« Nous sommes la relève » : des demandeurs d’asile lancent leur ferme en maraichage à Rennes

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Pour se sentir utile et recouvrer un peu d’autonomie, un groupe de demandeurses d’asile de Rennes a décidé de cultiver la terre sur une parcelle prêtée par un agriculteur. Les récoltes sont en partie données aux Restos du cœur. Reportage.

par Nolwenn Weiler

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Se ménager une place dans une société qui leur interdit de travailler, sortir des tracas du quotidien, se sentir utile, nourrir les plus vulnérables : voici, résumé en quelques mots, le projet agricole d’Eddy Valere, Justine, Kassiri, David, Bena et une dizaine d’autres personnes en demande d’asile, âgées de 18 à 46 ans et vivant à Rennes.

En cette fin juin caniculaire, iels vont et viennent sur la parcelle d’un hectare que leur prête un agriculteur installé au nord de la ville. Justine et Bena terminent d’arroser les plants de poireaux tout juste mis en terre, Kassiri aménage des tuteurs pour les tomates tandis que David travaille le sol.

Poireaux, courgettes, piments, pastèques

La journée, entamée tôt ce matin, a été bien remplie : « En plus des poireaux, on a planté des courgettes, des piments, des poivrons et des pastèques », annonce Eddy Valère tandis qu’il remet en place les filets qui protègent les choux des attaques de mouches. Il désigne ensuite un carré de salades « à point » qui seront cueillies dans quelques jours pour être données aux Restos du cœur.

L’un des objectifs de ce projet agricole collectif est de venir en aide aux plus vulnérables – personnes à la rue, sans papiers, précarisées… – en leur proposant des produits alimentaires de qualité. Pour le moment, la production est en partie donnée aux Restos du cœur, en partie auto-consommée.

Assises le temps d’une courte pause près des citernes d’eau qui leur permettent d’irriguer leurs cultures, les participantes expliquent leur démarche. « S’intégrer en France, ce n’est pas facile, commence Eddy Valère. Sans titre de séjour, nous n’avons pas accès au monde du travail. Errer en ville, ce n’est pas une bonne idée. Quand on reste sans rien faire, on a de mauvaises pensées. »

Arrivées en Europe au terme de voyages périlleux et épuisants, au cours desquels leurs compagnons d’infortune ont parfois perdu la vie, Eddy Valère, Justine, Kassiri, David et Bena se sont rencontrées dans les centres de distribution alimentaire, dans les parcs où iels doivent dormir depuis de longs mois, ou à l’entrée des bâtiments publics qu’iels ont parfois squattés avant d’en être délogées par la police.

deux hommes respectivement vêtus de noir et de rouge
David et Eddy Valère.
© Nolwenn Weiler

« Nous vivons beaucoup de stress, décrit David. Dormir en tente, c’est compliqué et fatigant. Et passer des journées à ne rien faire en ville, c’est difficile. On a peur de plonger, donc on essaie de rester actifs. » Plusieurs d’entre iels émargent parmi les bénévoles de la Croix rouge et participent à des maraudes pédestres.

Solidarités agricoles

« Notre idée de ferme collective vient de notre désœuvrement, continue Eddy Valère. Nous n’avons pas le droit de travailler car nous n’avons pas de papiers mais nous voulons nous rendre utiles. Nous avons d’abord proposé à la mairie de l’aider à avoir une ville plus propre mais nous n’avons pas eu de réponse. Nous avons alors eu cette idée de production agricole. » Plusieurs des personnes actives dans le projet viennent de familles d’agriculteurrices et ont donc des compétences en polyculture-élevage, mais aussi en maraîchage. Très déterminées, les membres du collectif ont réussi à trouver cette petite parcelle de terre d’un hectare mise à disposition avec un accès à l’eau.

Justine arrose les poireaux qui viennent d’être plantés. Le propriétaire des lieux leur a donné accès au puits de la ferme.
© Nolwenn Weiler

Averti du projet au détour d’une manifestation « antifa » rennaise, Grégory – éleveur – est venu avec son tracteur « pour labourer et passer un coup de herse pour que le collectif puisse semer derrière ». Il a aussi amené une tonne à eau, des tuyaux et quelques paires de bottes, et se tient informé des besoins des maraîcheres migrantes via le collectif Campagnes ouvertes et solidaires.

Ce collectif rural fait partie des mille et une initiatives qui ont fleuri en France il y a un an, suite aux inquiétants résultats de l’extrême droite aux élections européennes et à la perspective des législatives consécutives à la dissolution. « Nous, habitantes, amies, citoyennes, paysannes, travailleurs de toutes catégories, parents, de 3 à 90 ans convergeons vers une chose : que les campagnes restent des lieux ouverts et solidaires », énonçait le petit texte écrit dans l’inquiétude de voir le Rassemblement national diriger un gouvernement.

« Le monde rural est un lieu de développement de l’extrême droite, explique Maxime. Ce sont donc pour nous des territoires de lutte importants. » Après les élections de l’année dernière, son collectif s’est donné rendez-vous chaque lundi dans des communes différentes pour un moment de convivialité autour d’un barbecue partagé. L’objectif : « Faire exister dans les campagnes un autre discours que celui du repli et de la haine, résume Maxime. L’un de nos moyens, c’est de développer des actions de solidarité très concrètes. Par exemple en aidant ce collectif autonome de migrantes. »

Kassiri tient à ce que le projet se fasse « sans chimie, car cela donne trop de cancers ».
© Nolwenn Weiler

Grâce aux réseaux ruraux et agricoles, les brouettes, binettes, fourches, pelles, couteaux et autres matériels inusités ont été sortis des hangars et greniers. « Nous avons aussi reçu du fumier et des plants », se réjouissent les néo-maraîcheres, qui projettent d’installer une serre dès qu’iels en trouveront une. « Nous aimerions aussi avoir plus de filets pour protéger nos cultures et des petits pulvérisateurs à dos », expliquent-iels. Et pourquoi pas, si possible, un tracteur…. Une cagnotte a été mise en place pour réunir les fonds nécessaires.

Se former et tenir bon

« On est en quête de savoir », ajoute David qui, lui, ne vient pas du tout du milieu agricole. « On pourrait faire des formations à deux par exemple et partager ensuite ce qu’on a appris avec le groupe », proposent Eddy et Kassiri, précisant que leur projet se fera « sans chimie, car cela donne trop de cancers ». Selon Maxime, « en termes d’auto-organisation collective, le résultat est déjà impressionnant ». En moins de six mois, et avec des difficultés multiples, un sol et un climat méconnus voire un métier totalement nouveau, les membres du collectif ont bâti un demi-hectare de jardin où s’alignent des séries de cultures en bonne santé.

La première parcelle du collectif était située près des bâtiments de la ferme voisine, que l’on aperçoit au fond, mais ils ont dû déménager car le voisin leur était hostile.
© Nolwenn Weiler

« Ce n’est pas facile, mais nous sommes sur la voie de la réussite. Et nous sommes courageux », résume Eddy Valère. Peu après le lancement de leur projet, iels ont dû changer de parcelle, car la première jouxtait d’un peu trop près les terres d’un voisin « qui ne voulait pas croiser de gens de couleur », rapporte Eddy Valère. Mais toustes ont décidé de tenir bon et de continuer à parcourir deux fois par jour les 45 minutes de marche qui séparent la parcelle de leur arrêt de bus, lui-même situé à 30 minutes de Rennes. Loin de l’agitation de la ville, la parcelle est devenue pour le groupe un endroit essentiel.

une femme bêche le sol
Béna, infirmière de profession, ne peut pas exercer son métier en France faute de papiers.
©Nolwenn Weiler

« J’avais besoin de quelque chose de concret, c’est ça qui m’amène ici, dit David. Après les journées de travail ici, tu dors. » Or, trouver le sommeil est une petite victoire pour ces apprenties agriculteurrices soumises à un état de stress permanent : logées en tente, dans la promiscuité, depuis des mois, en attente de régularisation. « Le premier jour, on a planté des tomates et des poivrons. Je me retrouvais comme au pays », dit Béna, infirmière de profession, qui ne peut pas exercer son métier en France faute de papiers. Elle est habituée depuis toute petite à plonger les mains dans la terre.

Ni elle ni aucune de ces maraîcheres n’imaginait se retrouver ainsi, avec des bottes aux pieds. De l’autre côté de la Méditerranée, les métiers de la terre sont tout autant dévalorisés qu’ici. À tel point que, pour le moment, ce projet agricole est tenu secret de leurs familles. « Nous ne voulons pas faire de peine à nos proches qui rêvent d’autre chose pour nous », résume Eddy Valère. Puis, réalisant que près de la moitié des agriculteurrices françaises vont partir à la retraite d’ici quelques années, iels déclarent : « Eh bien voilà, nous sommes la relève. »

Boîte noire

Voir la cagnotte mise en place pour soutenir le projet.