Référendum

Avec le Conseil constitutionnel, RIP la réforme des retraites ?

Référendum

par Maÿlis Dudouet

Vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel rendra son avis sur la constitutionnalité de la loi de réforme des retraites et sur la recevabilité d’une demande de référendum d’initiative partagée pour garantir la retraite à 62 ans. Explications.

Vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la réforme des retraites, dont sa mesure-phare de recul de l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans. Il a seulement rejeté six mesures mineures, dont l’« index seniors » et le « CDI seniors », considérées comme n’ayant pas leur place dans une loi de financement de la Sécurité sociale.

Le Conseil constitutionnel a aussi retoqué la demande de référendum d’initiative partagée (RIP) de la gauche pour limiter à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite . Les juges ont estimé que cette proposition ne constituait pas une « réforme » puisque la loi repoussant l’âge de départ n’était pas encore en vigueur.

Mais une nouvelle demande de RIP visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans a été déposée le 13 avril. Le Conseil constitutionnel se prononcera sur cette seconde demande de RIP le 3 mai.


 Qui a saisi le Conseil constitutionnel ?
 Sur quelle base le Conseil pourrait-il censurer la loi ?
 Une loi invalidée par le Conseil constitutionnel peut-elle revenir au Parlement ?
 Le Conseil constitutionnel est-il impartial ?
 Quelles loi emblématiques ont été invalidées par le Conseil constitutionnel par le passé ?
 Quelles conditions doit remplir le référendum d’initiative partagée pour être validé par le Conseil constitutionnel ?
 Un référendum d’initiative partagée pourrait-il bloquer la réforme des retraites ?
 Un référendum d’initiative partagée a-t-il déjà abouti ?

Leur rôle est de contrôler la conformité des lois à la Constitution. Les neuf membres du Conseil constitutionnel, nommés pour neuf ans, se retrouvent aujourd’hui au cœur de l’actualité politique. Ils doivent se prononcer ce vendredi 14 avril au sujet de la constitutionnalité du texte de la réforme des retraites intégré au projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Le texte a été adopté lundi 20 mars par l’Assemblée nationale, sans vote, après recours à l’article 49-3. Mais il pourrait encore être censuré par les « Sages » du Conseil constitutionnel.

Le jour de l’adoption du texte, une tout autre proposition de loi comprenant un seul article est déposée par 252 élues issues de la gauche. C’est une demande de référendum d’initiative partagée (RIP). Le texte réclame que « l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au‑delà de 62 ans ». Il a aussi été transmis au Conseil constitutionnel, qui rendra également sa décision au sujet de la validité de cette « initiative référendaire » demain.

Qui a saisi le Conseil constitutionnel ?

Ce ne sont pas les élus d’opposition qui ont saisi en premier le Conseil, mais la Première ministre Élisabeth Borne, par le biais de la secrétaire générale du gouvernement Claire Landais. C’est ce qu’on appelle une saisine blanche. Saisir le Conseil « est un droit constitutionnel qui appartient à la Première ministre, au président de la République, au président du Sénat, à la présidente de l’Assemblée nationale et à un regroupement d’au moins 60 parlementaires », explique le professeur de droit Paul Cassia.

En précédant les trois autres saisines des groupes d’opposition parlementaires [1], Élisabeth Borne devance les détracteurs du texte de loi. « Il n’y a pas de signification particulière si ce n’est que c’est politique. C’était pour dire “je n’ai pas peur que le Conseil se prononce sur la réforme” », observe Paul Cassia.

Sur quelle base le Conseil pourrait-il censurer la loi ?

Dans leurs différents recours adressés au Conseil constitutionnel, les sénateurs de gauche ainsi que les députés RN et de la Nupes évoquent un « véhicule législatif inapproprié ». La réforme des retraites aurait été déguisée dans un texte de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, dont l’objectif initial est de déterminer « les conditions générales de l’équilibre financier » de la Sécurité sociale et de « fixer ses objectifs de dépenses », selon l’article 34 de la Constitution.

« Il est même tout à fait inédit qu’une réforme sociale d’envergure ou majeure emprunte la voie d’un texte financier. En effet, ce type de véhicule législatif n’a pas été prévu pour accueillir une telle réforme », relèvent les sénateurs de gauche dans leur courrier de saisine.

Cet argumentaire fait écho à une tribune publiée le 6 avril dans le journal Le Monde par 65 enseignants-chercheurs en droit social. Ces derniers qualifient la procédure de « violation de la Constitution » par le gouvernement. « Si l’article 49 alinéa 3 a pu être utilisé à propos de la loi sur les retraites et si le débat parlementaire a pu être à ce point tronqué, c’est seulement parce que la loi sur les retraites s’intitule loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023. Or ce titre est un faux-semblant », dénoncent ses auteurs.

Parmi les signataires, Emmanuel Dockès, professeur en droit social à l’université de Lyon-2, explique que « la loi dans sa quasi-totalité concerne les retraites, globalement ce n’est pas une loi de financement ». Pour l’enseignant-chercheur, il y a donc un « vice de procédure ». Cette lecture pourrait entraîner la censure du texte dans son entièreté.

D’autres arguments existent en faveur d’une censure partielle du texte par le Conseil constitutionnel. Pour la juriste et professeur de droit public à l’université Paris-Nanterre Véronique Champeil-Desplats, si « aucun des mécanismes utilisés en tant que tels n’est inconstitutionnel, c’est le contexte et leur accumulation qui plaident à ce qu’il y ait eu atteinte à la sincérité des débats, voire abus de procédure de nature à écourter les débats parlementaires ».

En recourant dès janvier à l’article 47-1 de la Constitution, le gouvernement a appliqué une procédure accélérée, limitant de fait le temps des débats parlementaires à 50 jours. Il a ensuite appliqué en mars l’article 49-3 de la Constitution qui permet d’adopter un projet de loi sauf motion de censure déposée dans les 24 heures. Les deux motions de censure déposées par les oppositions le 20 mars ont été rejetées, la seconde à 9 voix près. C’est ainsi que le texte sur la réforme des retraites a finalement été adopté sans vote à l’Assemblée nationale.

Autre argument relevé par de nombreux constitutionnalistes, la question des « cavaliers sociaux », à savoir les dispositions présentes dans une loi de financement de la sécurité sociale, mais sans lien direct avec le financement de la Sécurité sociale. Dans la loi de réforme des retraites, cette qualification de cavalier social pourrait« s’appliquer à l’index senior et au contrat d’embauche spécifique, observe Véronique Champeil-Desplats. Le problème, c’est qu’il s’agit pour l’index sénior d’une mesure plutôt protectrice. Pour ceux qui plaident pour une censure, il pourrait y avoir un effet pervers en durcissant la loi dans le cas d’une censure partielle sur ce fondement. »

Une autre possibilité de censure porterait sur « le principe d’égalité », notamment lié à la pénibilité du travail des femmes. « On pourrait plaider que la loi n’a pas suffisamment différencié les situations des travailleurs et des types de métiers », explique la professeure en droit public.

Une pancarte "retour du refoulé démocratique" dans une manifestation contre la réforme des retraites
À Paris, le 6 avril 2023.
©Serge D’ignazio

Une loi invalidée par le Conseil constitutionnel peut-elle revenir au Parlement ?

D’après Emmanuel Dockès, si le Conseil constitutionnel invalide le projet de loi le 14 avril, « ça n’interdit pas de repasser par la procédure normale. Mais en pratique, le projet sera abandonné. Le gouvernement peut ensuite relancer une procédure législative normale en passant par une procédure lente, avec un résultat incertain. » C’est aussi l’analyse de Véronique Champeil-Desplats. « Le gouvernement doit tenir compte de la censure », souligne-t-elle.

Le Conseil constitutionnel est-il impartial ?

Le Conseil constitutionnel apparaît comme un rempart dans le processus de vérification de la conformité des lois à la Constitution. Mais il n’est pas totalement exempt de partialité, argumente dans son ouvrage La Constitution maltraitée la professeure de droit public et constitutionnel à la Sorbonne-Nouvelle Lauréline Fontaine. Les membres du Conseil sont avant tout « d’anciennes personnalités politiques ou liées au pouvoir politique », souligne Lauréline Fontaine.

Six des membres actuels du Conseil constitutionnel (sur neuf) ont été nommés sous la présidence d’Emmanuel Macron. « Juger la loi, c’est juger ce que la politique peut faire et ne pas faire, ajoute la chercheuse. Mais les membres du Conseil constitutionnel donnent les apparences de l’impartialité. Ils jugent des textes faits par d’anciens collègues, ou parfois des textes à propos desquels ils ont eux-mêmes eu un rôle ».

Parmi les membres du Conseil constitutionnel, trois profils interpellent plus que d’autres. C’est le cas de Jacqueline Gourault. Elle a été ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales entre 2018 et 2022, dans les gouvernements d’Édouard Philippe et de Jean Castex, sous le premier mandat d’Emmanuel Macron.

À cette position, elle a « porté le projet de réforme des retraites de 2019 d’Emmanuel Macron auprès des territoires en 2019 », alerte Lauréline Fontaine [2] . On peut donc douter de son impartialité. La solution est qu’elle se déporte », qu’elle ne se prononce pas sur ce texte.

Une autre personnalité controversée dans le cadre du jugement du projet de réforme des retraites est l’ancien Premier ministre Alain Juppé. En 1995, le Premier ministre de Jacques Chirac avait présenté son plan destiné à réformer les régimes spéciaux des retraites. Face à une contestation de grande ampleur, ce dernier sera abandonné. Ayant ainsi été impliqué « dans un conflit social relatif au même type de projet, certains peuvent dire qu’il peut parler en connaissance de cause. Oui, mais pas en juge », estime Lauréline Fontaine.

Enfin, la prise de parole en janvier dans Le Canard enchaîné [3] du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius (ancien ministre et Premier ministre socialiste), critiquant ouvertement la procédure choisie par le gouvernement, pose question pour la professeure de droit public. « Un président de juridiction ne peut pas présumer du sens de la décision du Conseil qu’il représente collégialement. C’est une intervention qui n’est pas conforme à la manière dont il rend la justice », s’alarme Lauréline Fontaine.

Quelles lois emblématiques ont été invalidées par le Conseil constitutionnel par le passé ?

Depuis sa création en 1958, le Conseil constitutionnel passe son temps à valider ou invalider des textes de loi. « Il a rendu plus de 1000 décisions » observe Paul Cassia. Parmi les décisions majeures de son histoire, il y a l’invalidation du 16 juillet 1971 à propos de la liberté d’association. « Le Conseil a invalidé toute la loi, ça a considérablement renforcé son rôle », explique le professeur de droit.

Dans son livre La Constitution maltraitée, Lauréline Fontaine précise qu’en censurant une loi « modifiant les conditions d’exercice de la liberté d’association, en se fondant non pas sur la répartition des compétences entre le Parlement et le pouvoir exécutif, mais sur une conception de la liberté d’association dont il revendique le caractère constitutionnel, grâce au préambule de la Constitution. (...) le contrôle de constitutionnalité comme garantie des droits et libertés était né. »

Quelles conditions doit remplir le référendum d’initiative partagée pour être validé par le Conseil constitutionnel ?

Le référendum d’initiative partagée (RIP) est rendu possible par l’article 11 de la Constitution depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Pour être validée par le Conseil constitutionnel, une demande de RIP doit soumettre un texte portant « sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Cette proposition de loi doit obéir à deux conditions, à savoir : « ne pas avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an », ni «  porter sur un sujet rejeté par référendum il y a moins de deux ans ».

Une fois ces éléments respectés, et si le Conseil constitutionnel valide la recevabilité du texte proposé pour RIP, il s’ensuit alors une période de neuf mois durant laquelle les défenseurs du RIP devront récolter un minimum de 4,8 millions de signatures, soit au moins 10 % du corps électoral. Ensuite, une fois la validité des signatures vérifiée, le Parlement bénéficie d’une période de six mois pour examiner la proposition de loi. S’il ne le fait pas, le président « soumet le texte à un référendum », est-il écrit dans la Constitution.

Mais doit-il vraiment le faire ? « En droit constitutionnel, il y a un débat sur le fait de savoir si le présent indicatif a valeur d’obligation » explique Véronique Champeil-Desplats. Jusqu’à présent, le présent de l’indicatif a plutôt été interprété comme une faculté et pas comme une obligation, analyse la constitutionnaliste.

L’ensemble des conditions du référendum d’initiative partagée sont « fantastiquement restrictives » selon Emmanuel Dockès. « On pourrait dire de façon un peu cynique que la lourdeur de cette procédure a été faite pour qu’elle n’aboutisse jamais », observe Véronique Champeil-Desplats.

Une pancarte "49.3 le trauma" dans une manifestation contre la réforme des retraites
À Paris, le 6 avril 2023.
©Serge D’ignazio

Un référendum d’initiative partagée pourrait-il bloquer la réforme des retraites ?

La proposition de loi soumise par une demande de référendum d’initiative partagée est une procédure totalement distincte du projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale, dans lequel est aujourd’hui inscrit le projet de réforme des retraites.

Une fois les deux avis rendus par le Conseil constitutionnel le 14 avril, sur la réforme des retraites et sur la validité de la demande de référendum, quelle que soit la décision du Conseil, le RIP ne « bloquera pas » directement le projet de réforme des retraites à proprement parler, explique Véronique Champeil-Desplats. Seul le Conseil constitutionnel a la possibilité de censurer tout ou partie du projet de loi du gouvernement.

« En revanche, si le RIP est adopté dans un an et demi, il vient à l’encontre de la loi adoptée et aura pour conséquence d’abroger la loi sur la question de l’âge de 64 ans, ajoute la professeur de l’université de Nanterre. Dans son article unique, la disposition sur le RIP indique seulement que « l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au‑delà de 62 ans ».

« En principe, la loi postérieure prévaut sur la loi antérieure analyse Véronique Champeil-Desplats. Mais il y a une telle instabilité du contexte politique, un tel rapport de force que ce qui pouvait paraître clair en période de consensus politique le devient moins. Nous vivons une période d’incertitude y compris dans la compréhension des termes juridiques les plus habituels. »

Un référendum d’initiative partagée a-t-il déjà abouti ?

Sur trois propositions de RIP précédentes, seule la première avait été validée en 2019 par le Conseil constitutionnel,. Il s’agit du refus de la privatisation de la société Aéroports de Paris (ADP). Mais avec 1,1 million de signatures obtenues contre les 4,7 millions alors requis, le RIP ne peut aboutir. Le projet de privatisation a finalement été suspendu en raison de la pandémie de coronavirus.

Deux autres propositions de RIP ont été enregistrées entre-temps : l’une concernant la garantie d’accès du service public hospitalier, l’autre concernant la taxation sur les bénéfices des grandes entreprises. « Le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions ne rentraient pas dans les champs du RIP », relève Véronique Champeil-Desplats. En définitive, aucun référendum d’initiative partagée n’a directement abouti à l’annulation d’une loi. Du moins pas encore.

Maÿlis Dudouet

Photo en une : Le siège du Conseil constitutionnel/©Nathalie Quiroga