« J’avais trop la rage et la haine qu’ils s’en sortent avec leur mauvaise foi. C’est une question d’honneur et de dignité pour Anthony. » Le spectacle mis en scène par les 3 Ours s’ouvre sur un enregistrement du témoignage d’un lanceur d’alerte qui a contacté notre journaliste Nolwenn Weiler, il y a un peu plus d’un an. C’était le début d’une enquête sur les morts dans l’agriculture et l’agroalimentaire, deux secteurs parmi les plus touchés par les accidents du travail graves et mortels.
L’investigation se penche sur l’accident qui a coûté la vie à Anthony Courtais, décédé en 2017 dans un palettiseur de la coopérative Terrena à Ancenis, en Loire-Atlantique. Une mort pour laquelle l’entreprise a été condamnée pour homicide involontaire et jugée emblématique par la journaliste de la crise de la sécurité au travail. En France, deux personnes meurent en moyenne chaque jour au travail.
Sur scène, Nolwenn Weiler fait le récit de ce travail au long court mené en 2024 : de la première rencontre avec la source à l’écriture du papier, en passant par l’étude du fonctionnement du palettiseur, les recherches sur les accidents et l’évolution de la législation européenne sur les machines dangereuses.

Elle raconte également les coulisses de son travail, ce qui d’ordinaire ne se dit pas dans un article de presse. Comme l’ultime audience du procès Courtais contre Terrena à la cour d’appel de Rennes, à laquelle Nolwenn Weiler ne peut malheureusement pas assister. Ce moment, c’est donc Michel Besnard président du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, venu soutenir ce jour-là avec d’autres membres de l’association Rosalie Lekoa, la veuve d’Anthony Courtais, qui le raconte sur scène.
C’est là une des autres spécificités du spectacle d’information des 3 Ours. Sur scène, le récit de la journaliste est ponctué par les témoignages de plusieurs personnes qui ont participé à l’enquête : Erwan Gilet, le lanceur d’alerte, Michel Besnard, le militant, mais aussi Rosalie Lekoa, la veuve de la victime ou encore Mathieu Lépine, professeur d’histoire qui recense depuis plusieurs années les accidents mortels au travail et auteur d’un livre consacré au sujet.
Comme dans l’enquête en trois volets de Basta!, Nolwenn Weiler ouvre ensuite un nouveau volet de son investigation, consacré aux adolescents et aux très jeunes adultes qui meurent au travail. Car, dans les accidents du travail, la jeunesse est un facteur de risque supplémentaire, comme en témoigne la mort tragique de Tom le Duault en 2021, à 18 ans, dans l’abattoir LTC de Plouisy dans les Côtes-d’Armor.
« Des enfants travaillent en France et ils meurent, raconte la journaliste face à une salle de 200 personnes. Comme pour les adultes, C’est une injustice de classe, très clairement. Les gens qui meurent au travail, ce sont des ouvriers. Ça, ça ne fait aucun doute. Pour les enfants, ce sont les gamins qui sont en lycée pro, ce ne sont pas les gamins qui vont à Henri IV à Paris ou Chateaubriand à Rennes. Et on sait que ces orientations sont loin d’être toujours choisies. »
Comme on suit les informations à la radio, à la télé, cette fois, c’est en direct devant soi. Pendant une heure environ, le public installé dans cette église réhabilitée en théâtre écoute attentivement. Lorsque la deuxième partie du spectacle commence pour un temps d’échange, les mains se lèvent, les questions fusent, souvent pointues : « Que dit la médecine du travail ? », « Et l’inspection du travail ? », « Et les syndicats de l’agroalimentaire ? », « Le boycott peut-il être un moyen de pression efficace ? »
Lorsque Julie Lallouët-Geffroy, rédactrice en chef du spectacle, demande à la salle comment elle se sent, les spectatrices et spectateurs se disent sonné
es et en colère. Sonné es d’apprendre qu’en France, au XXIe siècle, des enfants travaillent et qu’on tolère qu’ils y soient gravement blessés ou qu’ils y meurent. En colère face à des entreprises qui s’acharnent en prolongeant les procédures judiciaires, soumettant les familles de victimes à un parcours long et douloureux.Pourtant, des marges de manœuvre existent. Nolwenn Weiler choisit de conclure le spectacle sur l’importance du droit du travail, la manière dont il se construit et en quoi il reflète les rapports de force et les débats de nos sociétés. Et comment il est nécessaire et urgent de s’en saisir et de le défendre.