Vous avez peut-être déjà repéré sur votre bouteille de vin ou votre jus de pommes un logo qui affiche un papillon, un carré de vignes avec des bosquets, et un acronyme : « HVE ».
Largement promue par le gouvernement, la certification « Haute valeur environnementale » envahit peu à peu les linéaires. Au 1er juillet 2020, plus de 8000 exploitations agricoles étaient certifiées HVE. « Soit une augmentation de 52,2 % en seulement six mois », se réjouit le ministère de l’Agriculture. Celui-ci vise 50 000 exploitations certifiées en 2030 (sur les 437 000 que comptent la France). D’après le gouvernement, ce label permet d’identifier les exploitations qui, sans être en agriculture bio, préservent la biodiversité et limitent l’impact de leurs activités sur l’environnement.
En pratique, cette promesse serait loin d’être tenue. Quatre organisations syndicale et associative – la Confédération paysanne, Agir pour l’environnement, le Synabio, mais aussi la fédération France nature environnement qui a pourtant été l’un des instigateurs du label – ont organisé le 2 décembre une conférence de presse pour dénoncer « l’illusion de transition agroécologique » que constitue cette certification. Celle-ci n’interdit pas, par exemple, le recours aux produits chimiques, contrairement au label AB (agriculture biologique). En dépit des 150 pages de cahier des charges, une exploitation agricole peut être certifiée HVE alors même qu’elle utilise des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques – les « CMR ». Comment est-ce possible ?
« Si tu as une ruche sur ton exploitation, tu marques des points ! Franchement ? C’est ridicule ! »
Pour le comprendre, il faut se pencher sur le cahier des charges HVE [1]. Deux options existent pour être certifiés. « L’option A » prévoit un système de notations de l’exploitation agricole sur quatre grandes thématiques – biodiversité, stratégie phytosanitaire (les pesticides), gestion de la fertilisation et de l’irrigation. L’objectif est d’obtenir au moins 10 points dans chaque thématique. À la différence du label bio qui interdit par exemple les intrants chimiques de synthèse et exige un accès permanent à des espaces de plein-air pour le bien-être animal, l’agriculteur peut être certifié HVE en choisissant les thèmes qui permettent d’obtenir suffisamment de points.
Jean-Bernard Lozier, polyculteur dans l’Eure, a réalisé un diagnostic sur sa ferme pour voir s’il entrait ou non en conformité avec cette certification. « La thématique biodiversité comprend notamment les landes ou les zones tampons en bord de cours d’eau... Tout cela existe et ne demande aucun changement à l’agriculteur. Les bandes tampons [bandes enherbées, ndlr] sont même obligatoires : pourquoi les faire entrer dans HVE ? C’est un écran de fumée », analyse t-il. « Et si tu as une ruche sur ton exploitation, tu marques des points ! Franchement ? C’est ridicule ! Si tu devais t’engager à planter X mètres de haies toutes les X années par exemple, là ça aurait du sens. » La diversité des espèces animales sur une ferme peut également rapporter des points. Une exploitation qui élève des veaux de boucherie, des volailles et des cochons peut ainsi obtenir trois points même si c’est un élevage industriel, pendant qu’insectes et oiseaux continuent de disparaître alentour...
Concernant les phytosanitaires, aucune obligation de résultat n’est fixée. Réduire de moitié l’utilisation des pesticides comme le prévoit le plan écophyto du gouvernement devrait pourtant être le minimum exigible pour une « haute valeur environnementale », estime Jean-Bernard Lozier. Selon les promoteurs, la certification HVE serait néanmoins mieux que le bio car elle mesurerait les consommations d’eau ou de gasoil – ce que ne prévoit pas le cahier des charges bio. « Réduire la consommation de gasoil c’est très bien, mais en quoi cela compense-t-il l’utilisation de glyphosate par exemple ? », interroge Claire Laval, viticultrice bio à la retraite, qui consent que des améliorations pourraient être apportées au cahier des charges biologique. Avec HVE, on peut donc gagner des points en diminuant la consommation d’eau ou d’intrants... tout en continuant à utiliser n’importe quel pesticide de synthèse ! De manière générale, « HVE ne demande que trop peu d’évolution des pratiques pour espérer une évolution environnementale visible », résume Jean-Bernard Lozier.
Poursuivie en justice pour avoir fait analyser des vins certifiés HVE
En Gironde, Valérie Murat n’hésite pas, elle, à parler de « vaste escroquerie ». Présidente de l’association Alerte aux toxiques, elle a réalisé une campagne d’analyse sur 22 bouteilles de vins, issues pour la plupart de domaines bordelais. Toutes ces bouteilles possèdent la certification HVE ou affirment se référer à une pratique vertueuse. Les résultats, publiés en septembre dernier, montrent que toutes les bouteilles contiennent des molécules – sept en moyenne – considérées comme des perturbateurs endocriniens potentiels [2]. Dans onze bouteilles, des traces de substances classées CMR probables ont été mises en évidence. Neuf bouteilles renferment au moins un des fongicides SDHI. « Ces résultats montrent des écarts importants entre le marketing, les promesses et la réalité des pratiques professionnelles », commente Valérie Murat.
L’écho de ces analyses n’a pas plu au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) qui a déposé plainte pour « dénigrement collectif à l’égard de la filière ». Les avocats de l’interprofession demandent une condamnation de 100 000 euros contre l’association « en réparation du préjudice collectif subi » et le retrait des supports de cette communication – sous astreinte de 5000 euros par jour de retard. Une audience se tient ce 17 décembre au tribunal de Libourne. « À partir du moment où on met nos vins sur le marché, de quel droit pourrait-on empêcher des consommateurs et des associations de les analyser et de commenter les résultats ? », interroge la Confédération paysanne de Gironde. Le syndicat appelle à soutenir Valérie Murat « contre cette tentative invraisemblable de bâillonner tout point de vue divergeant » [3].
« Un foutage de gueule phénoménal »
Si l’interprofession du vin bordelais monte au créneau, c’est notamment parce que la Gironde est le département avec le plus grand nombre d’exploitations labellisées HVE. Parmi les filières, la viticulture représente à ce jour 81 % des certifications au niveau national. « Le HVE est un élément central du verdissement des politiques publiques, observe Claire Laval qui représente la Confédération paysanne au comité économique, social et environnemental de Nouvelle Aquitaine. « Ce label est très soutenu par le syndicat majoritaire [FNSEA, ndlr], l’interprofession, la région, le négoce, la grande distribution. Tous ont opté pour ce label relativement facile à obtenir. » Alors que les ventes de vins de Bordeaux s’écroulent, le HVE est apparu comme une solution pour sortir de l’image d’addiction aux pesticides qui colle à la filière – la vigne consomme 20 % des pesticides utilisés en France pour 3,7 % de la surface cultivée [4].
« Désormais, les statistiques départementale et régionale ne regardent plus le pourcentage de bio mais le pourcentage de bio ajouté au HVE niveau 3 » note Claire Laval. « Les structures communiquent sur la réorientation du vignoble avec des pratiques vertueuses. C’est une façon de développer un discours plus vert, plus écolo mais sans changer de pratiques. »
L’« option B » que propose le cahier des charges HVE serait-elle plus vertueuse que la première ? Il suffit que l’agriculteur consacre moins de 30 % de son chiffre d’affaires à l’achat d’« intrants » pour pouvoir être certifié. Le terme d’intrants comprend ici l’eau, le gaz, l’électricité, l’eau d’irrigation, les fournitures, les dépenses de transport sur achat et ventes, les semences, les engrais, les produits phytosanitaires, les produits vétérinaires, et les aliments carburants. Or, la particularité des exploitations viticoles est de dégager en général un gros chiffre d’affaires, le vin ou le champagne étant une production à forte valeur ajoutée. « Donner une certification HVE – je rappelle que le "E’’ de HVE veut dire ’’environnementale’’ et pas ’’économique’’ – en ne prenant en compte que des résultats économiques, c’est quand même un foutage de gueule phénoménal » dénonce Jean-Bernard Lozier. Qu’importe, de nombreux domaines viticoles se précipitent sur l’option B pour obtenir le label.
Confusion chez les consommateurs
Le label HVE a d’ores et déjà pénétré la restauration collective. La loi Egalim [5] prévoit que les repas servis dans les restaurants collectifs comprennent 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de produits biologiques, d’ici au 1er janvier 2022. Or, la HVE de niveau 2, qui se limite à une simple obligation de moyens et non de résultats, a été intégrée au même titre que le bio et les labels de qualité type label rouge ou AOP [6]. « Le gouvernement crée volontairement une confusion vis-à-vis des consommateurs », estime Jacques Caplat de l’association Agir pour l’environnement. Il y a une volonté des pouvoirs publics de faire de HVE un concurrent du bio et non une transition vers le bio. La force de frappe institutionnelle en faveur de HVE est massive. »
« La Confédération paysanne et ses alliés se trompent de combat », estime, pour sa part, l’association de développement de la Haute Valeur Environnementale. Ce label « permet de faire connaître et de valoriser auprès des consommateurs, les bonnes pratiques agricoles mises en œuvre à l’échelle d’une exploitation, quel que soit son mode de production ». Les distributeurs poussent aussi en ce sens, comme le rapporte l’administrateur d’une cave coopérative en Dordogne. « Toute la grande distribution veut du HVE, note-t-il. Ils veulent donner une image où ils font attention à l’environnement, sachant que l’offre en bio n’est pas suffisante. » Les négociants, s’ils restent preneurs de vins bio, poseraient aussi leurs conditions en exigeant 100 % de HVE pour 2021. Face au risque de ne plus pouvoir écouler leurs productions, les exploitations dites « conventionnelles » sont donc sous pression pour se faire rapidement certifier HVE, à leurs frais.
« Soit la HVE s’améliore, soit elle doit disparaître »
Les députés ont décidé de soutenir financièrement ce label en adoptant, le 13 novembre, un amendement créant un crédit d’impôt de 2500 euros en faveur des exploitations agricoles certifiées HVE, soit un peu moins que le coup de pouce octroyé à la production bio (3500 euros). Cela représente un budget de 76 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2021, alors même que les aides au maintien de la bio ont été supprimées au début du quinquennat d’Emmanuel Macron.
« La HVE n’interdit ni l’utilisation des pesticides ni des OGM » s’insurge Didier Perréol, président du syndicat des transformateurs bio. « Il ne faut pas laisser duper les consommateurs français. La HVE n’est rien d’autre qu’une haute volonté d’enfumage. » « Soit la HVE s’améliore, soit elle doit disparaître, affirme de son côté Arnaud Schwartz, président de la fédération France nature environnement. Car oui, elle peut être un outil massif de greenwashing et de tromperie. » Avec une question au gouvernement : pourquoi favoriser une telle usine à gaz plutôt que de renforcer la qualité et le contrôle des certifications déjà existantes.
Sophie Chapelle