Il est 3 heures du matin, ce 18 avril 2025, aux abords du bar Saint-Georges, lieu de rendez-vous des supporters nantais, en périphérie de la ville. Une marée humaine de supporters en blousons noirs, jeans et chaussures Adidas Samba envahit la rue déserte. 130 hooligans d’un côté contre 75 de l’autre. Les coups pleuvent, l’affrontement dure dix minutes. Quelques heures plus tôt, au stade de la Beaujoire de Nantes, l’arbitre sifflait la fin du derby régional, FC Nantes contre Stade rennais. Les hooligans des deux clubs poursuivent leur propre derby, bien plus violent, dans la rue, ceux de Rennes venant « au contact » des Nantais. « Fight Rennes vs. Nantes, win Rennes », annonce le site Hooligans.cz.

Cette nuit-là, les hooligans rennais ne sont pas venus seuls. Ils sont accompagnés des Turone Squad de Tours, et des Ligallo Fondo Norte, de Saragosse (Espagne). Ce groupe espagnol connu pour ses tendances néonazies réalise régulièrement des saluts de kühnen – une alternative non criminalisée au salut hitlérien. Il s’y emploiera dans le stade de Rennes quelques jours plus tard. Les hooligans tourangeaux du Turone Squad sont eux aussi des adeptes des saluts nazis, comme l’atteste cette photo retrouvée par Basta! sur leur site internet, sur laquelle flotte un « Kroaz du » (« croix noire », en breton) – l’un des emblèmes historiques de la Bretagne – qui atteste de leur alliance avec les hooligans rennais.
« Quel rapport avec le foot ? », s’interrogent quelques internautes après la publication de la vidéo de cet affrontement violent. Ces bagarres, souvent orchestrées par des hooligans d’extrême droite, sont apparues dans les années 1980 en Angleterre. On définit le hooliganisme comme l’utilisation par les supporters d’un club de différentes formes de violences. Elles vont des bagarres aux abords du stade, aux agressions racistes, en passant par le jet de chaises contre les bars fréquentés par les supporters adverses.
Des hooligans organisés en sections
À la différence du mouvement « ultra », qui s’exprime avant tout par un supportérisme fervent et qui est souvent présenté comme apolitique, les « hools » (hooligans) oublient le football et l’utilisent comme simple prétexte à la violence. Le terme pourrait faire référence à un ivrogne irlandais, Patrick Hooligan, qui vivait à Londres en 1898 et était régulièrement impliqué dans des bagarres. Le mot est popularisé en Angleterre la même année, après un meurtre perpétré par un membre d’un gang de Londres, les Hooligan Boys.
Dans le monde du football, les hools s’organisent en « sections » souvent politisées à l’extrême droite, des groupes informels créés au sein des « kops » – les tribunes où se retrouvent les supporters les plus fervents. Ces sections de hooligans abritent aussi des « groupes de fight » souvent appelés « squads », et destinés à agresser l’adversaire, quel qu’il soit.
La violence physique comme ciment
Ces groupes de fight s’entraînent entre eux à l’abri des regards. Un champ, une forêt, une route de campagne : tout endroit isolé se prête bien à un fight arrangé entre groupes hooligans « amis ». Ils permettent de déterminer quel squad est le mieux entraîné. La victoire est une fierté, affichée ensuite sur des réseaux sociaux tels que Hooligans.cz et Gruppaof.
« 19.03.2022. Mes Os (Reims) vs Tregor Squad (Guingamp), 8x8, 1 min, win Tregor Squad », affiche Hooligans.cz. Traduction du message crypté : ce 19 mars 2022, huit hooligans du Tregor Squad guingampais ont vaincu huit hooligans rémois de Mes Os, lors d’un fight amical dans une forêt. Pendant une minute, tous les coups sont permis pour vaincre ses adversaires, dans une démonstration de force pour l’honneur du groupe.
Ces fights démontrent les liens qui se tissent entre différents groupes, et la vitalité du hooliganisme en tribunes. L’organisation de fights contre les Mes Os, des hooligans néonazis, n’a rien de rassurant quant aux tendances politiques du Tregor Squad. De même, les alliances entre les hooligans des différents squads guingampais et rennais, orientés politiquement à l’extrême droite, ne sont pas rares. Les deux villes se rejoignent pour des « street-fights » non organisés, visant principalement Brest, club dont les organisations de supporters semblent plus rétives aux tentatives d’implantation de l’extrême droite.
Le hooliganisme s’organise également au niveau national et international, lors des déplacements des supporters pour des matchs en dehors de leur ville. Les Roazhon 1901, groupe hooligan rennais, entretiennent des amitiés de longue date avec des groupes aux sympathies néonazies présents dans les tribunes du Dynamo Kyiv (en Ukraine), à Saragosse (Espagne) et Tours. Ces liens démontrent la proximité idéologique entre certains groupes de hooligans en France comme en Europe, au-delà des rivalités entre clubs de foot.
L’extrême droite comme pilier
L’ancien meneur des Roazhon 1901 rennais, Matthias B., affiche ainsi fièrement ses allégeances politiques à l’extrême droite, aux côtés de ses camarades des Roazhon 1901, Kylan D. et Kevin L. en plein salut de Kühnen sur les grillages du stade. Du côté de Guingamp, les photos de membres des groupes de fight exécutant tout sourire un salut nazi, sont aussi légions. Dans ces clubs comme dans le reste de la France, hooliganisme et extrême droite vont très souvent de pair.

Dans les rangs des Roazhon Indep’ – autre nom que se donnent des hooligans rennais – figure également un champion de MMA (un sport de combat), Maxime Bellamy, aux sympathies néonazies affichées, proche de membres des groupes nationaux révolutionnaire du GUD et de l’Oriflamme de Rennes. Une porosité avec l’extrême droite qui s’exprime jusque dans les stades et kops de supporters, où certains capos – les leaders des groupes de supporters chargés de lancer les chants en tribunes – soutiennent et sont eux-mêmes des hooligans.
C’est d’ailleurs dans les tribunes des stades que se joue le recrutement des jeunes. Les hools sont souvent âgés de 18 à 30 ans : les plus vieux transmettent les valeurs aux nouveaux venus, qui à leur tour créeront leur section et prendront la relève.
Style « casual », « ACAB » et croix celtique
Pour celles et ceux qui ont l’œil, les références à l’extrême droite se retrouvent sur les barrières au plus proche du terrain, sur lesquelles les hooligans grimpent aux côtés des ultras : y sont collés des « sticks » des Roazhon 1901, ornés d’un Totenkopf, insigne utilisé par la Waffen-SS, chargée notamment d’exercer la surveillance des camps de concentration nazis. Avec ces stickers, les hooligans tentent d’accaparer les codes de la culture des supporters ultras (dont la plupart sont éloignés du hooliganisme). Collés sur les murs des villes et des stades, ils permettent de montrer leur passage dans un lieu. Le grand jeu étant de coller ces sticks sur ceux de groupes hooligans ou politiques adversaires.
Ces pratiques s’inscrivent dans une « pop culture » plus large du monde ultra qui adopte le style « casual » : Adidas samba, vestes North Face ou Lonsdale. Des marques comme Week-End Offender (littéralement « délinquant du week-end ») au nom de la ville, relèvent plus de la subculture du hooliganisme. Les codes vestimentaires des ultras sont souvent repris par des groupes d’extrême droite comme de gauche. Basta! a pu retrouver de nombreux signes de cette pop-culture lors de la manifestation de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), comme ce tee-shirt « Weekend Offender Guingamp ».
Ces signes d’appartenance s’étendent jusqu’aux tatouages, souvent dessinés sur le mollet, représentant le stade, le drapeau du club et les groupes violents locaux. En Bretagne, de nombreux hools se rendent chez le tatoueur Ronan Danic, qui a tatoué de nombreux dos et mollets des Roazhon 1901. Parmi les nombreux tatouages, le « h gothique » (ℌ) est roi, et symbolise le hooliganisme. D’autres sont plus explicites, comme ce tatouage du symbole du Roazhon Celtik Kop orné d’une croix celtique, symbole commun aux groupes néofascistes européens.
Parmi les tatouages, le sigle « ACAB » (acronyme de « All Cops Are Bastards ») revient aussi de manière récurrente, parfois remplacé par le nombre 1312, en référence à la position des quatre lettres dans l’alphabet latin. Si dans l’imaginaire commun ces quatre lettres sont l’apanage de groupes d’extrême gauche, les hools d’extrême droite l’utilisent pour exprimer leur mécontentement face au dispositif policier déployé lors des matchs pour contenir leurs violences.
Le terme « ACAB » tire ses origines de l’Angleterre ouvrière du XXe siècle. D’abord repris comme tatouage dans les prisons, il est ensuite popularisé par les 4-Skins, un groupe de punk rock Oi !. Ce type de musique, autrefois très prisé des hooligans, rassemble autour des valeurs de gauche prolétaire. Il existe aussi son pendant nazi, comme le groupe lyonnais Match Retour, sorti tout droit des tribunes avec un drapeau arborant un Totenkopf et un ballon de football. Son chanteur, Renaud Mannheim, produisait son rock anticommuniste et néonazi chez Jean-Marie Le Pen en octobre 2024.
Face au risque d’une bascule des tribunes vers l’extrême droite radicale qui prône et mène des actions politiques violentes : que font les dirigeants des clubs et les associations de supporters ?