y ait des groupes. Dans d’autres collèges, cela va dépendre de la volonté des chefs d’établissements. »
Maud Valegeas, enseignante à Saint-Denis et représentante nationale de Sud éducation, constate chez ses collègues « beaucoup d’inquiétude sur la mise en œuvre des politiques annoncées sur les groupes de niveau au collège ». Car il n’y a « plus de pilote dans le navire. Les autres rentrées, on avait au moins une personne à qui s’adresser, que ce soit Blanquer, Attal, ou Belloubet. Aujourd’hui, on a une politique éducative qui a été refusée dans la rue avec les mobilisations importantes de l’année scolaire dernière, et aussi dans les urnes, mais un pouvoir qui continue à imposer ses décisions. » Dans ces conditions, elle craint « une augmentation des démissions » alors que « l’école ne tient qu’à l’acharnement des personnes qui sont là pour la porter à bout de bras ».
Arrêter la « réformite »
Le tableau est moins noir pour Marie Tamboura, principale de collège en Seine-Saint-Denis, membre de l’exécutif du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale. Sur son établissement, elle signale « une préparation de rentrée plutôt sereine : on a une équipe stable, des effectifs d’élèves stabilisés, quasiment tous les profs qui sont nommés ».
Même si la réforme du choc des savoirs pèse aussi à son niveau. Car « il faut désormais accompagner et mobiliser les équipes sur une énième réforme dont on ne sait pas si elle perdurera ». Pour elle, la priorité, ce serait donc « d’arrêter la “réformite”. Il faut se poser, faire un bilan réel de l’état de l’Éducation nationale, avant toute nouvelle réforme. C’est ce qui épuise les collègues, de passer notre temps à mettre en place des réformes sans savoir si elles seront poursuivies d’une année sur l’autre, ou si elles ont été pleinement pensées. »
Un autre principal de collège de Seine-Saint-Denis, qui souhaite rester anonyme, fait également part de ces doutes sur les groupes de niveau. « C’est une réforme contre laquelle la majorité des acteurs étaient vent debout, y compris au sein de mon établissement, témoigne-t-il. Ça a été difficile, mais c’est en place, et on essaie de trouver des marges de manœuvre pour que ça se fasse de la manière la plus favorable aux élèves possible. Mais on ne sait pas si cela leur sera profitable ou pas. Et avec un nouveau gouvernement qui va arriver, on ne sait même pas si ça va rester. Donc, même si cette nouvelle réforme porte ses fruits, on va peut être se retrouver dans une situation où dans un an, ce sera fini. »
L’homme se dit surtout inquiet des restrictions budgétaires annoncées par Gabriel Attal fin août : le Premier ministre a proposé un gel des dépenses de l’Etat en 2025, ce qui signifie une baisse compte tenu de l’inflation. Ces économies « vont forcément peser sur le budget de l’Éducation nationale », craint le principal d’un collège situé en zone d’éducation prioritaire.
« Imposer nos mots d’ordre »
Un autre point cristallise les inquiétudes : le manque d’accompagnant. « Le nombre d’élèves avec ces besoins est en augmentation constante et les recrutements ne suffisent pas. Pour être honnête, on sait qu’on n’aura pas le nombre d’AESH suffisant à chaque rentrée », dit la principale de collège Marie Tamboura au sujet de son établissement. « L’école inclusive a été la vitrine de la politique ministérielle, avec l’accueil de plus en plus d’enfants en situation de handicap dans les écoles. Mais la situation est très très précaire pour les AESH, et les élèves sont très peu accompagnés, résume aussi Maud Valegeas, représentante de Sud éducation. Cela crée beaucoup de maltraitance pour les élèves et pour les collègues. » es pour les élèves en situation de handicap (AESH)
Face à tous ces défis, qu’attendent les personnels de l’Éducation nationale d’un prochain gouvernement, d’autant plus s’il pouvait être, au moins en partie, de gauche ? « Je pense que l’important, c’est surtout de rester mobilisés sur nos établissements, de rester combattifs et d’imposer nos mots d’ordre, sans attendre quoi que ce soit d’un gouvernement qu’il soit de gauche ou qu’il soit de droite », répond la prof de philo Alexandra Colladant.
Pour Olivier Moine, prof en Isère, « on a respiré puisque l’extrême droite n’est pas au pouvoir, mais cet épouvantail écarté, on constate que depuis sept ans, c’est une école de la sélection généralisée qui a été mise en place, avec Parcoursup, la réforme du lycée, la réforme de la voie professionnelle, le choc des savoirs au collège… ».
Son syndicat, le Snes-FSU, a rencontré le Nouveau Front populaire au moment des élections pour faire part de leurs attentes. « Au niveau du second degré, ce qu’on attend, c’est l’abandon de Parcoursup, de la réforme de la voie professionnelle qui envoie des jeunes en apprentissage qui ne sont pas préparés. Et on voudrait voir moins d’élèves par classe, plus d’enseignants et de personnels d’encadrement comme les CPE et mieux payer les personnels si on veut que gens aient envie de faire ce travail. »
Tony Tremblay attend aussi de son côté « plus de postes d’enseignants, de CPE, d’AESH, d’assistants pédagogiques… La priorité c’est d’améliorer les conditions d’apprentissage des élèves, et les conditions de travail des enseignants et du personnel. » L’intersyndicale du 93 organise une première journée de mobilisation le mardi 10 septembre : « une journée de grève de rentrée pour un “choc des moyens” contre le “choc des savoirs” », signale l’enseignant.
Emma Bougerol, Rachel Knaebel
Photo de une : À Grenoble, le 1er mai 2024, contre la reforme du collège unique/©Maxime Gruss/Hans Lucas.