Action non violente

La grève de la faim : une arme efficace pour stopper les projets de bétonisation ?

Action non violente

par Sophie Chapelle

Depuis le 31 août, Thomas Brail est entré en grève de la faim pour contester le projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Il a été rejoint par sept autres personnes en France, et d’autres militants au-delà de l’Hexagone.

[Mise à jour : Le 12 octobre 2023, les douze grévistes de la faim ont annoncé collectivement suspendre leur grève de la faim. À la suite de la décision de la préfecture du Tarn et de la région Occitanie le 10 octobre de suspendre les « opérations de défrichement importantes », trois autres militants dont Thomas Brail avaient déjà décidé de mettre fin à leur grève de la soif entamée quelques heures plus tôt. Les abattages, mais pas le chantier, sont à l’arrêt jusqu’à une réunion des élus du territoire prévue ce vendredi 13 octobre.]

En grève de la faim depuis le 31 août, Thomas Brail, s’oppose au projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse qui condamne 400 hectares de terres agricoles, de zones humides et de forêts. Avec d’autres grimpeurs surnommés « les écureuils », ils occupent un arbre en face du ministère de la Transition écologique, boulevard Saint-Germain à Paris, et demandent la suspension des travaux le temps que les trois recours sur le fond déposés en justice soient étudiés.

« On attend que la justice fasse son travail avant que les arbres ne tombent. Si une machine vient abattre les arbres, j’entre en grève de la faim, avait prévenu Thomas Brail, également fondateur du Groupe national de surveillance des arbres. Si les arbres sont quand même abattus, je continuerai ma grève de la faim pour protéger les terres agricoles ici qui sont nourricières pour nos enfants. »

Malgré cet appel, les travaux se sont accélérés, avec l’avancée des pelleteuses et des bétonnières. La mise en service de l’A69 est ainsi annoncée au second semestre 2025.

55 projets d’aménagements routiers contestés

Thomas Brail demande notamment à Clément Beaune, le ministre des Transports, de décider d’un moratoire. 55 projets d’aménagements routiers et d’autoroutes – pour un coût de 18 milliards d’euros d’argent public – sont actuellement contestés à travers la France. « Le moratoire sur tous les projets routiers n’est pas une utopie rappelle la coalition La déroute des routes, dans une récente tribune sur basta!. D’autres pays européens l’ont adopté, et délaissent les investissements routiers pour mettre la priorité sur les transports en commun, le chemin de fer, le vélo, la marche. »

Dans un courrier daté du 18 septembre, le ministre des Transports laisse peu d’espoir. Il confirme la réalisation de ce projet d’autoroute, même si « cela ne doit pas conduire à relâcher les efforts portés pour en réduire l’impact ». Une rencontre s’est également tenue à huis clos le 19 septembre entre Thomas Brail et le ministre, alors que l’arboriste en était à son 19e jour de grève de la faim. Le ministre aurait assuré avoir réduit de 80 hectares le projet. « Pour l’instant, ils restent sur leurs positions et moi je leur ai clairement annoncé que je restais sur les miennes aussi », a répondu l’activiste. « Si ça ne bouge pas, je vais faire une grève de la soif. »

Une maquette avec des haies, de l'élevage, des transports en commun, des cultures, propose d'améliorer le lien entre Castres et Toulouse dans le respect du territoire et de ses habitants.
Une autre voie, le projet alternatif à l’A69
Cliquez sur l’image ci dessus pour découvrir en détail le projet de territoire sans cette autoroute.

« Doit-on accepter le crash collectif qu’ils nous imposent ? Veulent-ils vraiment que la population bascule dans un sentiment de "plus rien à perdre" ? » réagit le collectif La voie est libre, qui porte un projet alternatif à cette autoroute intitulé « Une autre voie ». Ce projet alternatif vise notamment à réaménager la route nationale RN126, à y établir un réseau de transports en commun densifié, à réhabiliter la ligne ferroviaire avec cinq nouveaux arrêts et davantage de trains courts et longs pour desservir Toulouse, Castres et les villages alentours, et enfin à créer une véloroute nationale bioclimatique sur 87 kilomètres entre Toulouse et Mazamet.

« J’ai peur de ce système qui nous pousse à en arriver là »

Sept autres personnes sont entrées en grève de la faim pour demander un arrêt immédiat des abattages d’arbres et une suspension du chantier de l’A69, le temps que la justice rende sa délibération sur les recours. C’est le cas d’Olga, 21 ans, en grève de la faim depuis le 7 septembre. « On a essayé tous les moyens possibles sur cette lutte, dit-elle dans une vidéo. Les pétitions, les manifs, les marches, les événements festifs, les actions de désobéissance civile et même le sabotage, mais malheureusement tout cela n’arrête pas la machine en face. »

Le 7 septembre, Olga tente une énième action en s’enchaînant à une machine de coupe d’arbres en mouvement. Cela lui vaut une garde à vue de plus de 24 heures. Elle en sort avec une mesure judiciaire lui interdisant de se rendre sur les lieux de toutes les communes concernées par le tracé. Cette grève de la faim « est forcément difficile. Je ne m’inquiète pas tant pour ma santé à court terme. J’ai peur des côtés irréversibles. Mais ça, je ne peux pas l’anticiper. Je me dis : on le fait et on verra bien ce qui arrivera », dit la jeune femme.

Sept personnes, agenouillées, portent des pancartes "en grève de la faim" devant le conseil régional à Toulouse.
Devant le conseil régional d’Occitanie à Toulouse, les grévistes de la faim demandent que les travaux du projet A69 cessent tant que les recours n’ont pas été examinés.
©Extinction Rebellion France

« J’ai peur pour ce qu’il pourrait arriver à chacune d’entre nous avec cette grève de la faim, témoigne aussi Victoria, 29 ans. J’ai peur de ce système qui nous pousse à en arriver là, car il ne nous écoute pas. Mais c’est cette peur de l’avenir qui me pousse à agir. »

Le mouvement prend de l’ampleur. Au Burkina Faso, trois jeunes engagés pour la lutte contre le changement climatique sont à leur tour entrés en grève de la faim le 15 septembre contre le projet A69. Dans un courrier, ils dénoncent « l’abattage d’arbres pour le projet d’autoroute, son impact sur la faune et la flore et l’artificialisation des sols ».

Un appel international

Carole Delga, présidente de la région Occitanie, a indiqué dans un courrier le 12 septembre vouloir proposer à Thomas Brail « une réunion avec les partenaires du projet dans les plus brefs délais ».

En attendant, Thomas Brail a lancé un appel international pour trouver des « frères d’arbres » autrement dit de nouveaux grimpeurs. « On attend des Belges et des Allemands. Le mouvement va prendre. Notre cause est juste. J’ai confiance », confie-t-il. Deux zones du projet A69 sont également occupées avec des grimpeurs dans les arbres pour les protéger [1]. Une nouvelle mobilisation est prévue les 21 et 22 octobre prochains. Plus de 8000 personnes avaient participé au rassemblement en avril dernier.

Sophie Chapelle

Photo de une : Sept grévistes de la faim devant le conseil régional à Toulouse/©Extinction Rébellion France

P.-S.

 Un appel aux dons a été lancé pour soutenir financièrement Thomas Brail et les Ecureuils, le surnom des grimpeurs : « Depuis le 31 août dernier, en plus de mettre leur vie en danger, ils ont mis leur activité respective professionnelle d’arboriste grimpeur en suspens et n’ont donc aucune rentrée d’argent », précise l’appel.
 Un rassemblement de soutien devant le conseil régional Occitanie à Toulouse est prévu ce jeudi 21 septembre à 14h.

Notes

[1Des points d’accueil et lieux de soutien ont été mis en place à mi-chemin entre Castres et Toulouse. Télécharger la carte pour avoir le détail