Multiprimée et Palme d’or, Simonetta, autrice, touchera 374 euros de retraite

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Simonetta Greggio est autrice, a publié de nombreux livres à succès, mais a découvert que la sécurité sociale des auteurs n’avait jamais cotisé pour sa retraite. L’injustice concerne 200 000 personnes, qui se mobilisent pour leurs droits sociaux.

par Rozenn Le Carboulec

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« À 61 ans, j’ai écrit plus d’une trentaine de livres. D’abord quand j’étais journaliste, entre 1985 et 2004, puis en tant qu’autrice de fiction ensuite. Je suis productrice à France Culture, où j’ai travaillé pour plusieurs émissions. J’ai aussi coécrit le film Titane, de Julia Ducourneau, qui a reçu la Palme d’or au Festival de Cannes en 2021. Pourtant, si j’ouvrais mes droits à la retraite aujourd’hui, je ne toucherais que 374 euros par mois… »

Simonetta Greggio est une écrivaine à succès multiprimée. Alors qu’elle était, au début de sa carrière, journaliste pour City, Télérama, Le Magazine littéraire, Figaro Madame, La Repubblica, Marie France, Signature ou encore Senso, elle écrit les premiers Guides des auberges et hôtels de charme en Italie, devenus des best-sellers et traduits en dix langues. En 2005, son premier roman, La Douceur des hommes (Stock) est consacré par le magazine Lire parmi les 20 meilleurs livres de l’année. Le suivant, Dolce Vita, paru chez le même éditeur en 2010, a été finaliste des prix Renaudot et Interallié ; L’odeur du figuier (Flammarion, 2011) a reçu le prix Messardière ; Black Messie (Stock, 2016) le prix Casanova et le prix littéraire de La Renaissance française…

Quand un organisme de Sécurité sociale oublie de cotiser

Mais ces ouvrages et leurs ventes ne sont pas du tout pris en compte dans le calcul de sa retraite, estimée seulement sur la base des salaires qu’elle a perçus en tant que journaliste. Ses droits d’auteur, eux, passent complètement à la trappe. Comment est-ce possible ? Pour comprendre, il faut se plonger dans une affaire qui impacte aujourd’hui près de 200 000 artistes-auteurs : le « scandale des Agessa », le nom de la Sécurité sociale des auteurs.

« Je me suis rendu compte, en arrivant peu à peu proche de l’âge de la retraite, que je ne bénéficiais que d’un tiers de mes trimestres », témoigne Simonetta Greggio. Et pour cause, comme le détaillent de nombreux articles du média ActuaLitté à ce sujet : elle n’a jamais été prélevée de ses cotisations à l’assurance-vieillesse par l’Agessa, Association pour la gestion de la Sécurité sociale des auteurs, l’organisme de Sécurité sociale dont c’était pourtant le rôle.

 Une personne dont on en voit pas le visage tient deux affiches "Nos cultures, nos futurs" et "pour une continuité de revenus des artistes auteurices"
Lors d’un rassemblement des aristes-auteurices début décembre devant le ministère de la Culture, à Paris.

Comme des dizaines de milliers d’artistes-auteurs, elle faisait partie des « assujettis » n’atteignant pas le seuil des 8892 euros requis par l’Agessa pour faire partie des « affiliés », qui payaient d’office pour leur retraite. Comme la grande majorité de ses collègues, elle ignorait alors que c’était à elle de faire les démarches pour cotiser à l’Agessa, cette dernière n’ayant jamais rempli sa mission légale de recenser les artistes-auteurs et d’appeler aux cotisations des non « affiliés ». Et ce, entre 1978 et 2018, soit 40 années. Depuis 2019, cette cotisation s’applique désormais à toutes les autrices et auteurs.

21 ans de cotisations perdues

« Quand je suis arrivée chez Stock, personne ne m’a dit qu’il fallait adhérer à l’Agessa. Pareil dans les nombreuses autres maisons d’édition pour lesquelles j’ai travaillé. Je voyais par ailleurs passer l’Agessa dans mes relevés de comptes (ce qui s’est en fait avéré être la part éditeur), donc je ne me suis franchement jamais posé la question. J’ai tranquillement dévalé la pente, j’ai fait mes livres, dont certains ont été de grands succès. Mais où sont parties ces cotisations, cet argent qui devrait être celui d’une retraite, d’une tranquillité financière après toutes ces années de travail ? Bien sûr, j’ai parfois perçu des avances confortables, mais que vont me rapporter, une fois à la retraite, les millions d’euros de chiffre d’affaires que j’ai générés pour mes employeurs ces dernières années ? Tout ça pour avoir des clopinettes. 21 années de cotisations perdues. C’est malheureux d’être traitée comme ça. »

Alitée, car malade, Simonetta Greggio fait le compte : « J’ai bossé comme une dingue cette année. J’ai sorti deux livres, une émission de radio, une traduction en français, une nouvelle de 50 pages… À cela s’ajoute la promotion, les salons du livre… Et là j’arrive en fin d’année complètement éclatée de fatigue, car j’ai un peu trop tiré sur la corde. » Avant d’ajouter : « Dans la tête des gens, les artistes-auteurs sont ces personnes un peu étranges qui rêvassent, mais c’est un métier, on bosse et on génère beaucoup d’argent ! »

« Qui vit avec 450 euros par mois ? »

Depuis 2017, une procédure de régularisation des cotisations, prorogée jusqu’au 31 décembre 2027, a été mise en place. Soit un dispositif de rachat des trimestres manquants très complexe : « Il fallait que je récupère tous mes documents administratifs, mais comment faire, par exemple, pour le journal City, qui a depuis disparu ? » pointe l’autrice.

Sans compter le caractère très coûteux de l’opération, que rares sont ceux qui peuvent se permettre. « Racheter plus de 100 trimestres me coûterait au moins 45 000 euros. Il faudrait que je fasse un prêt pour cela. Le tout pour avoir une retraite minuscule de 450 euros par mois selon les estimations. Qui vit avec 450 euros par mois ? Heureusement, mes livres marchent bien, mais je suis condamnée à travailler jusqu’au dernier jour de ma vie », dénonce-t-elle.

Bataille pour une continuité des revenus

Simonetta Greggio ne bénéficie pas non plus de droits à l’assurance-chômage ni d’intermittence, comme l’ensemble des artistes-auteurs, qui en sont privés. « Je pense qu’avec un peu de bonne volonté, on pourrait essayer d’avoir la même chose que les intermittents, surtout que l’Irlande a réussi. Pourquoi pas la France, qui se vante de son exception culturelle ? »

Pour remédier à ce problème, une mission flash a été mise en place par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation et la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Confiée à Soumya Bourouaha, députée de la Seine-Saint-Denis (Gauche démocrate et républicaine) et Camille Galliard-Minier, députée de l’Isère (Ensemble pour la République), ses conclusions ont été rendues fin-novembre.

Les deux élues pointent la « précarité structurelle » des artistes-auteurs et formulent une série de recommandations, parmi lesquelles l’accès à l’assurance-chômage. C’est justement l’objet d’une proposition de loi portée par l’écologiste Monique de Marco, qui est discutée en séance publique au Sénat ce jeudi 18 décembre.

« Certains trouvent que demander une continuité de revenu est assez irréaliste, mais ce n’est pas plus irréaliste que ce qu’ont obtenu les intermittents du spectacle. Sauf qu’eux se sont battus comme des tigres pour ça. Pourquoi pas nous ? » lance Simonetta Greggio.

Boîte noire

Ce jeudi 18 décembre, une intersyndicale, composée notamment de la Ligue des auteurs professionnels, du Snap-CGT et du Syndicat des scénaristes, appelle à un rassemblement à 1 5h place Pierre-Dux, devant le Sénat.