Lobbying

L’agriculture bio dénigrée et en crise : l’agro-industrie en embuscade

Lobbying

par Nolwenn Weiler

Percutée par l’inflation et par une baisse de la demande, l’agriculture biologique affronte depuis quelques années des critiques et décisions politiques qui sèment le doute sur son sérieux et son innocuité.

 Voici le troisième édito de notre nouvelle newsletter mensuelle On en Agro !. Pour la découvrir en intégralité et pour la recevoir gratuitement, c’est par là.

Voici deux ans que le bio s’enfonce dans une crise que peu de monde semble avoir vu venir. À l’été 2020, l’ambiance était encore à l’euphorie. On sortait du confinement, et les citoyennes qui avaient apprécié d’acheter leurs aliments près de chez eux semblaient y avoir pris goût. Certains rêvent alors du « monde d’après »…

La loi Egalim promet 20 % de produits bio dans la restauration collective pour 2022. Dans les fermes, les agriculteurs investissent pour augmenter leur production et leurs espaces de vente. Les ouvertures de magasins bio se multiplient et la grande distribution élargit ses rayons.

Dès l’année suivante, le marché commence à s’essouffler. Le ralentissement s’amplifie en 2022, avec une baisse des achats de près de 5 %, dont les magasins spécialisés ont été les premiers à pâtir : près d’une enseigne sur dix disparaît. La vente directe à la ferme et sur les marchés continue de progresser, mais dans les champs, les conversions enregistrent un sérieux coup de frein. Certaines fermes choisissent même de repasser au conventionnel. La situation est telle qu’on ne voit pas comment la France pourra rester sur les rails de l’objectif qu’elle s’est fixée de 18 % de surfaces en agriculture biologique d’ici 2027.

Le label « haute qualité environnementale » et la fabrique du doute

Il faut bien sûr replacer cette crise dans le cadre plus large du recul général de la consommation alimentaire des ménages (-5,1 %), en grande partie liée à l’inflation consécutive à la guerre en Ukraine. On peut ajouter que les produits bio sont la cible d’un véritable dénigrement. L’arrivée du label « haute valeur environnementale » (HVE) en 2020 est un bon exemple de la fabrique du doute qui pèse sur l’agriculture bio, et ses producteurstrices. Massivement soutenu par les pouvoirs publics, le label HVE est pourvu d’un cahier des charges largement moins exigeant que celui du bio. Ce label marketing est décrié jusque dans les couloirs du Parlement européen, et a clairement embrouillé les consommateurs.

Autre exemple d’enfumage : la bataille menée par l’agro-industrie, et gagnée en juillet dernier, pour obtenir le droit de commercialiser des légumes bio issues de serres chauffées. En 2019, ce droit avait été restreint à la suite d’une lutte menée par une partie des producteurs bios, appuyée par une pétition signée par des dizaines de milliers de citoyens. La levée de ces restrictions signe pour la Fnab « un recul de l’exigence du cahier des charges bio  ».

Des revenus de misère

Pour disqualifier l’agriculture bio, certains assurent même qu’elle utilise des pesticides, feignant d’ignorer que les volumes utilisés sont sans commune mesure avec ceux que l’agriculture conventionnelle épand chaque année dans les campagnes. Prenons l’exemple du cuivre, utilisé comme fongicide, et autorisé en agriculture bio. Une cartographie réalisée par l’Anses en 2022 montre que l’agriculture conventionnelle consomme 80 % du tonnage écoulé chaque année en France.

« 31 % des substances conventionnelles autorisées en France (soit 71 sur 231 substances) sont classées CMR - cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction - alors que 6 % (soit 2 substances biologiques sur 33) sont classées ’’susceptibles de nuire au développement du fœtus’’ », précise l’association Générations futures qui a publié un rapport sur le sujet. Ces données ne semblent pas suffisantes face à la mauvaise foi du lobby des vendeurs de pesticides Phytéis, qui regroupe des acteurs de l’industrie chimique. Si le volume de pesticides vendus en 2021 a augmenté, ce serait « sous l’effet du bio » ose sa communication (!).

L’agriculture bio présente, évidemment, des limites. La première étant les modestes revenus qu’elle réserve à ceux et celles qui se chargent de nourrir une frange plutôt aisée de notre société. Mais elle apparaît indispensable à la transition de notre agriculture vers un modèle plus vertueux, qui permet de produire à manger sans détruire notre environnement ni la santé des agricultricesteurs. 

C’est d’ailleurs au nom de ces services rendus à la collectivité que la Cour des comptes a demandé en juin 2022 que les agriculteurs bio soient mieux soutenus. Ajoutons que le Giec a lui aussi mentionné dans son dernier rapport, l’agroécologie comme une solution au réchauffement climatique.

Les fermes bio, même si elles en souffrent aussi, encaissent mieux les chocs climatiques, notamment les sécheresses qui ne cessent de se multiplier. Elles sont aussi moins gourmandes en eau que leurs voisines conventionnelles. Alors, pourquoi donc taper sans retenue sur ces méthodes de travail, sachant que derrière ce backlash, l’agro-industrie continue de croître, de prospérer, et de polluer ?

Nolwenn Weiler

Suivi

Un lecteur nous a signalé une erreur concernant la décision d’autoriser la vente de légumes bios ayant été cultivés sous des serres chauffées. Nous avions mis, à tort, un lien vers une décision datant de 2019 restreignant cette possibilité. Merci à lui et nos excuses à nos lecteurs et lectrices.