Tout tient dans un mot : « nouvelle » ; car le projet Lyon-Turin est celui d’une nouvelle ligne ferroviaire. Il en existe déjà une, sur laquelle circulait en 1998 près de 130 trains par jour, dans les deux sens confondus [1]. Il n’en circule plus aujourd’hui que 27 en moyenne !
Être défenseur de l’environnement et de la santé publique, c’est demander que la ligne existante soit utilisée au moins au même niveau qu’avant d’y avoir investi un milliard d’euros, de 2002 à 2012, pour moderniser ses équipements de voies, améliorer sa sécurité, augmenter ses capacités, agrandir les tunnels…
Utiliser les voies ferrées existantes, c’est créer, maintenant, de l’emploi en mettant en service des navettes ferroviaires entre la région de Lyon et celles de Turin ou Milan. Cela permet de diminuer le trafic routier des marchandises, maintenant, sans dévaster des hectares de terres agricoles, sans déforester, sans ouvrir des dizaines de carrières pour extraire du ciment, du sable et du gravier, sans installer partout des centrales à béton, sans distribuer des milliards au BTP. Il s’agit d’utiliser le réseau ferré national existant, sans le privatiser.
Des prévisions de trafic marchandises surévaluées
Pour justifier le projet, les partisans avaient annoncé qu’en 2017, les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc verraient circuler 2,8 millions de poids lourds [2] et que la voie ferrée existante transporterait 16 millions de tonnes de marchandises (l’équivalent des marchandises transportées par un million de poids lourds). En réalité, il a circulé la moitié de poids lourds et sur le rail, ce sont moins de trois millions de tonnes de marchandises qui ont été transportées.
Défendre l’environnement, la santé et l’argent public, c’est constater que toutes les prévisions pour ce projet sont fausses et surévaluées. Que la voie existante permet dès maintenant de reporter de la route vers le rail les deux tiers des marchandises. Contrairement à une idée largement répandue, les transporteurs routiers demandent à utiliser des navettes ferroviaires moins coûteuses que le mode routier [3].
Les partisans du projet de nouvelle ligne ferroviaire avancent une explosion des trafics routiers de marchandises. Si ce constat est réel pour l’ensemble de la France, il est faux pour les Alpes du Nord et les tunnels transfrontaliers franco-italiens. Il circule aujourd’hui autant de poids lourds qu’en 1994 et cela malgré l’ouverture de l’autoroute de la Maurienne en 2000 [4]. Dominique Voynet (ancienne ministre de l’Environnement, ndlr) croit à l’explosion des trafics routiers pour justifier une position favorable au projet [5]. Confrontée à la réalité des chiffres, espérons qu’elle change de position.
« Mise en péril irrationnelle de l’environnement »
Ils avancent également les fortes pentes de la ligne existante de montagne… La montagne existait déjà en 1998 lorsque la SNCF faisait circuler près de 130 trains par jour. Après un milliard d’euros de travaux, la montagne est toujours là mais le nombre de trains de marchandises a été divisé par cinq.
Creuser la montagne alors que les voies existantes ne sont pas utilisées, c’est une mise en péril irrationnelle de l’environnement.
Rappeler que les partisans du Lyon-Turin étaient également favorables à Notre-Dame-des-Landes (Dominique Voynet comprise) relativise leur engagement pour l’environnement. Leurs actes ne plaident pas en leur faveur : ils ont ouvert un deuxième tunnel routier au Fréjus et transféré 200 millions d’euros du bénéfice de la pollution routière au Mont-Blanc pour financer la pollution routière en Maurienne... grâce à un fonds public pour l’intermodalité !
Leur projet c’est de creuser plus de 260 kilomètres de tunnels, ce sont aussi des dizaines de captage d’eau potable, de sources et de réserves souterraines qui sont en péril (entre 60 et 125 millions de m3 pour le seul tunnel transfrontalier) [6]. Ce sont également des dizaines de carrières et de centrales à béton (qui n’avaient pas été prises en compte dans l’analyse environnementale). Ce sont des centaines d’hectares de terres agricoles perdues.
Le faux argument de la sécurité
La question de la montagne ne faisant pas recette, ils avancent celui de la sécurité, car le tunnel existant est un monotube (un seul tube avec deux voies dedans, ndlr). Les mêmes n’ont pourtant pas trouvé le moyen d’installer des portiques thermographiques (qui permettent de détecter les risques d’incendies, ndlr) aux entrées du tunnel ferroviaire existant pour prévenir les incendies…
Malgré les lourds travaux de sécurisation et de modernisation, ils invoquent un règlement européen pour la sécurité des tunnels... mais il ne s’applique pas au tunnel existant dont les travaux ont eu lieu avant le dit règlement. Ceci dit, on aimerait connaître le responsable du milliard d’investissements pour améliorer la sécurité qui ne servirait à rien, sauf à diviser par cinq le nombre de trains de marchandises.
Les trains de fret comme de voyageurs peuvent rouler à 80 km/h, c’est-à-dire à une vitesse supérieure à celle des camions chargés. L’argument de la vitesse ne tient donc pas non plus sauf pour Hubert du Mesnil, président de Tunnel Euralpin Lyon Turin, qui trouvait splendide d’aller passer son week-end à Milan grâce à ce projet à 30 milliards d’euros…
L’urgence d’investir dans les transports du quotidien
La vérité est que l’on peut faire aujourd’hui ce que l’on savait faire avec une ligne qui n’avait pas été modernisée, sécurisée et améliorée. Il reste des aménagements nécessaires comme la suppression de passages à niveau pour fluidifier et augmenter les circulations ferroviaires, mais rien ne justifie de ne pas relancer le fret ferroviaire dans les Alpes dès aujourd’hui.
Pour se convaincre que la montagne n’est pas le problème, il suffit de s’interroger sur les raisons qui font qu’entre la frontière espagnole et Rungis, il n’y a pas de fret ferroviaire… alors que l’on a construit un tunnel entre Perpignan et Figueiras (qui a fait faillite).
Des investissements pour une offre de service intermodale et des transports publics du quotidien, c’est l’urgence !
Il faudrait charger les camions sur les trains (à l’instar de ce qui est fait par l’autoroute ferroviaire et par Eurotunnel, ndlr) ? C’est une ineptie énergétique et économique. Un semi-remorque pèse 15 tonnes à vide et transporte entre la France et l’Italie en moyenne 16 tonnes de marchandises.
La solution, comme partout en Europe ce sont des conteneurs ou des caisses mobiles passant des camions aux wagons et inversement. Cela permet de ne transporter que trois tonnes de « poids mort » et d’utiliser des infrastructures et matériels roulant standards.
Il faut des navettes ferroviaires, comme le demandent les transporteurs routiers, sur lesquelles ils pourraient charger leurs conteneurs en fonction des places disponibles.
Pour les infrastructures ferroviaires, il est urgent de doubler et d’électrifier les voies qui ne le sont pas. Une voie unique que l’on double, c’est trois fois plus de trains du quotidien mais également une meilleure régularité. Il faut le faire entre Aix-les-Bains et Annecy, Saint-André-le-Gaz et Chambéry ou Saint-Étienne et Clermont-Ferrand. Qui peut encore promouvoir le projet Lyon-Turin ?
Daniel Ibanez