Action anti-jets privés : des activistes d’Attac et XR à la barre

ÉcologieClimat

Treize activistes ont été jugées pour une action de désobéissance civile contre les jets privés. Au-delà des faits reprochés, le procès soulève une question : celle de la légitimité de mener des actions illégales face à l’urgence climatique.

par Agathe Di Lenardo

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La 16e chambre du tribunal judiciaire de Bobigny a pris des allures d’amphithéâtre ce vendredi 23 mai. Treize activistes du collectif Extinction Rebellion et de l’association Attac ont comparu pour des actes commis le 22 septembre 2023, lors d’une action de désobéissance civile contre les jets privés qui s’envolent de l’aéroport du Bourget, au nord de Paris. Une action contre laquelle le groupe Aéroports de Paris (ADP) a porté plainte. 2000 euros d’amende et une interdiction de paraître à l’aéroport du Bourget pendant deux ans ont été requis à l’encontre de chacune. Le jugement sera rendu le 20 juin prochain.

L’action du 22 septembre 2023 n’avait duré qu’une dizaine de minutes. Après s’être introduites illégalement dans l’enceinte de l’aéroport en ouvrant un grillage à la meuleuse, les militantes avaient planté deux arbustes fruitiers sur le tarmac pour « symboliser un futur désirable ». Quatre chefs d’accusation pèsent sur les prévenues : intrusion non autorisée en réunion sur zone aéroportuaire, dégradations en réunion, entrave à la circulation d’un aéronef et refus de se soumettre aux prélèvements biologiques.

Des activistes portent des banderoles devant le tribunal sur lesquelles ont peut notamment lire "non aux jets privés"
Avant l’audience, les activistes et leurs soutiens se sont rassemblés devant le tribunal.
© Agathe Di Lenardo

Les deux premiers rangs de la salle d’audience sont occupés par les activistes mis en examen. Des femmes, des hommes, des jeunes, des plus âgées — ils et elles ont entre 22 et 58 ans. Derrière, tous les sièges sont pris : plusieurs membres des collectifs sont venus afficher leur soutien. Certaines n’ont pas pu rester, car le procès, initialement prévu en octobre dernier puis reporté, a débuté avec quatre heures de retard à 17 heures, au lieu de 13 heures.

« On ne peut pas attendre les bras croisés »

L’avantage du renvoi, c’est que les juges ont pu « prendre conscience du dossier ». L’audience se déroule fluidement et dans le calme. D’abord, ce sont quelques unes des accusées qui prennent la parole. Il y a Lou Chesné, un peu déconcertée de se trouver devant le tribunal, puisqu’elle assure avoir seulement joué son rôle de porte-parole d’Attac lors de l’action. Inquiète de la répression, selon elle de plus en plus importante, des mouvements pour l’environnement et la justice sociale, elle tente de convaincre les juges de la nécessité de la désobéissance civile : « On a tout essayé, les manifs, les tracts, les pétitions. En vain. On ne peut pas attendre les bras croisés qu’une poignée d’ultrariches dilapide notre stock de C02 commun. C’est notre dernier recours. »

Le plus âgé des prévenues la succède à la barre. « C’est important de faire preuve de solidarité avec les plus jeunes », estime-t-il. « Je suis là pour mes enfants, j’ai peur pour eux », complète un troisième prévenu. À la maison, la famille de ce dernier fait des efforts pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. « Mais c’est difficile de leur faire tout accepter alors qu’une personne dans son jet, en une heure, va produire plus de CO2 que nous trois en une année. »

« Une heure de jet, c’est deux tonnes de CO2, renchérit une des prévenues, soit ce que consomme une voiture en un an. » C’est aussi ce à quoi devrait se limiter une Française pour respecter l’Accord de Paris. Canicules, sécheresses, inondations… La militante rappelle que les conséquences du changement climatique sont déjà visibles. « L’été prochain, ma grand-mère va-t-elle être la prochaine sur la liste des personnes mortes de la chaleur ? s’inquiète un dernier accusé. Avec les actions de désobéissance civile, on parle enfin des sujets environnementaux dans les médias », conclut-il.

« Lutter contre un jet, c’est lutter contre les inégalités »

Avant que l’avocat du groupe Aéroports de Paris ne puisse plaider, la défense fait comparaître trois témoins. Julie Deshayes, océanographe et directrice du CNRS, commence par distribuer à chaque membre de la cour un schéma pour illustrer ses propos. Les juges ont alors droit à un véritable cours magistral, très pédagogique, sur le climat. En résumé : le changement climatique tue, et la solution, c’est de réduire nos émissions de CO2. « Mais qu’en est-il des changements naturels liés aux périodes glaciaires ? » interroge l’une des magistrates... Avec bienveillance, l’experte lui répond, que non, le changement climatique n’est pas naturel, mais bien la conséquence de nos modes de vie.

Le journaliste Hervé Kempf, auteur de Comment les riches ravagent la planète (Seuil, 2024) et co-fondateur de Reporterre, prend le relais en insistant sur la nécessité de s’attaquer aux jets privés, tandis que Graeme Hayes, sociologue britannique (auteur du livre La désobéissance civile) rappelle l’importance de la désobéissance civile en démocratie. Ainsi, aux Pays-Bas, des centaines d’activistes s’étaient rassemblées en 2022 sur le tarmac de l’aéroport Amsterdam-Schiphol. Depuis, ce dernier a annoncé l’interdiction prochaine des vols de nuit et des jets privés.

« Lutter contre un jet, c’est lutter contre les inégalités », défend Hervé Kempf. Il précise que les jets privés sont utilisés par seulement 0,003 % de la population, et qu’ils ont libérés près de 16 millions de tonnes de CO2 en 2023. « Et ces émissions ne cessent d’augmenter d’année en année », assure-t-il. Pour lui, il est clair qu’il faut stopper ces « criminels climatiques ».

« Ne pas faire perdre plus de temps »

De son côté, l’avocat de la partie civile ne compte pas « faire perdre plus de temps en parlant de l’urgence climatique », mais rappelle que l’action militante aurait pu être dangereuse. Pour la dégradation, il demande seulement un euro symbolique, pour « éviter toute polémique inutile ».

La procureure est du même avis. « On n’est pas dans un amphithéâtre mais dans un tribunal, rappelle-t-elle, et ces actions sont répréhensibles. » Pour elle, les motifs de l’action sont louables, mais les moyens utilisés contraires à la loi.

« En condamnant tout le monde de la même façon, vous prenez le risque de condamner de simples manifestants, répond un des avocats de la défense. Tout cela ressemble à un procès politique ! » accuse-t-il. Il plaide la relaxe pour l’ensemble des activistes, en invoquant l’absence de matérialité des faits, le droit à la liberté d’expression et l’état de nécessité face à l’urgence climatique. En cas de condamnation, il annonce qu’il fera appel.

Si Extinction Rebellion enchaîne les procès depuis plusieurs années, l’association Attac est moins familière des tribunaux : « On réfléchit à s’adapter, soupire Lou Chesné. À faire des actions hautement symboliques, mais qui ne sont pas juridiquement répréhensibles. » En 2022, des activistes d’Attac et d’Extinction Rebellion avaient déjà bloqué l’accès à un terminal de l’aéroport du Bourget pendant près de deux heures. Onze personnes avaient été condamnées en 2023 par le tribunal de Bobigny à des amendes allant de 300 à 500 euros. Elles avaient fait appel et attendent toujours une date pour ce nouveau procès.