« La loi travail, la suppression du statut des cheminots, la réforme des retraites… C’est comme si on nous infligeait d’un seul coup l’ensemble des contre-réformes que vous subissez depuis dix ans en France », résume Maxime Van Laere, permanent régional de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) des chemins de fer de Bruxelles.
Ce 29 avril 2025, le syndicaliste défile aux côtés de 4000 à 7000 autres personnes dans les rues de la capitale belge. Les deux principaux syndicats du pays, la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), sociale-démocrate, et la CSC démocrate chrétienne, ont appelé à une journée de grève et de manifestations. Ils sont 5000 à Anvers, 8000 à Liège et plusieurs autres milliers dans les grandes villes du pays.
C’est la quatrième grande journée de grève et de manifestations interprofessionnelles en Belgique depuis le début de l’année. Le royaume vit un mouvement social comme il n’en a pas connu depuis au moins dix ans. La journée de mobilisation nationale du 13 février à Bruxelles, avec plus de 100 000 participants, a été qualifiée « d’historique ».
Le 31 mars, une grève est venue confirmer la force du mouvement, avec une multiplication des blocages de l’appareil productif. Le 29 avril, les syndicats appelaient pour la première fois à des manifestations dans plusieurs grandes villes du pays pour « aller à la rencontre des citoyens ».
Haro sur les retraites et les arrêts maladie
Dans les rues de Bruxelles, les manifestants déambulent parfois avec des pancartes représentant des cactus. Elles dénoncent le gouvernement « Arizona ». Des codes difficilement compréhensibles pour qui n’a pas suivi avec attention l’actualité politique belge des derniers mois. « L’Arizona », c’est le nom de la coalition fédérale au pouvoir.
Elle rassemble des partis politiques allant du centre gauche à la droite dure. Ce nom a été choisi car les couleurs des partis qui la constituent (orange, bleu, rouge et jaune) rappellent le drapeau de l’État de l’ouest américain. À la tête de la coalition, on trouve le Premier ministre Bart De Wever, un nationaliste flamand ancré très à droite. L’accord de gouvernement qui l’a placé au pouvoir égraine sur 200 pages de nombreuses mesures perçues par les syndicats comme de la régression sociale. « Ils sont en train de tuer tout ce qui fait le socle de notre société ! Quand ils sont vieux, les travailleurs ont besoin de leurs pensions, [le mot désigne la retraite en Belgique, ndlr]. Quand ils sont malades, de l’Assurance-maladie, et quand ils perdent leur travail, du chômage. Or l’Arizona s’attaque justement à tout cela », décrit Mathieu Verhaegen, syndicaliste FGTB. Ce qui explique la réaction massive et la colère du mouvement social belge.
Casquette sur la tête, banane rouge des jeunes FGTB autour du cou, Orville Pletschette ne fait pas dix mètres dans le cortège sans faire la bise à quelqu’un. Ce syndicaliste salarié d’une coopérative connaît les manifestations bruxelloises par cœur. « Ce qu’il y a de positif dans ce mouvement, c’est que les travailleurs ont bien compris que les questions de chômage et de pension les concernaient directement », dit-il.
Ainsi, dans la manifestation, nombreux sont ceux qui dénoncent la modification de la durée d’accès aux allocations chômage, réduite à deux ans dès le 1er janvier 2026. En Belgique, la durée de l’indemnisation chômage n’est pas limitée, mais les indemnités sont dégressives et les actes de recherche d’emploi doivent être prouvés. « Dans certains cas, très rares, on peut avoir des personnes qui restent au chômage des dizaines d’années. Mais dès 2026, les chômeurs qui ne travaillent pas depuis plus de deux ans se verront directement retirer leur allocation et glisseront encore plus dans la précarité », dit Orville Pletschette. Les ex-chômeurs devront alors se tourner vers le revenu d’intégration sociale (RIS), aide sociale versée par des structures communales et prouver leur « état de besoin » pour avoir droit à l’allocation. 100 00 personnes seraient concernées.
Loi travail version belge
D’autres mesures décriées concernent les retraites. Le gouvernement belge souhaite par exemple revoir leur mode de calcul chez les fonctionnaires. « On passerait d’un système où la pension est calculée sur les dix dernières années de carrière chez les fonctionnaires – quatre chez les cheminots – à un calcul basé sur l’ensemble de la carrière. Chez les cheminots, on perdrait entre 300 et 500 euros de pension mensuels », indique Maxime Van Laere.
La coalition Arizona prévoit également des mesures de dérégulation du code du travail avec notamment la possibilité d’augmenter la durée du travail pour les jeunes dès 15 ans, l’extension du travail de nuit ou encore la possibilité de signer des contrats de travail de trois heures par semaine. Le gouvernement de droite s’attaque aussi aux arrêts maladie en multipliant les contrôles des médecins qui prescrivent « trop de congés maladie » ou en interdisant de toucher un salaire garanti si l’on retombe malade dans les huit semaines après un certificat. Plusieurs mesures concernent aussi les étrangers, avec un durcissement des conditions du regroupement familial.
L’espoir de faire reculer la coalition de droite
Alors que le défilé bruxellois se termine, une centaine de manifestants se déplace vers le siège de Vooruit, parti socialiste flamand. À la différence de son homologue francophone, ce parti politique a fait le choix de signer l’accord de gouvernement qui permet aujourd’hui à l’Arizona d’imposer son programme. Face aux murs vitrés, quelques bombes de peinture sont lancées. « Nos mobilisations visent aussi à mettre la pression sur les partis dits de gauche qui sont entrés dans la coalition gouvernementale. S’ils en sortent, la coalition Arizona tombe », explique Mathieu Verhaegen.
En attendant, si certaines mesures du gouvernement Arizona sont déjà votées, d’autres peuvent encore être évitées grâce à la mobilisation. « Sur le statut des cheminots, on sent de légers reculs. Une porte est entrouverte, mais on est loin du compte », estime Maxime Van Laere de la CSC.
Les cheminots en sont à leur 23e jour de grève depuis janvier. Les soignants sont également en nombre derrière les banderoles rouges (FGTB) et vertes (CSC). En plus des attaques contre leurs retraites, ils et elles doivent faire face à des coupes budgétaires dans la santé, à hauteur de 400 millions d’euros. Certains secteurs du privé sont aussi au rendez-vous. Jamal et Erol travaillent par exemple pour un garage automobile. « Le gouvernement Arizona compte baisser les indemnités de licenciement. On se mobilise notamment contre ça », explique Jamal.
En revanche, d’autres secteurs peinent à mobiliser. Les périodes d’examens et de vacances approchent et les étudiants bruxellois n’ont pas constitué de gros cortège dans la manifestation. « Mes collègues ne sont pas belges et ils sont plus concernés par l’actualité européenne ou par ce qui se passe dans leur pays que par la politique belge », explique Caroline Metz, salariée d’une ONG qui officie dans la finance durable.
La CSC et le FGTB tentent donc d’articuler un calendrier sectoriel et un calendrier interprofessionnel. « Insuffisant », selon plusieurs manifestants, qui pensent que des appels à des grèves longues seraient en mesure de mobiliser davantage. « On doit aller vers 48 heures de grève », estime Mathieu Verhaegen. Des dates de mobilisation en juin et en septembre sont déjà envisagées. Le bras de fer est parti pour durer.