Refus de la parité et de lutter contre les violences : le RN ne défend pas les femmes

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Le Rassemblement national tente, dans son discours, de séduire un électorat féminin. Mais après un an de législature, force est de constater que le premier parti en nombre de députés à l’Assemblée s’oppose aux droits des femmes.

par Emma Bougerol

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Jordan Bardella avait sorti le grand jeu pour attirer l’électorat féminin : une vidéo en mode « allocution », publiée sur les réseaux de celui qui se voit déjà Premier ministre, à la veille du premier tour des élections législatives anticipées de juin 2024. « Je veux m’adresser aujourd’hui à toutes les femmes de France », amorce-t-il. Pendant un peu plus de deux minutes, il se présente comme un fervent défenseur des droits des femmes. « Demain, je serai le Premier ministre qui garantira de manière indéfectible à chaque fille et à chaque femme de France ses droits et ses libertés », promet-il.

Les mains jointes et les yeux vissés sur le prompteur, Jordan Bardella ajoute, pour convaincre : « À l’Assemblée nationale, nos députés se battent au quotidien pour obtenir des avancées et je souhaite qu’ils continuent de le faire. »
Basta! s’est penché sur les votes des députés du groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale depuis leur élection, il y a un an.

« Le RN se drape dans l’idée qu’il protégerait les femmes, qu’il constituerait un rempart pour protéger les femmes. Dans l’entreprise de dédiabolisation du RN – qui est quasiment achevée – la place des femmes est cruciale, analyse l’économiste féministe Rachel Silvera. En mettant Marine Le Pen comme candidate, en développant des discours autour des femmes, ils ont réussi à faire ce qui n’avait jamais eu lieu : le taux de vote des femmes pour le RN a convergé vers celui des hommes. Il y avait là une réserve de voix, car, jusqu’à présent, elles étaient moins nombreuses à voter RN que les hommes. »

Ce phénomène s’appuie entre autres sur une méconnaissance de la réalité des votes des parlementaires, affirme la chercheuse. « Une partie de leurs électrices ne lisent pas trop la presse, et donc ne voient pas ce double discours, n’ont pas connaissance de la position de vote en France ou au niveau européen. » Car, lorsque l’on se penche sur le sujet, ce qui se passe à l’Assemblée nationale donne à voir un tableau bien différent de celui décrit par le parti : le RN ne défend pas les femmes.

Contre la parité pour les agricultrices et dans les petites villes

Malgré les discours (et la présence de Marine Le Pen à sa tête), le Rassemblement national ne se place pas en faveur d’une meilleure insertion des femmes dans la vie démocratique, à aucun niveau. Dans le cadre des discussions autour d’une proposition de loi « relative à l’exercice de la démocratie agricole », le RN a déposé un amendement pour supprimer l’obligation prévue de parité dans les listes de représentants et représentantes à la Mutualité sociale agricole (MSA).

Les agricultrices sont toujours victimes d’inégalités et invisibilisées, comme nous le racontions sur Basta!. Face à cela, le RN préfère entériner les inégalités de représentation au sein des instances. Heureusement, l’Assemblée nationale n’a pas été en ce sens : seul le groupe UDR d’Éric Ciotti (16 députés) a voté avec le RN, et l’amendement de suppression a été refusé à une vaste majorité.

Même chose pour les communes de moins de 1000 habitants. Ces petites villes ne sont pas soumises, à l’inverse des autres, à l’obligation de parité sur les listes aux élections municipales. Résultat, au lieu d’une moitié de femme au sein des conseils municipaux comme dans les villes de plus de 1000 habitants, en 2022, les pourcentages avoisinaient plutôt les 40 %.

C’est pour pallier cette inégalité persistante qu’une proposition de loi a été impulsée par des sénateurs de plusieurs partis, de droite comme de gauche. Elle prévoyait d’élargir l’obligation de parité à toutes les communes, quelle que soit leur taille. « Si dans les villes où c’est obligatoire on y arrive, dans les villes où ça sera obligatoire demain, on y arrivera demain aussi », insiste l’élu Antoine Léaument (LFI) à l’Assemblée nationale le 7 avril 2025. Le Rassemblement national a voté contre le texte, mais la proposition a tout de même été adoptée, avec 50 % des voix des députés. La loi a été promulguée le 21 mai 2025.

Lutter contre les violences sexuelles ? Refus ou abstention

Le 1er avril 2025, l’Assemblée nationale examinait une proposition de loi pour modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. Porté par deux députées, l’une écologiste et l’autre macroniste, le texte prévoit d’entériner dans la loi la prise en compte du non-consentement des victimes de viol. Devant l’Assemblée nationale, la députée des Verts Marie-Charlotte Garin explique : « En introduisant l’absence de consentement comme élément constitutif de l’infraction, on demande au juge d’examiner ce qu’a fait le mis en cause : s’est-il assuré du consentement de la plaignante ? A-t-il profité d’une situation de vulnérabilité ? A-t-il usé de pression, d’emprise ? Ce recadrage est essentiel : on juge les actes de l’auteur, pas ceux de la victime. »

Si le texte a fait largement consensus à l’Assemblée nationale, le RN, lui, a voté contre. « Ce texte, tel qu’il est rédigé, nous met dans une situation extrêmement dangereuse, où la présomption d’innocence est renversée et où ce sont les accusés qui, à l’image de ce que Marine Le Pen a elle-même subi, doivent prouver leur innocence », a prononcé, lors des débats, la députée RN Sophie Blanc, pour défendre la position de son groupe.

Difficile pourtant, de voir un lien entre la condamnation de la présidente du parti d’extrême droite pour détournement de fonds et une meilleure prise en charge par la loi de ce crime dont est victime a minima une femme toutes les 2 minutes 30 en France.

Et le RN de revenir à ses obsessions habituelles : plutôt que de défendre les femmes victimes de viol, il faudrait entre autres « expulser les étrangers ». C’est vite oublier que, selon les chiffres d’un rapport de cette même Assemblée nationale, 9 femmes sur 10 victimes de viol ou de tentative de viol connaissent leur agresseur. La réalité est loin des fantasmes racistes d’agresseurs étrangers dans l’espace public. Dans le cadre de l’examen du texte, le parti d’extrême droite a également voté contre un amendement proposant de considérer comme un viol le retrait non consenti du préservatif pendant un acte sexuel.

Plus personne pour protéger les victimes

Rachel Silvera n’est pas surprise de ces choix politiques des élus RN : « À chaque fois qu’il est question d’avancées au niveau parlementaire, que ce soit en Europe ou en France, dès qu’il y a une idée progressiste, soit ils s’abstiennent, soient ils votent contre, soit ils se répartissent les votes – comme ça a été le cas sur la constitutionnalisation de l’IVG. » Selon le discours médiatique dominant, le RN était favorable à l’ajout du droit à l’avortement dans la constitution, en novembre 2022. En réalité, les votes du groupe se sont répartis comme suit à l’Assemblée : 37 pour, 23 contre, 13 abstentions et autant d’absents.

Deux ans plus tard, en janvier 2025, l’hémicycle discutait de l’ajout dans la loi de la notion de contrôle coercitif – ces violences psychologiques qui comprennent isolement, intimidation, harcèlement et menaces par un agresseur, souvent dans le cadre familial ou celui du couple. Ce texte entend mieux protéger les femmes victimes de violences. Il a été proposé par la macroniste Aurore Bergé (lorsqu’elle était encore députée). Lors du vote, le RN s’abstient.

Même chose pour un texte visant à « préserver les droits des victimes dont la plainte est classée sans suite ». Cette proposition de loi faisait suite notamment aux nombreuses discussions sur la mauvaise prise en charge par la police et la justice des violences sexistes et sexuelles, où les plaintes sont massivement classées sans suite – dans 80% des cas, selon l’association Prendre le droit.

Ainsi, cette loi avait été pensée pour permettre aux victimes d’être mieux informées des raisons de ce classement, et ce de manière claire et systématique. Le texte consensuel, porté par un député socialiste et soutenu par le gouvernement, a été voté à l’unanimité… sauf par le RN – et ses alliés –, qui se sont abstenus.