Basta! : En tant qu’observatrice de la société française, celle-ci vous paraît-elle plus fracturée au 1er janvier 2025 qu’elle ne l’était au 1er janvier 2024 ?
Laurence de Nervaux : J’ai plutôt envie de vous répondre « oui », malheureusement. Cela tient beaucoup à la séquence politique, qui a accru le sentiment de division. La dissolution [de l’Assemblée nationale, ndlr] a clairement accéléré ce processus, parce qu’elle a poussé les acteurs politiques à exacerber ces divisions, parfois même à les surjouer. D’ailleurs, ils le reconnaissent souvent eux-mêmes en privé : le climat est, disent-ils, beaucoup plus détendu dans les coulisses de l’Assemblée nationale, avec la possibilité de vrais dialogues, que dans l’hémicycle ou sur les plateaux de télévision.
C’est cet effet de distorsion qui est dramatique : le paysage politique est bien plus divisé et violent que ne l’est la société française dans son ensemble, et c’est la projection du débat politique dans l’opinion qui finit par produire de la polarisation. Les Jeux olympiques (JO) l’ont bien mis en évidence. Dans la grande étude qualitative et quantitative que nous avons menée au lendemain de la cérémonie de clôture, les Français nous disaient tel quel : « Cela nous a fait du bien de ne pas entendre les politiques pendant trois semaines » ; « Quoiqu’ils disent, on n’en peut plus. »
En contraste, l’olympiade a été vécue comme un moment d’euphorie, avec un sentiment de très grande cohésion. Il y a eu un effet « bouffée d’oxygène » qui a fonctionné à plein par rapport au contexte de saturation de la parole et du jeu politique, qui finit par lasser, voire écœurer, les Français.
Cela n’a donc été qu’une « parenthèse enchantée » ?
Cela n’a pas suffi à redonner un sentiment de cohésion sur le fond, et sur le long terme. Lorsqu’on leur a demandé, juste après les JO, « Est-ce que vous considérez que la France est unie ou divisée ? » nous avons obtenu 78 % pour la deuxième option, contre 75 % la fois précédente – c’est une question que l’on pose très régulièrement dans nos enquêtes. Ça a donc même un peu augmenté, ce qui a plus à voir avec les législatives juste avant, plutôt que les JO.
De fait, très vite, le jeu politique a repris le dessus, avec ce « retour à la réalité » et la formation du gouvernement, l’angoisse du budget et de la dette, sans oublier l’élection de Trump aux États-Unis. Ce que je retiens de cette enquête, c’est aussi le sentiment de fierté que les Français ont exprimé. Lorsqu’on leur demande ce que ces JO ont produit comme émotion chez eux, cela arrive largement en tête.
Et quand on leur demande si les Jeux ont renforcé leur confiance dans la capacité de la France à relever des défis, 55 % répondent « oui ». Ce sentiment est en total contraste avec le pessimisme qui entourait l’événement les mois précédents, et par le fait d’avoir déjoué les pronostics sur toutes les histoires d’échec qu’on s’est raconté – sur le plan logistique, sportif, etc.
À Destin commun, on considère qu’il y a un travail intéressant à mener autour de cette notion de fierté, avec d’autres histoires à raconter – la fierté d’un modèle social et d’un modèle d’intégration, la fierté des symboles et des valeurs républicaines. Il n’y a aucune raison de laisser l’apanage de la fierté à la droite ou l’extrême droite – « la France fière », c’était le slogan de Marion Maréchal Le Pen aux dernières élections européennes. Il est urgent que d’autres familles politiques se ré-emparent de cet affect.
Vous avez récemment publié une nouvelle étude, sur un autre enjeu pour le moins brûlant, intitulée « 7 octobre, un an après : regards croisés sur l’antisémitisme et l’islamophobie en France ». Verdict : les attaques du 7 octobre 2023 seraient « loin d’avoir engendré une forte polarisation au sein de la société française », dites-vous. Là aussi, il y a une forme de « distorsion » médiatique à l’œuvre ?
La question du conflit au Proche-Orient en est l’un des cas les plus flagrants, à mon sens. Sur ce sujet, on a analysé l’opinion à différents moments – quelques semaines après les attentats du 7 octobre, trois mois après, puis un an après. À chaque fois, nous avons constaté deux choses de manière assez évidente : d’une part, c’est loin d’être un enjeu prioritaire pour les Français, qui le classent en moyenne aux alentours de la dixième place au rang des priorités. D’autre part, et c’est le plus intéressant, leur opinion est bien plus nuancée et complexe que ce que les médias donnent à voir.
Aujourd’hui, sept Français sur dix déclarent ne pas avoir choisi un camp contre l’autre – soit parce qu’ils disent ne pas avoir d’opinion, ne soutenir aucun des deux camps ou au contraire, soutenir les deux camps de manière égale. Ce qui est en total décalage avec l’image d’une France qui serait à couteaux tirés sur la question !
La France n’est pas X/Twitter, et elle n’est pas non plus Sciences Po [au printemps 2024, un important mouvement étudiant, avec blocages et débats intenses, y avaient réclamé la fin de la guerre à Gaza, plaçant l’établissement au cœur de l’attention médiatique, ndlr].
Cela ne veut pas dire que les Français sont dans une espèce de neutralité molle, ou désintéressée, ils expriment simplement une empathie bien plus forte et partagée que dans le débat public, en refusant de céder à l’injonction de choisir un camp. Les attaques du 7 octobre ont largement renforcé l’empathie d’une majorité des Français à l’égard des juifs.
Donc, la société française est loin d’être antisémite – et ce, malgré l’augmentation des actes antisémites, qui est extrêmement préoccupante et qu’il faut dénoncer avec beaucoup de fermeté et de vigilance. Par ailleurs, deux tiers des Français déplorent également l’invisibilisation médiatique des victimes de Gaza, ce qui témoigne d’une vraie conscience du problème.
À vous écouter, on a l’impression que la société française serait plus hypocondriaque que réellement malade, comme si elle souffrait d’abord de se croire plus fracturée et divisée qu’elle ne l’est véritablement…
C’est une bonne métaphore. Il y a une projection du débat public sur l’opinion qui devient presque performative, et qui alimente cette vision d’une société très polarisée. Il faut distinguer deux notions différentes quand on parle de polarisation : la polarisation idéologique et la polarisation affective. La première s’intéresse à l’étendue du spectre des idées en présence dans le débat politique, à un moment donné. Ce qui a, de manière peut-être contre-intuitive, plutôt tendance à se réduire depuis la fin des années 1980 et la chute du communisme.
La polarisation affective, elle, mesure le degré d’animosité et d’hostilité – qui va parfois jusqu’à la violence, verbale ou physique – qu’un camp peut nourrir à l’égard d’un autre camp. La référence absolue en la matière, ce sont les États-Unis, avec l’antagonisme très marqué entre deux pôles. Cela fonctionne également en France où l’on est sur un schéma plus tripolaire.
Il y a aujourd’hui un certain nombre de médias – même si, là aussi, il faudrait arrêter de dire « les médias » pour réintroduire un peu de nuance et de complexité, car ils sont loin de former une classe homogène – qui accentuent cette polarisation. Et ce, en assumant des logiques très binaires, avec des angles d’analyse très caricaturaux mettant en prise deux France face-à-face, à la limite du risque de « guerre civile », un terme qui est de plus en plus utilisé, sur n’importe quel sujet, dans le débat public. Si les Français entendent parler d’une France fracturée à longueur de journée, ensuite, quand on leur demande de répondre à un sondage sur « votre pays vous semble-t-il divisé ? » c’est logique qu’ils répondent oui !
Au fondement de la démarche de Destin commun, il y a ce souci de l’état de la cohésion sociale, doublé de cette conviction que « ce que l’on partage est plus important que ce qui divise ». Pourquoi le bien-vivre ensemble vous apparaît-il comme un enjeu aussi essentiel aujourd’hui ?
Le projet de Destin commun est né, en 2017 et simultanément dans trois autres pays (Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis), d’une inquiétude profonde vis-à-vis de ce que l’on peut appeler « la crise des démocraties occidentales », avec l’envie de mieux comprendre les causes et les racines profondes des tensions qui traversent nos sociétés.
Alors que celles-ci font aujourd’hui face à des défis majeurs – que ce soit le défi climatique, le défi des inégalités, le défi technologique, ou encore le défi migratoire – un degré minimum de cohésion sociale nous semble absolument nécessaire pour pouvoir y apporter des réponses satisfaisantes. C’est comme un prérequis pour réussir à poser des diagnostics partagés, évaluer les options et faire des choix. Autrement dit, c’est l’une des conditions premières de la démocratie.
Mais c’est un terme qui a été, depuis longtemps, galvaudé par les discours politiques : que signifie, au juste, la « cohésion sociale » ?
C’est le fait de considérer qu’on a un certain nombre de choses et de valeurs en commun auxquelles on est attaché et auxquelles on tient, qui sont comme un socle sur lequel on veut avancer ensemble. La cohésion sociale, ça ne veut pas dire qu’on est tous d’accord, mais au moins qu’on est capable d’en discuter. C’est ce qui participe à construire notre vision de l’intérêt général, tout simplement.
Or le problème, c’est que dans nos démocraties, et tout particulièrement en France, le sentiment de cohésion sociale s’effondre, et devient de plus en plus fragile. Les trois quarts des Français estiment aujourd’hui leur pays profondément divisé – là où on tourne plutôt autour de 60 % en Allemagne ou au Royaume-Uni. Quand on les interroge pour savoir si on peut surmonter ces divisions, on assiste désormais à un glissement vers la réponse pessimiste, qui devient majoritaire : aujourd’hui, 54 % des Français estiment que nos différences sont trop importantes pour que l’on puisse continuer à avancer ensemble.
La particularité de vos travaux, c’est justement de vouloir cartographier la France et ses grandes fractures en repartant des différentes représentations que s’en font les Français. Quel est l’apport de cette démarche, inspirée des travaux en psychologie sociale, dans l’univers des études d’opinion ?
Notre postulat de départ, c’est que les grands indicateurs socio-démographiques traditionnels – l’âge, le genre, le niveau de diplômes ou de revenus, la catégorie socio-professionnelle, etc. – ne suffisent plus à décrypter la société et à expliquer les tensions que l’on y observe. Pour cela, il faut aussi s’intéresser aux systèmes de « valeurs » qui forgent nos visions du monde, pour mieux comprendre comment et sur quoi elles se confrontent.
La psychologie sociale est une méthode, encore relativement méconnue en France, qui cherche notamment à définir ces différentes représentations selon l’importance relative que chacun de nous accorde à de grands « fondements moraux » tels que les questions de l’équité, de l’identité, de l’autorité, de la bienveillance, de la pureté, etc.
Ces dimensions-là sont très structurantes de nos opinions, on se rend compte qu’on en apprend souvent plus sur quelqu’un en lui demandant, par exemple, comment il élève ses enfants, s’il est plutôt optimiste ou pessimiste ou quel est son rapport à « l’agentivité » – c’est-à-dire au fait de se sentir acteur de sa propre vie, ou au contraire, de subir les événements – plutôt que s’il est un homme ou une femme, s’il habite dans une grande ville ou à la campagne, ou combien il gagne. C’est donc une grille de lecture qui nous semble offrir plus de finesse pour analyser les mouvements d’opinion et mieux comprendre certaines dynamiques à l’œuvre – d’ailleurs, elle se révèle souvent plus prédictive de nos comportements, y compris électoraux.
« Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience », vous aurait rétorqué Karl Marx. Considérez-vous que les conditions matérielles d’existence ne sont plus les principaux déterminants qui façonnent nos représentations du monde ?
Ces approches sont complémentaires. Notre grille d’analyse n’a pas vocation à se substituer entièrement aux indicateurs socio-démographiques. Il faut toujours combiner plusieurs outils pour tenter d’avoir la lecture la plus fine. On voit que les questions d’identité ou de valeurs prennent beaucoup plus de place dans le rapport des Français à la politique que lors de périodes précédentes.
Les analyses par classes sociales ont quelque chose d’un peu enfermant, on y est assimilé à un statut, alors qu’en fait, une certaine vision du monde peut mélanger des gens aux niveaux de vie très différents. Exemple, un trader et un chauffeur Uber ne feront a priori pas partie de la même catégorie socio-professionnelle. Et pourtant, ils peuvent tout à fait partager de même valeurs boussoles dans leur vie, autour du travail, de l’argent, de la réussite individuelle. Ce sont souvent des entrepreneurs dans l’âme, qui revendique la maîtrise de leur destin et la volonté d’être leur propre chef. Autant d’orientations psychologiques qui les réunissent, quel que soit leur statut social.
Vous répertoriez ainsi « six familles de Français »...
Après une longue phase de recherche, qui a duré près de deux ans, nous voulions que cette typologie soit la plus opérante possible, dans un travail d’analyse de la société et en identifiant des groupes de personnes qui répondent entre eux de manière similaire sur plusieurs questions, mais aussi de manière très différente des autres groupes. Ce ne sont donc pas des indicateurs sociodémographiques qui ont été utilisés pour les définir, même si on constate que certains groupes sont plus jeunes, plus féminins, plus diplômés, etc.
On distingue ainsi les « militants désabusés », qui représentent 12 % des Français : ce sont des gens qui se définissent par une forte politisation, et qui mettent la valeur d’équité très au-dessus des autres groupes. C’est un groupe qui défend vraiment une vision d’ordre systémique, mais qui a parfois du mal à intégrer que tout le monde ne raisonne pas ainsi. Les « stabilisateurs » (19 %) sont également très engagés dans la vie citoyenne et associative, notamment au niveau local, et très attachés aux notions de respect, d’harmonie, de cohésion sociale, justement. Ils ont, disons, une vision plus modérée, moins tranchée.
Les « libéraux optimistes » (11 %), eux, se caractérisent par leur logiciel très entrepreneurial, ils ne devraient leur succès qu’à eux-mêmes – ce sont notamment le trader et le chauffeur Uber. Leur optimisme les distingue des autres : ils revendiquent d’être aux manettes de leur propre vie, ce qui contraste avec le grand sentiment d’impuissance qui habite la population en ce moment. Et que l’on retrouve notamment chez les « attentistes » (16 %), un groupe qui partage aussi une forme d’individualisme : ce sont des gens détachés et très peu engagés, qui vont avoir tendance à se replier sur une forme de cocon un peu rassurant face à un monde complexe, potentiellement dangereux.
Les « laissés pour compte » (22 %) désignent ceux qui sont dans une grande défiance, et en colère, contre le système. Ils sont attachés à la fois aux notions de justice sociale et d’ordre, ils sont souvent extrêmement sensibles aux problématiques de pouvoir d’achat, et peuvent vite éprouver des sentiments d’abandon, d’injustice ou de concurrence – symboliquement, ce sont des profils proches des Gilets jaunes.
Enfin, les « identitaires » (20 %) qui défendent une vision nativiste de la société, de façon de plus en plus intransigeante, avec l’autorité et la pureté comme valeurs cardinales. En termes d’engagement, ils sont un peu le miroir des militants désabusés, si bien qu’on a regroupé ces deux familles à l’intérieur de ce qu’on appelle « la France polémique », car ce sont à la fois les visions du monde les plus fortement constituées et les plus opposées.
Elles participent aussi à cette distorsion de l’opinion publique, dans la mesure où ce sont les deux groupes qui s’expriment le plus, notamment sur les réseaux sociaux. On peut parfois avoir l’impression que la France, c’est eux, alors qu’ils ne représentent, ensemble, qu’un tiers de la population, et qu’il existe en réalité plein d’autres opinions différentes.
Réunir ces deux franges de population sous cette même étiquette de « France polémique », n’est-ce pas prendre le risque d’alimenter une fois de plus cette petite musique de « l’équivalence des extrêmes », à l’heure où il semble presque devenu la norme de renvoyer dos à dos la France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN) ?
Il est important de rappeler que cette segmentation n’équivaut pas directement à des électorats. Bien sûr, il y a des sur-représentations : les identitaires se définissent clairement comme des électeurs d’extrême droite, mais on en trouve également dans d’autres familles, notamment chez les laissés pour compte. Les libéraux optimistes ont clairement constitué le cœur de cible de l’électorat Macron, l’abstention est très forte chez les attentistes, et l’électorat de gauche est fortement représenté chez les militants désabusés.
Pour ce qui est du signe « = » entre LFI et le RN, je pense qu’on ne peut pas ignorer le rapport qu’une partie de la France insoumise, et tout particulièrement Jean-Luc Mélenchon, entretient à la question de la conflictualité. Il l’a lui-même théorisé, il revendique d’être une sorte d’« entrepreneur de polarisation ». Il considère que cela contribue à l’éveil des consciences. Ce qui, à nos yeux, est totalement toxique. Mais ça marche, de façon assez spectaculaire, dans le débat public.
Le problème, c’est que cela fait le jeu du Rassemblement national qui, dans le même temps, est dans la « stratégie de la cravate », qui consiste à se normaliser et se notabiliser pour dédiaboliser son image. Et ça aussi, ça marche. Bien sûr, ce n’est qu’un masque qui permet de cacher une grande violence, notamment à l’égard des étrangers, qui ressurgit souvent sur le terrain.
Nous avons notamment fait une étude sur les projets d’accueil de migrants dans des communes rurales de l’ouest de la France, où l’on retrouve des oppositions extrêmement violentes et antidémocratiques de l’extrême droite, avec de fausses pétitions et des menaces de mort contre les élus, etc.
Cette violence est intrinsèque au logiciel d’extrême droite, même si elle est sciemment masquée chez les responsables et dirigeants actuels. Et c’est la raison pour laquelle nous ne faisons pas d’équivalence entre LFI et le RN. L’extrême droite est à l’évidence la menace numéro 1 pour la France aujourd’hui, de par cette violence et ce rejet de la différence qui sont des dangers fondamentaux pour notre démocratie, mais aussi du fait de leur poids électoral, à l’Assemblée nationale mais aussi dans le monde. On ne peut plus ignorer cette donnée-là depuis le retour de Trump au pouvoir aux États-Unis.
Pour autant, ça n’empêche pas de rester lucide sur cette pratique de la politique développée par la France insoumise, qui nous semble très problématique. Le choix assumé du populisme, et cette forme d’antiparlementarisme qui consiste à vouloir toujours bien dissocier, d’un côté, la souveraineté populaire, et de l’autre, le respect des institutions garantes du pacte démocratique, voilà qui alimente aussi ce parallèle entre LFI et le RN. Là aussi, il convient de remettre de la nuance, et de la complexité.
Vous appelez à de l’apaisement, autour de quels thèmes ou de quelles mesures politiques pourrait-il se construire, selon vous ?
Il faut se donner les moyens de cet apaisement en retrouvant la maîtrise sur ce qui nous met en tension, au premier chef les réseaux sociaux. Les chiffres sont flagrants, c’est vraiment l’éléphant dans la pièce tellement c’est évident : 80 % des Français pensent que les réseaux sociaux sont un danger pour nos enfants, 71 % pensent que c’est un lieu où les points de vue extrêmes prennent trop de place, et 75 % seraient pour une interdiction pure et simple des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Il y a donc un consensus très large, et transpartisan, pour une meilleure régulation et pour reprendre le contrôle sur nos vies numériques.
Sur le fond, il y a aussi un diagnostic largement partagé sur l’enjeu de l’égalité. Ce n’est pas nouveau, mais c’est toujours autant d’actualité : les Français sont très sensibles à l’équité et à la justice sociale. Lorsqu’on leur demande ce qui divise la société, la première des divisions citées est celle entre les riches et les pauvres.
Parmi les marqueurs qui crispent beaucoup la société, il y aurait des choses à mettre en place sur les très hauts salaires, ou plus largement, sur les écarts de salaire. La sécurité est aussi une préoccupation majeure, toujours dans le top 3, quelles que soient les enquêtes. Une forme de déni de la gauche demeure, qui évite le sujet. Or ça alimente un fort sentiment d’impuissance, la peur d’une perte d’autorité de l’État. Ce qui peut abîmer profondément notre contrat social, dès lors que notre rapport collectif à l’autorité est l’un des fondements de la vie en société.
Pour finir sur quelque chose de plus positif, je crois vraiment que l’écologie reste un moteur pour porter un projet collectif. Il reste une vraie demande de fond sur des enjeux de souveraineté alimentaire et énergétique, sur des questions de sobriété. C’est très consensuel, et là aussi, ça semble pouvoir répondre à une envie de reprendre le contrôle pour répondre à ce sentiment d’impuissance très répandu.