Un répit salutaire mais sans majorité pour le Front populaire

par Ivan du Roy

Déjouant les pronostics, la coalition de gauche est arrivée en tête du second tour des élections législatives. L’extrême droite, donnée première par les sondages, termine troisième. Un répit que la gauche et la société civile devront mettre à profit.

L’extrême droite n’accédera pas au pouvoir. Pas cette fois. Le front républicain a fonctionné, malgré les hésitations des responsables macronistes et centristes, malgré les caricatures appliquées à la coalition de gauche du Nouveau Front populaire dénigré en nouvel ennemi « extrémiste » par une partie des commentateurs de droite habitués des plateaux télés (Christophe Barbier, Caroline Fourest, le politologue Pascal Perrineau, la journaliste Ruth Elkrief ou les chroniqueurs du Figaro). Déjouant les pronostics, les gauches arrivent première en nombre de sièges, avec 195 élus – dont 71 pour La France insoumise (LFI), 64 pour le Parti socialiste (PS), 33 pour les écologistes (EELV), 9 pour le Parti communiste français (PCF), 16 divers gauche (dont des élus exclus de LFI). Ensemble et ses alliés de centre-droit obtiennent 168 sièges, le bloc d’extrême droite 143 élus (126 pour le Rassemblement national, 17 pour ses alliés) et la droite LR et alliés 67.

L’électorat de gauche à massivement fait barrage à l’extrême droite, y compris lorsqu’il fallait voter pour un.e candidat.e macroniste ou de droite – à chaque fois, en moyenne, plus de 70 % des électeurs de gauche se sont reportés au second tour sur un candidat Renaissance ou LR face au RN (selon l’enquête de l’institut Ispos réalisée pour Le Parisien). L’inverse est un peu moins vrai : à peine la moitié de l’électorat macroniste a voté à gauche pour faire barrage à l’extrême droite – et encore moins (43%) s’il s’agissait de voter pour un.e candidat.e LFI – et seulement un quart de l’électorat de droite « classique », le reste préférant l’extrême droite ou s’abstenir.

Mise en lumière de la dangerosité du RN

L’attitude responsable des électeurs et électrices de gauche et la mobilisation de la société civile contre l’extrême droite ont donc payé : alors que le RN et ses alliés étaient présents au second tour dans 451 circonscriptions, il a perdu dans 308 cas. La campagne de l’entre-deux tours a aussi marqué un frein à la banalisation du RN et à celles et ceux qui prétendent que ce parti qui s’est construit en unissant les anciens et nouveaux courants d’extrême droite (des héritiers du pétainisme aux suprémacistes blancs, en passant par les catholiques intégristes et les néo-fascistes) était devenu « républicain ».

Le travail de plusieurs médias indépendants et du service public de l’information locale (France 3, France-Bleu…) a révélé que plus d’une centaine de candidats du RN avaient des profils très problématiques : déclarations racistes ou antisémites, admiration pour le 3e Reich, postures pro-Poutine ou complotistes, homophobie... Si certains d’entre-eux ont quand même été élus, cette mise en lumière – ainsi que la controverse sur les binationaux et la multiplication des actes et menaces racistes – a contribué à montrer, pour qui en doutait, la dangerosité du RN. À gauche, le candidat (LFI) qui avait tenu des propos antisémites sur la plateforme X il y a quelques années, s’était vu immédiatement retirer son investiture.

Et maintenant ? Aucun des trois blocs à l’Assemblée nationale ne dispose, seul, de majorité. Le premier parti à l’Assemblée reste le RN, qui poursuit sa progression en nombre de sièges (+ 27 élus par rapport à 2022). Le second parti est encore, malgré la défaite du camp présidentiel (- 79 élus), Renaissance avec 98 députés. Quelle carte jouera Emmanuel Macron dans son choix de Premier ministre ? Il a pour le moment demandé à son Premier ministre, Gabriel Attal, de rester en poste. La perspective qu’il tente de gouverner en s’appuyant sur un bloc du centre et de la droite – qui irait de Renaissance à LR (entre 230 et 250 députés avec les LR alliés au RN) – n’est pas exclue. Ni qu’il tente, en gouvernant « par projet » (de loi) de fracturer la gauche et d’aller chercher soutien ou abstention bienveillante vers tel ou tel bloc.

Car la victoire en sièges du Nouveau Front populaire, si elle est très salutaire, demeure relative, et ne constitue qu’un répit. « Il y a quatre semaines, nous étions dans le chagrin au bord du ravin, nous avions une gauche en miettes », a rappelé François Ruffin, réélu de justesse dans la Somme. Et si « l’espoir renaît », « attention aux illusions », prévient-il : « Les électeurs nous laissent une dernière chance pour la France. »

Le Nouveau Front populaire revendique, logiquement en tant que première coalition, la prérogative de constituer un gouvernement afin de mettre en œuvre leur programme. Les quatre partis qui le composent (LFI, PS, EELV, PCF) semblent pour le moment garder ce cap. Marine Tondelier, pour les écologistes, souhaite que ce ou cette Première ministre soit une figure qui « apaise et répare le pays », qu’elle aie « compétence et expérience » et, surtout, qu’elle soit « alignée sur le programme », pour éviter des profils qui susciteraient davantage de rejet que de sympathie, à l’image de Jean-Luc Mélenchon.

Quelle politique alternative sans majorité ?

Problème pour la gauche : si l’abrogation de plusieurs lois macronistes jugées iniques, comme la réforme des retraites, peut se prendre par décret, il sera très compliqué, sans majorité, de proposer des projets de lois plus ambitieux en terme de justice sociale et environnementale.

Renaissance demeure le parti pivot : aucun amendement, aucune loi ne pourront être votées sans rallier une partie des élus centristes ou libéraux. Des projets de loi pourraient, peut-être, obtenir certains appuis « humanistes » au centre ou à droite, sans être vidés de leur contenu : pour lutter contre les déserts médicaux, par exemple, lutter contre les inégalités entre femmes et hommes, ne plus tolérer les discriminations à l’embauche et au logement, ou garantir la pluralité de l’information et empêcher la concentration des médias entre quelques mains fortunées.

Mais quid d’une vraie réforme fiscale plus juste qui mettrait à contribution les très riches pour financer la reconstruction de services publics ? Quid de mesures sociales pour accompagner la transition écologique ? Etc. Ces grandes lois essentielles risquent d’être bloquées, ou vidées de leur sens si trop de concessions sont faites, voire de provoquer la chute du gouvernement si une motion de censure est votée.

Construire une alternative efficace contre les injustices tout en voulant apaiser le climat actuel sera donc extrêmement compliqué. Et périlleux : car si tout demeure bloqué, si le sentiment est donné que rien ne change, que les horizons ne s’ouvrent pas, si les divisions et déchirements de la gauche refont surface, l’extrême droite est plus que jamais en embuscade.

Ivan du Roy

En photo : Dans la soirée du 7 juillet, Place de la République à Paris, plusieurs milliers de personnes célèbrent les résultats du Nouveau front populaire aux législatives. © Mary Lou Mauricio / Hans Lucas.