« Une personne du groupe a été empêchée de contacter son enfant mineur pendant 55 heures ! » Six semaines après son arrestation, Camille* [1] peine toujours à réaliser le traitement subi pour elle et ses camarades. Elle est une des huit personnes soupçonnées d’avoir peint le message « Stocamine contamine » sur un pont à Dorlisheim, dans le Bas-Rhin, le 2 novembre dernier.
D’après le code pénal, un tag est passible d’une amende et d’une peine de travaux d’intérêt général. Pourtant, ces huit militantes se sont retrouvés en garde à vue durant 46 heures, retenus dans cinq gendarmeries différentes.
Deux nuits en cellule
« Ce qui est fou c’est qu’on ne nous a pas signalés au début qu’on était en garde à vue. On pensait qu’on était interpellés pour un contrôle d’identité, se remémore Camille. On l’a compris quand on a été auditionnés. » Trois heures après son interpellation, Camille apprend que l’infraction pour le tag – qui ne permet pas la garde à vue – est requalifiée en « dégradation en réunion de biens publics », délit qui peut être puni de sept ans d’emprisonnement. Au terme de 24 heures passées en cellule, l’activiste apprend la prolongation de sa garde à vue.
Un deuxième changement de qualification des faits va intervenir, selon le procès verbal que nous avons pu consulter. Après avoir passé une première nuit en cellule, Camille apprend qu’on lui reproche aussi d’avoir commis une action similaire, entre le 31 octobre et le 2 novembre, sur un autre pont situé à Mommenheim (Bas-Rhin).
Camille va passer, comme ses sept camarades, une deuxième nuit en cellule. Durant cette période, les interpellées n’ont pas le droit de s’entretenir avec leurs proches ni de s’assurer que leurs enfants vont bien. « C’est la gendarmerie qui a passé le coup de fil, on n’a pas pu parler directement », précise Camille.
55 heures de privation de liberté
Finalement, le mardi 4 novembre, Camille monte dans une voiture, menottée et escortée par trois gendarmes. Au total, une trentaine de gendarmes, dont certains dépêchés depuis Belfort, à deux heures de route, conduisent les huit activistes au tribunal de Saverne. Une fois dans l’enceinte, les militants se voient enlever leurs menottes. « C’est seulement dans les geôles du tribunal qu’on s’est tous retrouvés ensemble, répartis dans deux cellules », retrace Camille.
L’attente se prolonge. Chacun leur tour, ils sont appelés par la vice-procureure qui rappelle les faits pour lesquels ils sont incriminés. Ils font valoir leur droit au silence. La vice-procureure leur signifie à chacune la comparution immédiate le jeudi 6 novembre, soit deux jours plus tard, et requiert une mesure de détention provisoire de deux nuits supplémentaires. « Le parquet justifiait la détention provisoire en disant que c’était pour éviter que les suspects ne se concertent, alors que ça faisait cinq heures qu’on était dans les mêmes cellules », observe Camille.
Les huit activistes sont reçus alors successivement, en présence de leur avocat, par la juge des libertés et de la détention. Celle-ci juge la mesure de détention provisoire excessive. Les huit militants sont alors remis en liberté le mardi 4 novembre au soir, au terme de 55 heures de privation de liberté. Convoqués dans ce même tribunal 48 heures plus tard, ils obtiennent le report de l’audience au lundi 22 décembre.
De plus en plus de poursuites
Ce nouveau procès intervient alors que les poursuites judiciaires se multiplient contre les militants écologistes. Le Mouvement de soutien des défenseurs de l’environnement (MSDE), un collectif créé en octobre 2023 pour analyser ces poursuites judiciaires, en a recensé 95 en 2025, contre 55 en 2023. Le collectif Extinction Rebellion est, par exemple, passé devant les tribunaux à 20 reprises depuis début 2025.
Pour les activistes alsaciens, les 55 heures de privation de liberté ont été traumatisantes. « Certains font des cauchemars, sont pris de pleurs incontrôlables, relève Camille. Heureusement, un collectif de soignants militants les prennent en charge. On a un entourage extraordinaire, avec énormément de soutien. »
Extinction Rebellion Strasbourg appelle à venir soutenir ces huit militantes lundi 22 décembre devant le tribunal judiciaire de Saverne. Au regard des infractions actuellement reprochées, ils et elles risquent jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.
« On vise la relaxe. On va parler de la répression mais surtout de Stocamine qui menace des millions de personnes entre l’Alsace, la Suisse et l’Allemagne », souligne Camille.


