Transports

Faut-il stopper tous les nouveaux projets routiers ?

Transports

par Anna et Enora (La Déroute des routes)

Une centaine de projets routiers, pour un coût d’au moins 13 milliards d’euros d’argent public, sont actuellement soutenus par le gouvernement. Le collectif La Déroute des routes demande de tous les stopper. D’autres pays européens l’ont déjà fait.

Portraits en mode dessin d'Enora et Anna sur fond bleu
Enora et Anna
Porte-parole de la coalition La Déroute des routes.

La Déroute des routes rassemble, depuis janvier 2022, 55 collectifs en lutte contre des projets routiers contestés, dont sept autoroutes. Ensemble, nous demandons un moratoire sur tous les projets routiers.

À l’heure de l’urgence climatique, du déclin de la biodiversité et des inégalités croissantes, l’État et des élus locaux soutiennent pas moins d’une centaine de projets routiers à travers la France – à l’encontre des objectifs de la Stratégie nationale bas carbone et du Zéro artificialisation nette. Soit un gaspillage de 13 à 20 milliards d’argent public au service de la métropolisation, et d’une idéologie de développement économique basée sur le transport de toujours plus de marchandises sur de longues distances par camion.

Destruction des biens communs

Les routes sont présentées partout comme des solutions à des besoins des populations locales, des infrastructures neutres et rationnelles. C’est faux. Les routes sont politiques. Elles profitent à quelques-uns en détruisant nos biens communs, et en nous enfermant toujours plus dans une dépendance précarisante à la voiture individuelle. Elles dessinent un mode de vie, fabriquent des comportements et créent des besoins qui nous aliènent.

Aujourd’hui, 13,3 millions de personnes en France sont en situation de « précarité mobilité ». Près de 28 % de la population est prisonnière de choix politiques rétrogrades qui privilégient les intérêts privés à des services publics de transports accessibles à toutes et tous.

Lutter contre le modèle tout-routier est une bataille culturelle. Il nous faut sortir du mythe de la mobilité heureuse, d’une mobilité choisie et émancipatrice, mythe sur lequel prospère ce modèle. Pour beaucoup, faute d’alternatives à la voiture, la mobilité réelle est au quotidien une contrainte. La voiture comme outil de liberté est un leurre publicitaire. Sa réalité c’est l’embouteillage, les galères de stationnement, les levers avant le soleil, le coût d’achat et d’entretien, l’assurance, les prix du carburant.

Il n’y a pas de petits projets de routes : ils sont tous lourds de conséquences, et doivent être arrêtés sans délai.

Arguments mensongers des porteurs de projets

Partout, nous observons les trois mêmes arguments répétés par les porteurs de projets routiers, petits ou grands. Fluidification, désenclavement, développement économique. Partout, ces arguments sont mensongers.

Les routes ne fluidifient pas le trafic. Elles l’induisent. De 10 % à court terme, et 20 % à long terme, saturant rapidement les nouvelles routes, ce à quoi les élus répondent par de nouvelles routes. Ce phénomène est documenté depuis les années 1960. Les routes induisent aussi l’artificialisation des terres. Sans route, pas d’urbanisation.

La construction d’une route permet d’autres constructions sur de nouvelles zones jusque là difficilement accessibles, notamment par les camions. Elle éloigne et sectorise les activités du quotidien. Maison, travail, loisirs, école, commerces… la route fragmente nos vies dans l’espace pour des trajets toujours plus longs et encombrés qui nous volent notre temps.

Les routes ne désenclavent pas les territoires. Elles livrent de nouveaux espaces à la prédation foncière des industriels et des plus privilégiés pour qui la voiture reste un moyen de transport accessible. Les contournements routiers font dépérir les centres-bourgs, les liaisons routières éloignent les commerces, les services publics, tout en rendant plus accessibles aux urbains les maisons de campagne et de vacances, permettant l’accaparement du foncier au détriment du quotidien des habitantes.

Les routes développent une certaine économie. Elles intensifient les flux, étendent les réseaux et les infrastructures de la logistique. En traçant les projets contestés sur une carte, nous dessinons un maillage qui connecte les métropoles, les plateformes industrielles, les entrepôts et les grands ports. Des milliers d’hectares qui seraient bétonnés en linéaire, au service d’une économie de marché performative et déshumanisée.

Des moratoires dans d’autres pays

Pour toutes ces raisons, nous demandons un moratoire, et après les grandes mobilisations du printemps dernier contre l’A69 et l’A133 A134 pendant lesquelles plus de 10 000 personnes se sont soulevées, nous organisons une saison d’actions à l’automne 2023. Le modèle du tout-routier nous conduit droit dans le mur. Notre demande de moratoire a un sens économique, environnemental, social et politique.

Le moratoire sur tous les projets routiers n’est pas une utopie. 20 000 personnes ont déjà signé notre pétition. D’autres pays européens l’ont adopté, et délaissent les investissements routiers pour mettre la priorité sur les transports en commun, le chemin de fer, le vélo, la marche.

Le Pays de Galles et les Pays-Bas investissent dans le futur en favorisant des mobilités aux impacts plus doux sur la santé, le climat et la biodiversité. La Suisse a choisi depuis longtemps le fret ferroviaire pour le transport de marchandises. Qu’attendons-nous ?

Stopper les projets routiers est un axe stratégique clé pour endiguer les flux, freiner la destruction du vivant et la métropolisation. L’eau, l’air, les forêts, les zones humides, les espaces naturels riches de biodiversité, les terres agricoles sont des communs qu’il nous faut défendre pour ouvrir les possibles. La plupart des projets datent du siècle passé et représentent ce vieux monde qui voudrait nous imposer violemment un avenir bouché.

Solidaires et déterminées, nous nous mobilisons cet automne aux côtés des luttes locales pour faire tomber dix projets routiers, et autant qu’il le faudra jusqu’à ce que soit adopté un moratoire national suspendant tous les projets routiers.

No Macadam !

Anna et Enora, porte-parole de la coalition La Déroute des routes