La scène a provoqué un électrochoc au sein des instances du Stade rennais. Le 18 avril 2025, les hooligans espagnols de Saragosse sont accueillis à Rennes par leurs homologues des Roazhon 1901, à l’occasion d’un match. Les Espagnols se filment brandissant fièrement trois doigts en l’air. C’est un salut de Kühnen, un dérivé du salut nazi. « On a été particulièrement scandalisé, ces comportements-là sont intolérables au Stade rennais, explique une source proche du club. La loi est claire, le racisme est un délit. »
C’est la première fois que les symboles et idées d’extrême droite sont aussi visibles dans l’enceinte du Roazhon Park, le stade de foot de Rennes, contrairement à d’autres tribunes, comme celles de Lyon, où paradent régulièrement des groupuscules d’extrême droite. Depuis cet épisode largement relaté dans la presse, le Stade rennais a diligenté une enquête interne et, selon nos sources, compte bien s’occuper du problème. Les quelques gradins où se rassemblent les hooligans ainsi que leur groupe informel, les Roazhon 1901, ont bien été identifiés par le club. Quant aux stickers « Totenkopf », insigne utilisé par la SS du 3e Reich allemand, collés dans et autour de cet espace : « Si vous nous faites remonter l’existence de tels sticks, ils seront enlevés dans la minute », assurent des membres des instances du club.
Reste la fresque controversée, sur le parking à l’extérieur du stade : « Jean-Marie repose en paix ». Elle rend hommage à un supporter décédé dans des conditions tragiques, lors d’une rixe. Mais il ne s’agit pas d’un supporter comme les autres. Jean-Marie Gontier était un membre actif du Roazhon 1901, le groupuscule rennais de hooligans violents et marqué à l’extrême droite. L’imposante fresque est adossée au « lokal », un préfabriqué mis à disposition de l’association officielle de supporters, le Roazhon Celtic Kop (RCK91), par le club. Située sur l’espace public – le terrain appartient à la municipalité –, la fresque est visible de tous depuis l’un des axes de circulation majeurs de la métropole rennaise. « Nous ignorions l’appartenance de ce supporter au Roazhon 1901 », se défendent les responsables du club que nous avons pu interroger.
Contactés, les représentants de l’association officielle de supporters, le RCK91, qui organisent les animations en tribune (banderoles, chants, etc.), la répartition des groupes de supporters dans les gradins, et qui ont a priori autorisé la réalisation de la fresque, n’ont pas répondu à nos sollicitations. Le RCK91 compte près de 1000 membres d’après Ouest-France. Si la frange hooligan y est très minoritaire, elle semble avoir assez d’influence pour s’afficher en tribune sans provoquer d’opposition.
« Notre responsabilité s’arrête aux portes du stade »
Comme le révèle notre enquête, des militants d’extrême droite présents lors des matchs participent à des actions violentes en dehors du stade : l’attaque d’un festival antiraciste à Saint-Brieuc en juillet 2023, des manifestations musclées contre un projet de centre d’accueil de demandeurs d’asile à Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique). Plus récemment, la présence de hooligans d’extrême droite rennais est fortement suspectée dans l’agression de supporters toulousains, venus en déplacement à Rennes le 17 février 2024, dans le bar où ils se réunissaient. Au moins dix supporters toulousains ont été hospitalisés.
« Notre responsabilité s’arrête aux portes du stade, ce qui peut se produire sur la voie publique est du ressort de la préfecture. Nous avons déjà 30 000 personnes à gérer dans le stade, c’est déjà difficile. On ne peut pas surveiller ce qui se passe sur la voie publique », précisent des membres du Stade rennais. Au ministère de l’Intérieur, le phénomène hooligan – qui est loin d’être nouveau, il est apparu dans les années 1980 en Angleterre – demeure un sujet pris au sérieux. Une structure dédiée y est consacrée depuis 2009 : la Division nationale de la lutte contre le hooliganisme (DNLH), « créée à la suite des violences entre supporters intervenus à la fin des années 2000 ». « Placée sous la direction d’un commissaire de police », la DNLH regroupe une douzaine de fonctionnaires, spécialisés « sur les enjeux des violences lors des manifestations sportives », principalement les matchs de foot. Elle s’occupe notamment d’identifier les rencontres sportives « à risque » (voir le rapport d’une mission d’information de l’Assemblée nationale sur le sujet).
À Guingamp : entre tensions et déni
En avril 2024, avant la rencontre Guingamp-Amiens, un groupe d’une quinzaine de hooligans d’extrême droite cagoulés s’en prend à un groupe de supporters identifiés comme antifas. Les coups pleuvent. L’intervention de la sécurité du stade met provisoirement fin aux hostilités. Au sein du club, dont les supporters ont plusieurs fois été honorés du titre de « meilleur public de France », ce type de violence était inédit : une agression sur fond de divergences politiques sous l’œil des caméras de surveillance.
Les supporters agressés demandent à rencontrer le président du club, Fred Le Grand. D’après nos sources, celui-ci assure qu’il va réagir. Dans la foulée, les responsables de l’association des supporters ultras, le Kop Rouge, qui compte 300 membres et organise les animations en tribune, se réunit. « Il en est ressorti un désaccord profond sur la ligne directrice et l’avenir du groupe », confie alors son porte-parole à Ouest-France. Résultat : l’association se met en sommeil jusqu’à la saison suivante. « Deux groupes de supporters ont des divergences depuis quelque temps, entre des adeptes du supportérisme bon enfant et une frange de jeunes plus dure, qui pense que ça ne va pas assez vite », explique une source dans Ouest-France.
Rien n’est dit des motifs politiques qui ont engendré la confrontation. Le club publie un communiqué officiel, s’engageant à « renforcer son dispositif de sécurité en étant très attentif aux comportements déviants et en appliquant le principe de la tolérance zéro ». Mais en tribune, d’après nos sources, rien n’a changé depuis. Le club n’avait pas porté plainte suite à l’agression. Et ses instances n’ont pas répondu à nos sollicitations.
« On observe une radicalisation des kops. Mais je ne veux pas faire de raccourcis généralistes », dit à Basta! le maire de Guingamp, Philippe Le Goff (PS). « Quelle est l’ampleur du phénomène ? Je ne saurais répondre. Des connaissances m’ont rapporté avoir entendu des propos racistes. En revanche, je ne sais rien des tensions qui ont entraîné les événements autour du match contre Amiens. »
L’émergence de ce hooliganisme d’extrême droite en Bretagne ne concerne pas seulement Rennes et Guingamp. À Brest, selon nos sources locales, quelques militants d’extrême droite tentent épisodiquement de noyauter des groupes de supporters ultras. Récemment, une éphémère « Section West », un sous-groupe d’ultras, comptait quelques hooligans d’extrême droite dans ses rangs. Ces tentatives d’implanter les idées d’extrême droite sont demeurées vaines pour le moment, grâce à la réaction de supporters antiracistes.