« S’écouter, débattre, éviter de se couper la parole… » Pascale Poncelet, référente formation et médiatrice au sein de l’association IDSanté, pose les règles pour la bonne tenue d’une séance d’éducation à la sexualité.
D’habitude plutôt indiscipliné, son auditoire de ce 2 décembre est cette fois tout ouïe. Salle Colbert, à l’Assemblée nationale, une vingtaine de députées sont venues assister à un atelier organisé par le collectif Pour une véritable éducation à la sexualité*, composé de dix associations féministes, parmi lesquelles le Planning familial.
L’initiative est soutenue par la Délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes. Sa vice-présidente, la députée écologiste Marie-Charlotte Garin, a souhaité « visibiliser le sujet en plein débat budgétaire ». Le calendrier choisi est loin d’être anodin : ce même jour, l’État français venait d’être condamné, par le tribunal administratif de Paris, à payer un euro symbolique pour avoir manqué à son obligation de mettre en place des séances d’éducation sexuelle à l’école.
Une loi inappliquée
Une loi prévoit pourtant depuis 2001 que cette éducation soit « dispensée dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d’au moins trois séances annuelles, par groupes d’âge homogène ». Ce qui n’a jamais été le cas : moins de 15 % des élèves en bénéficient, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental, publié l’an dernier.
Pour dénoncer ce manque, le Planning familial, SOS Homophobie et Sidaction ont attaqué l’État en justice en mars 2023. La condamnation de ce mois-ci représente « une première victoire », réagit la présidente du Planning, Sarah Durocher, devant les députées. Mais beaucoup reste à faire, ajoute-t-elle, entre l’arrivée d’un nouveau programme pas toujours appliqué, une mise en concurrence des associations vidées de leurs moyens, un personnel de l’Éducation nationale pas formé, et de fausses informations qui se multiplient sur le sujet.

C’est justement pour contrer la désinformation que le collectif Pour une véritable éducation à la sexualité a voulu organiser une séance pédagogique à l’Assemblée. Aux premiers rangs, des parlementaires de différents bords politiques ont répondu présentes : le président du groupe Ensemble pour la République Gabriel Attal fait bonne figure aux côtés de la députée Modem Sandrine Josso, de l’insoumise Mathilde Panot, des écologistes Pouria Amirshahi et Jérémie Iordanoff, du député Générations Sébastien Peytavie, ou encore des élues de Renaissance Nicole Dubré-Chirat et Nathalie Coggia… Objectifs du jour : présenter quelques outils pédagogiques utilisés à l’école élémentaire, puis en collège et lycée.
Une distinction entre Evar et Evars
Depuis la rentrée 2025, l’Éducation nationale dispose pour la première fois d’un programme clair sur le sujet. Celui-ci est composé de deux grands volets : l’un sur l’éducation à la vie affective et relationnelle (Evar) pour les écoles maternelles et primaires, un second auquel s’ajoute la sexualité (Evars) pour les collèges et lycées.
Dès l’école maternelle, le programme officiel prévoit d’apprendre à nommer les différentes parties du corps, d’aborder ce qu’est l’intimité, la notion de confiance, l’égalité, les ressemblances et différences entre les filles et les garçons, ou encore l’expression d’un accord ou d’un refus. Lors d’une troisième séance proposée aux CP, et présentée ce jour à l’Assemblée, il s’agit par exemple de sensibiliser les enfants au respect du corps, explique l’animatrice Pascale Poncelet.
Progressivement, à partir de l’école primaire, les élèves sont censées apprendre à connaître leur corps, repérer les discriminations et stéréotypes de genre, connaître leurs droits, apprendre à repérer et se protéger des violences sexistes et sexuelles. Au collège, l’accent sera mis sur la sexualité, pour peu à peu englober par la suite et au lycée, les moyens de contraception et de prévention des infections sexuellement transmissibles, la différenciation entre « excitation, sentiment, désir et plaisir », ou encore la reconnaissance de « la diversité humaine dans son ensemble, en considérant la variété des orientations sexuelles et des identités de genre ».
En octobre 2025, une foire aux questions du ministère de l’Éducation nationale résumait ainsi les objectifs du programme auprès des élèves : « Promouvoir l’égalité, prévenir les discriminations et encourager des comportements responsables, sans diffusion d’images inappropriées ni incitation à des pratiques sexuelles. »
En d’autres termes : « Non, on n’apprend pas aux enfants à se masturber », lance aux parlementaires Mathilde Varrette, infirmière scolaire et secrétaire générale adjointe du Syndicat national des infirmieres conseilleres de santé (Snics-FSU), qui participe à la présentation de cet atelier.
Des ateliers d’abord assurés en interne
Comme près de la moitié des 7800 infirmières scolaires, qui participent à 40 % des séances d’éducation à la sexualité, Mathilde Varrette assure régulièrement des ateliers d’Evar(s). « On travaille aussi avec des enseignants, des assistantes sociales, des psychologues… toujours en binôme, de manière à pouvoir réagir le plus rapidement possible et sécuriser les enfants », décrit l’infirmière. En cas de découverte de situations de violence – ce qui arrive fréquemment –, celle-ci doit par exemple les signaler au juge d’instruction, explique-t-elle aux députées qui l’interrogent à ce sujet.
Dans chaque établissement, ce sont les professeures qui ont la responsabilité première de ces séances, « selon les modalités collectivement construites en conseil des maîtres ou conseil de cycle », comme le détaille la circulaire du 4 février 2025. Les directeurs et directrices d’école, en lien avec les inspecteurs et inspectrices de l’Éducation nationale de la circonscription, et les chefs d’établissement doivent veiller à l’organisation de ces séances, en prenant si besoin appui sur un référent Evar/Evars – qui peut être un conseiller pédagogique, un professeur maître formateur, ou le référent égalité (pour le second degré).
L’épineuse question de la formation
Si les infirmières scolaires ont une compétence en santé sexuelle incluse dans leur diplôme, c’est loin d’être le cas de l’ensemble du personnel de l’Éducation nationale. « On manque de formation continue et la plupart des enseignants ne sont pas formés », regrette Mathilde Varrette, du Snics-FSU. Selon la circulaire de mise en œuvre de la loi de 2001, « les équipes académiques de pilotage de l’éducation à la sexualité, pluricatégorielles et interdegrés, ont vocation à impulser des projets dans les écoles et établissements, à accompagner leur mise en œuvre, à concevoir un dispositif de sensibilisation et de formation au sein du programme académique de formation ».

La formation de ces équipes est en outre assurée par le bureau de la santé et de l’action sociale de la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), précise la loi. « Plus de 16 000 personnes ont été formées depuis le mois de février 2025, qui s’ajoutent aux personnes formées antérieurement dans le cadre des plans de formation nationaux et académiques », se félicite auprès de Basta! le ministère de l’Éducation nationale.
Difficile néanmoins de s’y retrouver dans cette offre de formations, déployée prioritairement auprès « d’au moins deux à trois personnels par circonscription », « ainsi qu’un personnel par collège et par lycée », ajoute le ministère. Ces modules seraient complétés par des formations par le plan académique de formation, les formations initiatives établissements, des formations déclinées localement ainsi que des formations à inscription individuelle, précise encore le ministère, sans en donner les détails. Un premier parcours « d’autoformation » a en outre été publié sur Magistère, la plateforme dédiée à la formation continue du personnel de l’Éducation nationale.
Reste que, derrière les effets d’annonce, « le personnel formé n’a pas le temps de former d’autres collègues », nuance Sandra Gaudillère, de la CGT Éducation, pour qui « il y a encore une fois de belles phrases, mais rien qui suit derrière ». Il est également prévu un accompagnement pédagogique sur Educsol, le site dédié à l’information et à l’accompagnement des professionnelles de l’éducation. « Mais pour l’instant on n’a que trois niveaux : pour les 4-5 ans, les CM2, et celui pour les secondes qui est en cours », regrette Sandra Gaudillère. « Des prochains livrets seront prochainement publiés et s’étaleront jusqu’à février 2026 », répond de son côté le ministère.
Des associations agréées…
Dans le premier degré, l’Evar a vocation à être assurée en priorité par les professeures des écoles, mettant peu à peu à l’écart les associations des écoles maternelles et primaires. Dans le second degré, il est plus simple de solliciter des interventions extérieures. Mais, précise le ministère de l’Éducation nationale, « les séances ne sont jamais déléguées à des associations puisque, en cas d’interventions extérieures, celles-ci sont co-construites avec les personnels de l’établissement qui sont présents en permanence et qui demeurent en responsabilité des élèves et des contenus dispensés ».
Nous montrant un cahier détaillant les séances, et mis à jour chaque année, Margaux Barbier, chargée de projet à l’association IDSanté, insiste ainsi sur le caractère très encadré de ces ateliers, effectués en binôme, et pour lesquels l’association bénéficie d’un agrément académique en Guyane et en Occitanie, mais pas d’agrément national. « La manière de les attribuer varie beaucoup d’une région à l’autre », fait-elle remarquer.
Pour intervenir dans des établissements scolaires publics et privés sous contrat, les associations doivent bénéficier d’un accord du chef d’établissement et d’un agrément national ou académique. « Je sais que c’est sérieux en ce qui concerne le ministère, puisque je siège dans cette instance. Beaucoup d’associations ne passent pas le filtre. Mais je ne sais pas si le travail est fait aussi sérieusement dans les académies », rapporte Sandra Gaudillère. Elle ajoute : « Normalement, une association qui rentre dans un établissement doit être validée par le conseil d’école ou le conseil d’administration. Après, beaucoup de collègues ne savent pas que les associations sont censées avoir un agrément… »
...ou non
De fait, cette exigence n’est pas toujours respectée. Et pour cause : « À titre exceptionnel, des associations non agréées peuvent intervenir, mais elles sont soumises à une procédure d’autorisation auprès des recteurs ou directeurs académiques des services de l’éducation nationale », ajoute le ministère.
Dans le privé hors contrat, l’obtention préalable d’un agrément, de la part du ministère ou du rectorat, n’est en aucun cas obligatoire pour intervenir en Evars, ouvrant ainsi la porte des établissements à de nombreuses associations conservatrices ne respectant pas le programme officiel. Conséquence : « Chaque établissement fait un peu ce qu’il veut, au cas par cas », observe Pascale Picol, de la CGT Enseignement privé auprès de Basta!.
Les députées, qui ont dû s’absenter en plein milieu de la séance pour aller voter le budget, ont été épargnées du sujet de cette mise en œuvre fastidieuse de la loi. À leur retour en salle Colbert, le secrétaire général de Renaissance, Gabriel Attal manquait à l’appel. Évitant ainsi les questions sur l’effectivité de la loi, et les moyens déployés par son camp pour sa bonne application, qui reste à démontrer.
