Alors que la crise climatique s’aggrave, les attaques contre les droits des activistes climatiques s’intensifient partout dans le monde. La France n’échappe pas à cette tendance, « mettant en place une véritable stratégie répressive à leur encontre », dénonce Amnesty International dans un nouveau rapport publié ce jeudi 3 juillet intitulé « Attaquées pour avoir défendu la planète ».
L’association s’inquiète d’un véritable « retour en arrière » sur les politiques environnementales. En France, cela se traduit notamment par des coupes dans le budget pour l’environnement et le climat en 2025, la volonté de « simplification » des normes environnementales dans le monde agricole, ou encore les attaques des agences environnementales perpétrées par des responsables politiques. Alors que « l’action des États demeure insuffisante, voire contreproductive », le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que « dans une large mesure, la société civile est la seule force motrice sur laquelle on puisse compter pour pousser les institutions à changer au rythme voulu ».
Pourtant, « la France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militant∙es environnementaux », selon Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseures de l’environnement. « Il est inquiétant de voir que la France, qui avait été moteur il y a dix ans dans la lutte pour le climat, est aujourd’hui un exemple probant de la répression des défenseures de l’environnement, alerte Margot Jaymond, chargée de plaidoyer justice climatique chez Amnesty International France. Il devient de plus en plus difficile de militer pour le climat. »
Une « judiciarisation du maintien de l’ordre »
Tous les mouvements sociaux font face à « des entraves croissantes au droit de manifester et à une stratégie de maintien de l’ordre brutale ». Mais certains dispositifs, par ailleurs contraires au droit international selon Amnesty International, risquent d’avoir un impact d’autant plus important sur les activistes climatiques, car ils s’appliquent à des modes d’action largement utilisés par ces mouvements.
Par exemple, en droit français, ne pas déclarer une manifestation est criminalisé pour les organisateurices, et y participer est passible d’amende. Ce qu’Amnesty International juge « préoccupant », étant donné que « de nombreuses manifestations environnementales ont été interdites ces dernières années ».
Quant à la loi de 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, dite loi « anticasseurs », elle peut conduire, selon Amnesty International, à l’arrestation de militantes qui auraient dissimulé leur visage – un moyen d’expression et/ou une manière de se protéger des gaz lacrymogènes et de ne pas être filmée. Le délit d’outrage à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique, dont la définition est très large, laisse également place à une grande marge d’interprétation et donc un risque d’abus.
« Violence exacerbée et risques judiciaires »
Cet arsenal législatif s’accompagne d’un « usage excessif de la force » par la police ou la gendarmerie en manifestation, avec l’utilisation d’armes à létalité réduite, comme les gaz lacrymogènes, les grenades explosives, les lanceurs de balles de défense (LBD) ou les matraques. Des armes qui ont déjà tué, en témoigne la mort de Rémi Fraisse, militant écologiste décédé en 2014 suite à l’explosion d’une grenade tirée par un gendarme, lors d’une manifestation dans le Tarn.
Les témoignages d’activistes contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) en 2022 et 2023 ont également fait état de l’usage disproportionné de ces armes, qui ont alors fait plus de 200 blessées. « Effrayées par les multiples témoignages des personnes ayant subi cet usage excessif de la force, nombreuxses sont celles et ceux qui renoncent aujourd’hui à se rendre en manifestation, s’inquiète Amnesty International. Cet obstacle est particulièrement fort pour les personnes racisées et issues de quartiers populaires et de territoires dits ’’d’outre-mer’’, qui font déjà face quotidiennement à des pratiques policières humiliantes et brutales souvent basées sur un racisme systémique. »
Pour Margot Jaymond, cette répression a pour unique but de « dissuader et d’empêcher l’action climatique, par la violence exacerbée et les risques judiciaires ». Depuis plusieurs années des procès de militantes pour l’environnement se tiennent régulièrement.
La coordination anti-répression de l’autoroute A69 a ainsi comptabilisé des centaines de gardes à vue et 60 procès depuis février 2023.
Amnesty International s’inquiète aussi pour la liberté d’association, également visée. La loi « confortant les principes de la République » d’août 2021 facilite ainsi le retrait de subventions publiques et la dissolution d’associations : « Plusieurs associations du mouvement climatique en ont fait les frais, comme Alternatiba qui s’est vue retirer des financements pour des ateliers sur la désobéissance civile ou Les Soulèvements de la Terre victimes d’une tentative de dissolution contraire au droit international en juin 2023. »
« Djihadisme écolo »
La criminalisation des rassemblements écologistes se joue également dans le discours émanant de certaines responsables politiques, et relayés médiatiquement. Amnesty International recense quelques expressions stigmatisantes pour les activistes, et parfois les scientifiques : « djihadisme écolo », « écoterrorisme », « menace [pour] la France » ou encore « écologisme mortifère, punitif, à vocation totalitaire ».
Un certain nombre d’arrêtés d’interdiction de manifestation environnementale reprennent cette « rhétorique préjudiciable », en justifiant l’interdiction par une possible violence ou un trouble à l’ordre public. Les organisations s’opposant à l’A69 ou aux mégabassines sont par exemple décrites comme « connues pour leurs actions violentes ». « Ces discours diabolisent et délégitiment les manifestantes, ils créent un imaginaire centré sur les affrontements et la violence en créant une figure d’ennemi de l’intérieur, pour éviter de parler du sujet de fond, la crise climatique et les dégradations environnementales », dit le rapport. Cela s’inscrit dans un contexte médiatique plus large, où la couverture des enjeux environnementaux est insuffisante « à la fois en quantité et qualité de l’information » et où la désinformation « menace l’action climatique ».
Face à ces attaques diverses, Amnesty International liste quelques recommandations à destination des autorités françaises. Parmi lesquelles, « s’abstenir de perpétrer des agressions verbales », « garantir la fin de l’impunité pour les responsables des attaques contre les défenseures de l’environnement en menant des enquêtes approfondies, rapides et indépendantes sur toutes les violations des droits humains et les abus commis à leur encontre » ou encore « garantir la liberté de la presse ».
