Plus de 500 000 signatures recueillies en moins de quinze jours pour soutenir Emmanuel Giboulot ! Le buzz créé par l’affaire du viticulteur bio poursuivi en justice pour avoir refusé de traiter ses vignes a surpris l’intéressé lui-même. « C’est bien au-delà de ce que l’on avait imaginé. Cela montre que c’est un sujet qui fait vraiment écho dans la société », nous confiait Emmanuel Giboulot, juste avant son audience à Dijon (voir notre reportage).
La pétition a été initiée par une association méconnue : l’Institut pour la protection de la santé naturelle (IPSN), basée à Bruxelles. Son président, Augustin de Livois, était aussi présent au procès du viticulteur à Dijon. Ce jeune trentenaire est diplômé du Barreau de Versailles mais n’a encore jamais exercé. Il ne s’attendait pas non plus à ce succès. « Notre dernière campagne d’actions sur les adjuvants dans les vaccins avait atteint 90 000 signatures. »
Pas de revente de fichiers
Le succès a été tel que le site de l’IPSN est – encore – temporairement fermé, remplacé par une page dédiée à la campagne de soutien au viticulteur. « Notre serveur n’a pas résisté », explique, visiblement navré, Augustin de Livois. Les mentions légales et les clauses de confidentialité étaient inaccessibles pendant plusieurs jours (elles sont à nouveau consultables ici). De quoi susciter quelques remous et interrogations sur la toile quant aux réels intérêts poursuivis par cette association méconnue et – temporairement – opaque. Des accusations de « revente de fichiers », grâce aux coordonnées collectées à l’occasion d’une pétition, circulent. Et provoquent des débats sur un forum du site hoaxbuster, créé pour identifier la propagation de fausses rumeurs et de « fake » sur Internet.
L’IPSN dispose aujourd’hui d’un fichier de 400 000 abonnés à la newsletter, atteste Augustin de Livois. Mais il dément toute revente de coordonnées. Il a transmis à Basta! le compte de résultat 2012 de l’IPSN pour lever toute ambiguïté. Son budget ? 43 065 euros exactement. « La revente d’un formulaire c’est environ 50 centimes d’euros l’adresse. On nous accuserait ainsi d’avoir engrangé 200 000 euros. Mais comme vous le voyez, nous disposons d’un budget d’environ 50 000 euros et je suis le seul permanent avec un revenu de 16 000 euros », commente t-il. Augustin de Livois nous a également envoyé les statuts de l’IPSN, confirmant que c’est une petite association sans but lucratif (voir les statuts [1]) dont le siège est à Bruxelles. Des prestataires de service, dont un développeur web, sont aussi rémunérés. « L’IPSN a trois sources de financements : 40 % de dons, 20 % de conférences et le reste ce sont des partenariats avec une société d’édition (Santé Nature Innovation, ndlr), l’École lyonnaise des plantes médicinales, et des PME d’herboristes ».
Passé trouble
L’histoire de l’association remonte au lancement en 2011 d’une pétition dénonçant l’application en France d’une directive européenne qui rendrait illégale l’utilisation des plantes médicinales (Basta! en parlait ici). « A l’époque, je venais de me mettre à mon compte après avoir travaillé pendant cinq ans pour un cabinet de lobbying. J’avais une sensibilité pour les médecines naturelles et je suis tombé sur une campagne menée en Grande-Bretagne par l’Alliance internationale pour la santé naturelle. C’était uniquement en anglais. Avec un copain webmaster, j’ai lancé une pétition en français », raconte l’apprenti avocat. Le succès est au rendez-vous. 1,4 millions de signatures sont recueillies. L’idée de lire à haute voix le texte de la pétition défilant en même temps sur l’écran lui vient des États-Unis. « C’est une idée toute simple, mais ça permet de mieux percevoir le message ».
C’est à partir de cette première pétition que l’IPSN se structure autour d’un comité scientifique et éthique. « Notre priorité, c’est d’obtenir la reconnaissance d’un diplôme d’herboristerie, précise Augustin de Livois. Ce métier mérite d’être défendu. L’IPSN travaille plutôt avec les distributeurs mais nous militons aussi pour les producteurs de plantes ». Lui-même n’hésite pas à se présenter comme lobbyiste. « Je sais que c’est assez mal vu en France. Mais les gros industriels défendent bien leur intérêt avec des moyens colossaux. Les citoyens ont peu de relais sur lesquels s’appuyer. L’idée c’est de partir d’internet, de proposer une voix différente, d’être précis, d’expliquer et de cibler. » Le succès des pétitions de l’IPSN viendrait en partie de leur newsletter envoyée à 400 000 contacts. « Ils nous suivent depuis deux ans et ce sont pour l’essentiel des gens passionnés par les médecines naturelles et le bio. »
Pas d’ancrage local
« Sur place, à Dijon, nous n’avons jamais entendu parlé de cet institut », s’étonne Thomas, un militant local très impliqué dans la mobilisation en faveur d’Emmanuel Giboulot. « Nous nous sommes saisis tardivement de cette affaire », reconnaît Augustin de Livois. Lorsqu’il découvre en novembre 2013, sur Basta!, les poursuites dont Emmanuel Giboulot fait l’objet, Augustin de Livois explique qu’il est alors « très pris par une autre campagne ». Il crée « simplement » une page Facebook qui recueille tout de même plus de 110 000 like ! Mi-février, un article publié dans le Canard enchaîné attire à nouveau son attention. L’audience est prévue quinze jours plus tard, et tout s’accélère. « J’ai appelé Emmanuel Giboulot et je lui ai proposé que l’on se voit à Paris. J’ai écrit un premier texte qu’il a revu, et on a fait l’enregistrement. »
Quel lien entre l’IPSN et le combat d’Emmanuel Giboulot ? « Le bio fait partie du domaine de la santé. Il y a des ponts entre les différents sujets. Je suis effaré que l’environnement prenne si peu de place dans le débat public et je rêve de voir la France développer une vraie agriculture biologique. » Pour lui, la pétition a pour rôle premier de « fédérer les gens qui travaillent sur un sujet ». Avant d’être « un instrument de communication pour alerter les pouvoirs publics ». Une position qui fait débat. « En tant que militants associatifs, devons-nous confier nos pétitions locales ou globales à ces mêmes organisations ? » interroge ainsi le site inter-associatif Yonne Lautre, qui lance une étude sur les différentes « machines à pétitions en ligne ». Dans le cas d’Emmanuel Giboulot, la pétition de l’IPSN est venue incontestablement appuyer le travail de sensibilisation et de médiatisation mené par les organisations locales et nationales sur le terrain. Avec l’accord de l’intéressé. Même si l’activisme du clic ou du like est loin d’être suffisant !
Sophie Chapelle