Le réveil est triste, ce vendredi d’octobre, pour les résident
es de l’établissement d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) de la Tour de l’âge d’or, dans le petit village de Termes d’Armagnac, dans le Gers. Dans la nuit, le plus ancien, Gilbert, 98 ans, est mort. « C’est un choc.. Hier soir, on lui avait mis une petite lumière pour éclairer sa chambre, confie Claude, 80 ans, la voix un peu étranglée. Mais c’est comme ça, on est là pour finir notre vie... ».Béret gascon sur la tête, silhouette un peu voûtée mais le pas sûr, Claude semble encore loin de l’échéance. Résident de l’Ehpad depuis un an, l’homme passe le plus clair de ses journées avec son ami Martial, 77 ans, ancien ouvrier agricole, autour du modeste bâtiment. « On s’occupe, on a des trucs à bricoler : couper les mimosas, tondre, couper la haie », résume Martial. La fin de matinée approche. Les deux hommes prennent congé et vont s’attabler pour attaquer le repas de midi. Au menu : velouté de courge, salade de tomates, boulgour carotte avec du tendron de veau en sauce, yaourt à la verveine. Les 19 résident
es mangent avec appétit.
Vendredi 17 octobre, leur Ehpad se verra remettre la certification « 3 carottes », niveau excellence, par le label Ecocert en cuisine, créé pour valoriser les établissements de restauration collective qui passent au bio et au local. C’est la première fois en France qu’une maison de retraite obtient cette certification. Elle sera remise dans le cadre des Rencontres nationales de la restauration collective faite-maison, locale et bio, qui se tiennent du 17 au 18 octobre justement à Termes d’Armagnac.
Les anciens repas industriels : « C’était une catastrophe »
Ce prix vient récompenser le virage pris par l’établissement depuis deux ans. La maison de retraite a été créée dans les années 1970 par André Boingnères, ancien maire, industriel et homme d’affaires. Lorsque fin 2022, son directeur prend sa retraite, la survie de l’Ehpad est en danger. « C’était notre responsabilité de garder cet Ehpad dans le village, dit Thibault Renaudin, actuel maire de la commune de 200 habitants, et président de l’établissement. De conserver cette bâtisse et le public qu’elle accueille . »
En mai 2023, Véronique Champomier, diététicienne de métier et spécialisée dans la restauration collective durable, est embauchée comme directrice. La petite structure sous statut associatif peut accueillir 24 résident
es maximum, mais en compte seulement une quinzaine. La plupart peu fortunés. « 80 % sont sous l’aide sociale, il y a beaucoup de petits agriculteurs à faibles revenus », explique la directrice. Sous tutelle du département et de l’agence régionale de santé (ARS), l’Ehpad de la Tour de l’âge d’or affiche un prix pour une chambre seule à 63,44 euros la journée. Soit un peu moins de 2000 euros par mois pour les résident es.
Très vite après son arrivée, la nouvelle directrice constate un problème avec l’alimentation. « Les gens disaient que la nourriture n’était pas bonne, on en jetait la moitié et les soignantes avaient honte de servir ça... », résume-t-elle. « Ça », c’était les repas industriels livrés quotidiennement. « C’était une catastrophe », se souvient Thaïs, 25 ans, agente de services hospitaliers et référente logistique dans l’établissement. C’est l’une des plus jeunes mais aussi l’une des plus anciennes des 13 salarié
es de l’Ehpad. Elle y a commencé en 2015 en tant que stagiaire avant d’être embauchée. « Les repas n’étaient pas adaptés, on se retrouvait parfois avec des hamburgers ! »Une cheffe-cuisinière à temps plein
Après quelque mois d’observation, la directrice construit un nouveau projet d’établissement, soutenu par le conseil d’administration, au cœur duquel figure une autre approche de la nourriture et des repas. La cuisine est totalement refaite et à partir d’octobre 2024, la restauration de l’Ehpad prend un virage radical : une cheffe-cuisinière est embauchée à temps plein. Tout est cuisiné et confectionné sur place, y compris les sauces, fonds de sauces, pâtes à tartes…

À part le cacao, le café, les bananes et des épices, les produits utilisés proviennent à 100 % de producteurs du département, ou alors des Landes et des Hautes-Pyrénées, deux départements limitrophes du Gers. Et les aliments sont à 87% issus de l’agriculture biologique. Le résultat est très vite spectaculaire, assure Véronique Champomier : « Au bout de trois semaines, toutes et tous ont repris en moyenne 2,8 kilos. On ne va plus les chercher dans leur chambre quand c’est l’heure du repas, ils ont le sourire à table et le groupe est devenu un vrai jury de Top chef ! »
Une réussite à laquelle s’ajoute, cerise bio sur le gâteau fait maison, un gain économique : en adoptant cette nouvelle approche, le prix du repas est passé de 12 à 10,50 euros, salaire du cuisinier compris. « C’est totalement vertueux, se félicite Thibault Renaudin. C’est bon pour les personnes qui retrouvent le plaisir d’être à table ; c’est bon pour le personnel parce que ça donne du sens à leur travail ; c’est bon pour les familles qui sont reconnaissantes ; c’est bon pour les paysans du coin à qui on achète les produits ; et en plus, on gagne de l’argent ! » Un bilan positif que le maire adosse à « l’approche humaine, individualisée, un peu familiale » que le conseil d’administration de l’Ehpad qu’il préside veut promouvoir. « Pour nous, c’est important, On est dans le Gers mais pas question de traiter nos résident
es comme des canards », plaisante l’homme.Achat à des producteurs locaux
Doté d’un budget de 750 000 euros annuel, l’Ehpad en dépense chaque année 65 000 pour l’achat de denrées alimentaire à des paysans producteurs locaux. Ce vendredi, en cuisine – qui ne comporte aucun fourneau, que des sauteuses, pour éviter le lavage des gamelles et des casseroles - Hervé Mouchard, 53 ans, qui remplace temporairement la cuisinière en arrêt, prépare des plats de légumes rôtis pour le repas du soir : potimarrons, pommes de terre, céleris rave. « Il y aura aussi de la charcuterie artisanale », promet-il, en tranchant du saucisson sur sa planche.

Chef cuisinier et formateur au collectif Les pieds dans le plat, qui organise les rencontres nationales du 17 et 18 octobre, Hervé prépare environ 50 repas par jour. Il se fournit auprès de Gers bœuf pour la viande, d’une fromagerie locale, les Petites louches, pour le fromage, chez un magasin bio pour l’épicerie et les légumes, et récupère des champignons frais à Madiran ou encore du fromage de chèvre dans le sud du département.
Dans la cuisine, on ne jette plus grand chose et tout ou presque se recycle : des épluchures pour une soupe ; une carcasse de volaille pour un vermicelle. « Les résident
es me font des retours sur les repas de la veille, raconte Hervé. Parfois, je leur propose de venir éplucher des légumes, écosser des petits pois. Et j’adapte mes repas. Dans un Ehpad, c’est le plus possible bien cuit et fondant ; je fais des langues de bœuf, du foie de veau, des bouillons, des vermicelles. Des trucs très différents que pour les ados dans les lycées par exemple... »La clé, c’est le plaisir. « Cette bouffe là, ça leur rappelle des souvenirs. Le repas, c’est un des rares bons moments qui restent à beaucoup d’entre eux, donc c’est important », souligne le cuisinier. Les résident
es le confirment en peu de mots. « Le repas, c’est très bon », résume Marie-André, bientôt 73 ans, résidente depuis 11 ans. « Et même si on veut, on a de la repasse ! » taquine Martial : « Toi je t’ai vu, t’en a repris hier... »Ehpad ouvert sur le village
Animatrice depuis un an et demi dans l’Ehpad où son père a terminé sa vie, Muriel accompagne régulièrement les résident
es au marché de Plaisance ou à l’épicerie du village. Elle prévoit aussi de les amener visiter des fermes de producteurs. Histoire de renforcer ce lien à la nourriture, important comme le rappelle Ylona, aide-soignante passée par des Ehpad plus grands : « Ici, ils viennent manger avec plaisir alors que dans d’autres structures, le repas est parfois un moment négatif . »
Ses collègues, Élise et Maïtena, toutes deux aide-soignantes, et Ange, en stage dans le cadre d’une reconversion professionnelle, partagent leur satisfaction de travailler dans un endroit où « on n’est pas en stress comme dans les grandes structures. On est en équipe de 12 heures, mais on ne les voit pas passer, c’est souple », assure Maïtena. Le repas est offert aux salarié
es présent es tous les jours et certaines avouent y avoir elles aussi retrouvé un certain goût pour les légumes.Et si ce récit idyllique était surtout rendu possible par la taille modeste de l’établissement ? C’est tout l’inverse pour Hervé, cuisinier militant de la transition alimentaire durable dans les collectivités : « Pour nous, il n’y a pas d’alternatives », résume-t-il, assurant que le travail du collectif Les pieds dans le plat essaime dans des structures plus importantes, par exemple dans des cantines de Dordogne. « En tant qu’élu, je me dis au contraire que c’est quelque chose qu’il faut développer », ajoute le maire Thibault Renaudin, qui assure faire du « lobbying » auprès du département et de l’agence régionale de santé pour vanter les mérites du choix fait par son Ehpad.
Voyant ce « projet autour de la nourriture comme un brise-lame », l’élu entend s’appuyer dessus pour travailler la question du « bien-vieillir » et ouvrir l’horizon. « Avant c’était bunkerisé, ici, maintenant, on est ouvert sur le village, une respiration s’est créée autour de cet Ehpad », se félicite-t-il. Un nouveau projet pensé avec la directrice est aujourd’hui à l’étude : l’idée serait d’utiliser l’actuel bâtiment pour en faire une résidence autonomie (accueillant des personnes moins dépendantes que celles qui vont en Ehpad) et de reconstruire un nouvel Ehpad et ses 24 unités dans le champ juste à côté. Celui où deux beaux chevaux paissent aujourd’hui sous le regard averti de Claude et Martial, toujours en quête d’un peu d’activité au grand air... en attendant le prochain repas.