A69 : « On voit s’enchaîner les textes qui mettent en pièces le droit environnemental »

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Suite à la reprise du chantier de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, et la volonté d’une partie des députées d’en valider les autorisations environnementales, la députée LFI Anne Stambach-Terrenoir dénonce une tentative de passage en force.

par Agathe Di Lenardo

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Basta! : Le chantier de l’autoroute A69 devrait reprendre mi-juin, suite à la décision de la cour administrative d’appel de Toulouse du 28 mai. Votre groupe parlementaire La France insoumise s’oppose à ce projet d’autoroute. Comment réagissez-vous à ce revers ?

Portrait d'Anne Stambach-Terrenoir
Anne Stambach-Terrenoir
Députée La France insoumise de la Haute-Garonne, elle siège à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale.
©DR

Anne Stambach-Terrenoir : C’est assez incompréhensible. Le 27 février, le tribunal administratif a déclaré cette autoroute illégale, avec une argumentation solide sur l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur, qui est une des raisons qui peuvent donner une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées. Pour la justice, il n’y a pas de raison suffisante à toutes les destructions engendrées par l’A69. Ni ce fameux effet de désenclavement dont parlent les promoteurs, ni un gain de temps suffisant - on nous promet de gagner peut-être 15 minutes.

Et derrière, l’État est depuis le début de ce projet dans un passage en force permanent. C’est lui qui est responsable de ce fiasco et de la reprise du chantier. Dès l’automne 2022, les autorités indépendantes consultées avaient donné des avis très critiques sur le projet. L’État a malgré tout donné les autorisations pour le lancement des travaux, en sachant pertinemment qu’il y avait un énorme risque juridique sur ce dossier. Il a essayé d’avancer le plus vite possible avec l’idée de mettre la justice devant le fait accompli.

À présent, il a demandé un sursis à exécution, c’est-à-dire la possibilité de poursuivre les travaux en attendant le jugement de la Cour d’appel, qui tombera en 2026. À mon sens, il a été accordé de manière assez incompréhensible avec une argumentation très faible, en justifiant de gains économiques futurs, qui étaient pourtant niés par le jugement du tribunal administratif en première instance. La reprise des travaux met une pression énorme sur la cour d’appel, car pendant ce temps-là, on multiplie les chances de la mettre devant le fait accompli avec des travaux presque achevés. Ça pose vraiment la question de la pertinence de reprendre ces travaux maintenant, à marche forcée.

Selon les défenseurs et défenseuses du chantier, il serait maintenant contre-productif, y compris d’un point de vue environnemental, de stopper le projet alors que les travaux ont bien avancé…

Les promoteurs de l’A69 parlent de 70% des travaux réalisés. Mais quand on passe à côté, on voit très bien que c’est complètement faux : au mieux, il y a 50 % des travaux qui sont réalisés et 30% seulement des ouvrages d’art. Tant que le goudron n’est pas coulé, il est tout à fait possible d’opérer des opérations de renaturation. Bien sûr, il y a des milliers d’arbres qui ont été coupés. Mais il existe des techniques qui permettent de récupérer une bonne partie des dégâts ainsi que les terres agricoles.

Le 2 juin, la loi de validation de l’A69, qui vise à imposer au projet une raison impérative d’intérêt public majeur et ainsi valider les autorisations environnementales et reprendre le chantier, devait être examinée à l’Assemblée nationale. Mais les députés du bloc central et de l’extrême droite ont voté la motion de rejet déposée par la France Insoumise. Résultat : le texte file directement en commission mixte paritaire où elle a toutes les chances d’être adoptée. Quels enseignements tirez- vous de cette séquence ?

Cette proposition de loi est portée par Jean Terlier, député Renaissance et défenseur acharné de l’autoroute A69. Nous sommes devant un précédent de notre point de vue grave du point de vue démocratique et de l’État de droit dans notre pays : une partie du pouvoir législatif s’associe au pouvoir exécutif pour écraser le pouvoir judiciaire. On méprise complètement le principe de séparation des pouvoirs.

À cela s’ajoute le vote de la motion de rejet de la France insoumise. Une motion de rejet préalable, c’est normalement un outil d’opposition parlementaire à un texte. C’était normal pour nous d’en déposer une, puisque nous sommes à la fois radicalement opposés à ce projet sur le fond, et également sur le principe-même de la loi de validation.

Mais les députés macronistes, de la droite et de l’extrême-droite ont choisi de la voter, sur nos termes, pour éviter les débats et l’envoyer directement en commission mixte paritaire, où ils détiennent la majorité. Un rassemblement de sept députés et sept sénateurs, qui discutent à huis clos et qui pourront entériner la loi. Ils ont justifié cela en disant qu’on a mis trop d’amendements. Mais le droit d’amendement est un droit constitutionnel.

Fin mai, les députées du bloc central et du Rassemblement national ont voté leur propre motion de rejet pour envoyer le texte de la loi Duplomb cette fois en commission mixte paritaire. Là encore, l’enjeu était de contourner les débats à l’Assemblée nationale…

Clairement, la motion de rejet de la loi Duplomb avait pour but d’éviter que l’on parle de cancer pédiatrique au sein de l’Assemblée nationale au moment où eux veulent réintroduire des néonicotinoïdes extrêmement dangereux. En prétextant encore une fois trop d’amendements. Une fois de plus, cela pose la question de la sincérité des débats : le porteur de la loi qui demande à ce que l’on rejette sa loi… On voit bien le dévoiement complet de l’organisation des débats parlementaires !

Vous siégez depuis 2022 à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. Observez-vous un retour en arrière au niveau écologique actuellement en France ?

Depuis trois ans, on voit s’enchaîner les textes qui mettent en pièces le droit environnemental. Il y a eu par exemple tous les projets de loi qui visent à accélérer les délais d’implantation des projets industriels ou nucléaires. Et en ce moment, c’est l’apothéose avec le projet de loi de simplification de la vie économique, qui en réalité sape le droit environnemental à tous les niveaux, notamment l’objectif du zéro artificialisation nette. On veut donner la fameuse raison impérative d’intérêt public majeur à absolument tout et n’importe quoi : un amendement permettrait qu’on la donne à toutes les infrastructures, donc les routes, mais aussi les datacenters, les projets industriels. Puis la loi Duplomb, qui réintroduit des pesticides extrêmement dangereux, favorise les mégabassines, et permet des élevages toujours plus industriels au mépris des rejets sur l’environnement. C’est une course où on va droit dans le mur. On décortique complètement tout ce qui protège la population et on dénigre totalement la parole des scientifiques.

Au sujet de l’A69, le ministre des Transports Philippe Tabarot m’avait dit que le droit de l’environnement ne devait pas empêcher le progrès. Mais le progrès, ce n’est pas un projet autoroutier des années 1990. C’est au contraire d’adapter notre politique à l’urgence climatique et à l’effondrement de la biodiversité.

La loi de validation de l’A69 a maintenant de grandes chances d’être adoptée en commission mixte paritaire. Vous avez annoncé saisir le Conseil constitutionnel. Quelles possibilités reste-t-il pour empêcher ce chantier ?

Déjà, j’espère que le Conseil constitutionnel nous donnera raison. Par ailleurs, la cour d’appel doit toujours rendre son avis sur l’appel du gouvernement, et je compte sur le fait qu’elle confirme la décision du tribunal administratif de février. J’espère qu’elle fera le maximum pour que les délais jusqu’à son délibéré soient les plus courts possibles.

Ensuite, les opposants au projet vont encore se mobiliser. Et puis il y a aussi l’opinion publique qui, je crois, réalise les enjeux de ce projet qui n’est pas juste une autoroute, mais finalement l’incarnation de ce qu’on ne peut plus se permettre aujourd’hui.