Indignons-nous est « plus large et plus rassembleur que les gilets jaunes », estime Charles*, qui fait partie de la cinquantaine de personnes mobilisées pour préparer le mouvement du 10 septembre au Havre, en Normandie. Une première AG s’est déroulée le 28 août dans la ville dirigée par l’ancien Premier ministre macroniste Édouard Philippe.
« J’ai trouvé cette première réunion très respectueuse, se réjouit le quinquagénaire. Ceux qui voulaient parler ont pu le faire. » Charles ne s’était, jusqu’ici, jamais vraiment impliqué dans un mouvement social. Il a juste participé à quelques manifestations dans sa jeunesse, a soutenu des ONG environnementales... Il dit se situer politiquement plutôt au centre, a « cru en Bayrou en 2007, puis en Macron en 2017 ». Ce qui « rend la déception encore plus dure » pour l’homme en pleine reconversion professionnelle. Aujourd’hui, il trouve qu’« il y a un déni de démocratie structurelle et pas seulement depuis Macron. On consulte le peuple pour les élections, puis après on s’en arrange ».
Le mouvement est né d’un appel à « Tout bloquer » le 10 septembre en réaction au plan d’économies du gouvernement Bayrou. Il attire des profils politiques variés. Contrairement à Charles, Camille*, 45 ans, milite depuis plus de vingt ans, depuis que l’extrême droite – avec la candidature de Jean-Marie Le Pen – a été pour la première fois qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle en 2002. Elle a multiplié les engagements : défense des personnes étrangères et racisées, mobilisations écologistes, pour l’accès à la culture...
« Choquée par ce que fait le gouvernement »
Elle n’a pas hésité à prendre la parole à la réunion du Havre, et à y partager ses idées. « Ça fait longtemps que je suis choquée par ce que fait le gouvernement », témoigne-t-elle. Employée dans l’industrie, elle avait déjà rejoint des collectifs en soutien à la Zad de Notre-Dame-des-Landes, des associations de quartier, en passant par les actions des Déboulonneurs de publicités. Mais elle ne s’est pas impliquée avec les gilets jaunes : « Je défends le vélo, alors demander plus de pouvoir d’achat en insistant sur le prix du gasoil, très peu pour moi ».
Aymeric, la trentaine, dit de son côté s’être politisé lors des dernières élections législatives, l’an dernier, après la dissolution. Pour lui, le capitalisme est « nocif ». Sympathisant « communiste libertaire », il se dit prêt à « s’engager dans un mouvement social de longue haleine pour renforcer la gauche. Un changement de République est impératif, appuie le jeune homme. Pour la fin du présidentialisme, une démocratie plus directe et locale, une limitation des privilèges des élus. »
Charles, qui s’estime « pragmatique et modéré », plaide lui plutôt en faveur d’une réforme fiscale, pour un partage des impôts plus juste entre entreprises, ultra-riches et retraités. Il dénonce la baisse de l’imposition des multinationales, les écarts de rémunérations disproportionnés et fait bien la distinction entre grandes entreprises et PME, « dont certaines survivent à peine ».
« Si ça tourne à un truc crado, je me casse »
« Si on ne bouge pas, on ne peut pas se plaindre », ajoute l’homme. À la première réunion du Havre d’Indignons-nous, des pistes d’action ont émergé : créer des pôles thématiques, investir l’espace public, adopter des mots d’ordre positifs, envisager des blocages économiques en lien avec les syndicats locaux.
Le 10 septembre, le mouvement prévoit au Havre le blocage d’un pont, une manifestation et une nouvelle assemblée citoyenne pour décider des suites. Pour Camille, la militante expérimentée, une structuration rapide est indispensable pour rendre le groupe opérationnel. Il s’agit de « pousser les choses et voir où cela mène », dit-elle. Mais « si dans un mois, ça tourne à un truc crado, je me casse », ajoute la femme. Elle redoute, comme d’autres, une récupération du mouvement par le Rassemblement national. Pour l’instant, elle est plutôt rassurée et ravie que le groupe Indignons-nous sur Telegram compte plus de 150 Havrais et Havraises.
L’ambiance est pour le moment apaisée. Mais « si je m’aperçois que 80 % des citoyens s’opposent à nous, je reculerai, assure de son côté Aymeric. Je refuse toute forme de violence. Et il faut prendre soin de sa santé mentale pour poursuivre la lutte sereinement. »
*Les prénoms ont été modifiés.