Les cantines des collèges de Dordogne passent aux 100 % produits locaux, bio et fait maison

par Lisa Damiano, Rozenn Le Carboulec

Les restaurants scolaires de Dordogne opèrent une transition vers une alimentation bio et locale. Reportage à Montignac-Lascaux, où la cantine d’un collège se fournit désormais majoritairement chez les producteurs alentours.

Ce mercredi de janvier, peu avant 8h30, les élèves de Montignac-Lascaux, en Dordogne, affrontent le froid pour rejoindre leur collège. Ils ne pensent sûrement pas à la petite équipe qui s’affaire en cuisine depuis plus de deux heures déjà pour les nourrir. Dans cette cantine labellisée depuis peu « 100 % bio, local et fait maison », les onze agentes sont à leur poste depuis 6 heures.

Au menu ce midi, plusieurs entrées au choix, parmi lesquelles de la betterave rouge, des poireaux vinaigrette et du radis violet – « moins fort que le radis noir », précise la cheffe Cécile Beau – accompagné d’une mayonnaise végétarienne sans œufs, montée au lait de soja, et du potage. En plat : pizza maison tout fromage ou avec jambon, faite sur place. Et pour le dessert, une compote de pommes cuites ce matin, ou les restes de salade de fruits de la veille : « Ici, c’est zéro gâchis. »

De la salade verte est en libre-service et le pain vient de la boulangerie d’à côté, qui livre chaque matin. Le tout en coordination avec la diététicienne Aurélie Mansard, qui veille à l’équilibre des menus. Car ce qui se trame au collège Yvon Delbos est bien plus qu’une transition alimentaire : « C’est un projet politique », proclame Nicolas Lamstaes, qui, depuis quatre ans, forme le personnel des cantines du département à ce grand chamboulement. L’objectif assumé : parvenir à dix-neuf établissements labellisés à la fin de l’année scolaire, et 30 d’ici la fin du mandat (sur la quarantaine de collèges publics du département).

Remplacer les surgelés et les conserves

Jusqu’à il y a un peu plus d’un an, les plats du restaurant scolaire étaient composés d’environ 20 % de produits locaux, le reste provenant d’ailleurs, y compris de l’étranger. « On avait quelques producteurs bio en démarchage libre, sinon on travaillait sous la houlette des grossistes et on faisait en fonction des promotions », décrit Cécile Beau. Elle a pris la tête de la cantine quand son chef est parti à la retraite, à l’été 2023. « On ne connaissait pas l’origine des produits. Il y avait beaucoup de légumes préparés ou semi-préparés, de surgelés, des steaks qu’il fallait servir très cuits… Aujourd’hui, notre travail est davantage valorisé », estime-t-elle.

La responsable nous montre les restes de trognons de pommes, qui ont servi à faire du jus pour la salade de fruits, tandis que la soupe du jour est accompagnée de croûtons réalisés avec le reste de pain : « Les enfants aiment ça. Ils kiffent, comme ils disent ! » commente-t-elle avec un sourire malicieux. À ses côtés, ses collègues servent dans des ramequins en verre le riz au lait encore chaud, tout juste cuisiné par Valérie pour le déjeuner du lendemain. « Avant, c’était des conserves et des pots de yaourt, ça n’a rien à voir », commente-t-elle avec fierté. Cela réduit aussi considérablement les déchets.

Portrait de Cécile Beau, dans le réfectoire
La cheffe Cécile Beau
Avant, « on ne connaissait pas l’origine des produits. Il y avait beaucoup de légumes préparés, de surgelés, des steaks qu’il fallait servir très cuits… Aujourd’hui, notre travail est davantage valorisé », dit la cheffe Cécile Beau.
© Rozenn Le Carboulec

70 à 80 % de produits locaux

Depuis l’obtention du label « 3 carottes » correspondant au niveau excellence remis par l’organisme de certification bio Ecocert, placardé fièrement dans la cantine, les ratios se sont inversés. Les agentes travaillent désormais avec 70 à 80 % de produits locaux, fournis par une dizaine d’agriculteurices situées dans un rayon de 30 kilomètres. Si ce n’est pas possible, le complément est livré par la structure Manger bio Périgord, créée en 2017 pour alimenter la restauration collective en produits locaux et bio. Dans la commande du jour, livrée à 11h30 : de l’ail provenant de Saint-Vincent-Jalmoutiers ou encore des patates douces de Port-Sainte-Foy, communes situées à une centaine de kilomètres.

« Ici on travaille les mêmes produits que dans les restaurants gastronomiques », signale Nicolas Lamstaes. Le formateur sait de quoi il parle : après un apprentissage avec le très médiatique chef Philippe Etchebest, il a travaillé pour Alain Ducasse à Paris et Monaco, avant d’ouvrir son propre restaurant à Périgueux. « J’avais le manque du Périgord, j’ai dit au chef que je voulais rentrer chez moi », raconte-t-il. Alors qu’il souffrait de problèmes de santé l’obligeant à ralentir le rythme, il a fait la rencontre de Jean-Marc Mouillac.

Affiche dans la cantine présentant les légumes d'automne
Légumes d’automne
« On n’a plus de frites ! C’était meilleur avant », se plaint un élève de 4e. À cause d’un anti-moussant potentiellement cancérigène dans les huiles, elles ont été remplacées par des potatoes au four et des pommes de terre sarladaises, grande spécialité du coin.
© Rozenn Le Carboulec

Cet artisan de la première cantine 100 % bio de France, à Marsaneix, au sud de Périgueux, a cofondé il y a 10 ansle collectif Les Pieds dans le plat, regroupant des professionnelles engagées pour une alimentation bio, locale et faite maison. Lui-même formateur pour les cantines du département, il a embarqué Nicolas Lamstaes dans le projet, qui a eu « un flash ». « Faire à manger pour les ados, c’est le plus beau métier du monde », se réjouit-il. Et de lancer : « Avant, je nourrissais mon ego, maintenant je nourris l’avenir ! » Le tout sans aucune frustration ni nostalgie, assure-t-il : « Je mets au défi Alain Ducasse de venir faire à manger pour 500 personnes ! Au début j’ai dû cuire 25 kilos de riz, je me suis planté. Ce n’est pas la même technique que pour 50 personnes. »

Des anciens élèves devenus producteurs

Pour nourrir les 400 élèves du collège Yvon Delbos avec du 100 % fait maison, y compris carné, un nouvel agent a été intégré à l’équipe : Anthony, formé en boucherie-charcuterie. « Depuis septembre, on fait rentrer des bêtes entières, principalement des agneaux et des cochons, avec lesquels on fait nos saucisses, nos pâtés… » explique-t-il. Et le jambon du jour, donc. « On fait beaucoup de cuisson de nuit. On a remis au cœur le métier de cuisinier », estime Anthony.

Parmi les fournisseurs de viande, la ferme familiale Biobeef, située à une dizaine de kilomètres, qui vend également des vaches entières à un restaurant gastronomique. « Les établissements scolaires nous prennent en général une cinquantaine de kilos, soit 5 à 10 % des ventes. On leur propose du bourguignon, de la viande hachée, des saucisses… » décrit Louis Deltreuil, qui élève avec son père une centaine de vaches limousines et produit 20 tonnes de blé, transformé en farine pour six boulangeries.

Au départ producteur de lait en agriculture intensive, le père Deltreuil s’est converti au bio il y a plus de 20 ans. « Les gens n’y croyaient pas du tout, personne ne voulait lui vendre des terres, il a fallu batailler », raconte Louis. Aujourd’hui, plus d’intermédiaire : « C’est nous qui fixons le prix. Ceux à qui ça ne convient pas n’achètent pas. » Un cercle économique vertueux dans lequel se retrouvent aussi les établissements : au collège Yvon Delbos, le coût par plateau serait de 2,10 euros, ce qui correspond à la moyenne de la région et reste même inférieur au prix précédemment en vigueur dans l’établissement, selon Nicolas Lamstaes.

Louis Deltreuil avec ses vaches limousines
Louis Deltreuil, l’éleveur
Louis Deltreuil est éleveur à la ferme familiale Biobeef, située à une dizaine de kilomètres du collège. Il en est aussi un ancien élève, comme ses frères, dont un y est encore scolarisé : « Il est content de pouvoir dire à ses copains que la viande qu’ils mangent vient d’ici ! »
© Rozenn Le Carboulec

Des investissements conséquents ont toutefois dû être réalisés dans chacune de ces cantines, où le département (à majorité de gauche, présidé par le PS) a financé 100 000 euros de travaux pour adapter le matériel, et pouvoir cuisiner les produits bruts. « Quand les producteurs tuent une bête, ils nous appellent. Pareil si l’un d’eux doit ramasser ses salades car il va geler », décrit Cécile Beau, qui fait le lien avec des agriculteurs qu’elle a parfois vu grandir. Louis Deltreuil est un ancien élève de Montignac, comme l’ensemble de ses frères, dont un est encore au collège : « Il est content de pouvoir dire à ses copains que la viande qu’ils mangent vient d’ici ! »

Les parents invités à manger à la cantine

Pour impliquer au maximum les élèves et leurs parents dans cette transition, l’équipe a redoublé d’efforts : il existe une instance de représentation des élèves et une « commission menu » a notamment été créée pour les faire intervenir dans les choix. Cela passe aussi beaucoup par l’éducation au goût : « Demain, on fait du potimarron grillé. Je vais en garder un entier et l’exposer sur le self pour montrer aux élèves à quoi ça ressemble », explique Cécile Beau.

Un travail de pédagogie et de communication plus que nécessaire, si l’on en croit la principale du collège, Marie-Pierrre Leclère-Guillomo. « Il y a quand même eu des résistances que je n’avais pas anticipées. Il y a des préjugés qui ont la peau dure et on est sur un territoire rural, avec des agriculteurs en conventionnel qui rencontrent des difficultés et se sentent exclus », rapporte-t-elle.

Les parents ont été invités à manger à la cantine et ont récemment été conviés à un marché de producteurs. « Ça se passe mieux, mais les élèves, eux, ne sont pas toujours satisfaits », reconnaît la principale. « Les élèves sont pires que le Guide Michelin. Au niveau des critiques, ils se lâchent ! », s’amuse Nicolas Lamstaes. Cécile Beau ajoute : « Si vous leur dites que dans la sauce tomate de la pizza de ce midi il y a des lentilles corail et du vert de poireau, ils ne vont pas la manger. »

Le scandale de l’année dernière ? La disparition des frites, à cause d’un anti-moussant potentiellement cancérigène dans les huiles. Elles ont été remplacées par des potatoes au four et des pommes de terre sarladaises, grande spécialité du coin. Pas sûr que cela suffise à convaincre l’ensemble des élèves. Alors que pas mal de plateaux reviennent à moitié remplis, un élève de 4e s’étrangle toutefois : « On n’a plus de frites ! C’était meilleur avant. » Pire : « Un jour, on a même eu de la pizza avec des lentilles ! »

D’autres sont très satisfaites. En 4e, Naël et Romuald, qui font partie de la quarantaine d’élèves végétariens à qui il est quotidiennement proposé un plat adapté, se réjouissent de la variété des aliments. Pareil pour Larra, Marylou et Lucie, qui finissent leurs assiettes.