Fermeture du Hard Rock Café : l’arrière-cuisine peu reluisante d’un restaurant culte

par Guy Pichard

Dernier lieu de la franchise en France, l’emblématique Hard Rock Café parisien vient de fermer, mettant une centaine de salariés au chômage. Plusieurs employés témoignent d’irrégularités et de mauvaises conditions de travail ces dernières années.

Si le rock n’est pas (encore) mort, la licence de restaurants qui voulait l’incarner a fermé son dernier établissement français, à Paris le 18 novembre dernier, après ceux de Marseille, Nice et Lyon. « Les conditions de travail s’étaient détériorées, heureusement que le restaurant est fermé, dit presque soulagé Sané, cuisinier depuis 22 ans dans l’établissement et délégué syndical. Nous n’étions plus assez de personnel pour satisfaire les clients, c’était parfois catastrophique. Ces derniers mois, nous voulions appeler les journalistes pour dénoncer les conditions de travail. »

Des journalistes, les employés et les ultimes clients en ont vus passer quelques uns lors de lors la dernière soirée de l’établissement. Mais la presse a finalement peu relayé la dégradation générale des conditions de travail sur place. Selon les employés rencontrés par Basta!, le restaurant situé dans le XIe arrondissement de Paris connaissait des heures difficiles depuis 2020 environ, avec une ambiance en interne aux antipodes de l’esprit festif que la marque souhaitait véhiculer.

« Les conditions de travail y étaient catastrophiques et délétères, insiste Zineb Belambri, secrétaire générale du syndicat CFDT Hôtellerie-tourisme-restauration d’Île-de-France. Elle juge malgré tout Cette fermeture « regrettable, d’autant qu’ils ont beaucoup été aidés financièrement par l’État pendant le Covid-19. Où est passé tout cet argent ? »

Le coup d’arrêt du Covid

C’est en 1971 que sort de terre le premier établissement Hard Rock Café, à Londres. L’internationalisation arrive vite avec l’ouverture de restaurants dans différents pays. La recette est toujours la même : des menus américanisés, une ambiance qui mise sur le rock n’roll et un marketing bien huilé avec des ventes de produits dérivés. Avant les années 2000, la marque Hard Rock Café connait un plein succès. Aujourd’hui encore, le groupe possède 167 restaurants, hôtels et casinos au niveau mondial.

À Paris, le premier Hard Rock Café ouvre en 1991. Il réalise encore 11,75 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2018 et 11,99 millions en 2019. « Au bout de dix ans d’ancienneté, un salarié recevait une montre Rolex. La plupart des membres de notre section là-bas en ont tous deux ! », révèle Zineb Belambri, de la CFDT. Très bling-bling, l’anecdote illustre la réussite de la franchise en France, quand elle parvenait à attirer des touristes souvent étrangers. Le Covid a fragilisé les établissements du groupe en France. Ceux de Nice et Lyon ont respectivement fermé en septembre 2023 et février 2024. La nouvelle stratégie des propriétaires leur a donné un coup fatal.

Rachat en 2007

17 ans plus tôt, en 2007, le groupe Hard Rock International est racheté par la tribu indienne séminole originaire de Floride. Comme toutes les réserves indiennes aux États-Unis, le territoire des Séminoles jouit d’avantages fiscaux et juridiques, une situation idéale pour prospérer dans les jeux d’argent et l’hôtellerie.

L'enseigne lumineuse du Hard Rock Café dans la nuit vue du dessous
©Guy Pichard

Le groupe Séminole Gambling/Hard Rock n’est pas coté en bourse, il n’existe pas d’information financière publique sur ses activités, sauf pour ses filiales européennes. Le rachat de la marque Hard Rock Café par la tribu Séminole est sa première acquisition à l’international. « C’est un tournant de l’entreprise car leur métier principal reste le casino en ligne », souligne Jean-Michel* [1], l’un des anciens managers du restaurant situé à Paris. Cet achat s’est fait pour le nom Hard Rock Café, les nouveaux propriétaires avaient besoin d’une marque connue. Lors d’une visioconférence avec nos équipes, l’un des PDG a déclaré ouvertement que la stratégie allait changer dès 2020 et que les restaurants allaient fermer, pour se concentrer sur les casinos et les hôtels. »

À l’heure du confinement du printemps 2020, le Hard Rock Café parisien du boulevard Montmartre se lance comme beaucoup de tables parisiennes dans la vente à emporter, mais sans succès. « Pendant le Covid, beaucoup de marchandises ont été déclarées comme périmées mais ont été utilisées malgré tout, dénonce Jean-Michel. Les produits surgelés périmés ont été distribués au personnel mais les produits secs dépassaient complètement et ont été commercialisés. »

Management brutal

Avec des photos pour preuves, (que Basta! a pu consulter), le manager alerte alors les services de l’État. Les inspecteurs de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) se rendent sur place. De plus, du travail dissimulé a semble-t-il eu lieu, selon l’avocate de plusieurs ex-employés : « L’entreprise a touché les aides au chômage partiel malgré le fait d’avoir fait travailler ses managers, j’ai les preuves de cela notamment des textos et des mails », dit-elle.

La réouverture progressive des restaurants en France après la première vague de Covid est poussive au Hard Rock Café de Paris, car la clientèle étrangère est encore rare. Des changements de direction et une grève pour une hausse des salaires en 2022, couplés à une baisse de fréquentation, scelle peu à peu le sort de l’établissement, qui est laissé à l’abandon par le groupe. « J’ai reçu des photos et des vidéos de fuites d’eau importantes, témoigne Zineb Belambri, de la CFDT. Les conditions de travail étaient catastrophiques, la faute notamment à un manque d’investissement dans les locaux comme les cuisines. »

Avertissements et licenciements

Chaque employé voit aussi aussi sa charge de travail gonfler, souvent au-delà de ses obligations contractuelles. « Un serveur qui avait quatre à cinq tables à gérer en avaient le double soudainement, dit l’ancien manager Jean-Michel. La directrice arrivée pendant cette période a battu des records d’avertissements et de licenciements, elle a réussi à éliminer de la masse salariale. » Actuellement, plusieurs ex-employés sont en litige avec le groupe Hard Rock devant le conseil des Prud’hommes. Il est difficile de rentrer en contact avec eux, un témoignage dans la presse pouvant interférer dans les procédures judiciaires.

« Encore aujourd’hui j’ai reçu un mail d’un membre du Comité économique et social qui a été viré comme un malpropre, explique l’avocate qui souhaite rester anonyme. Certains employés ont signé une clause pour ne pas dénigrer Hard Rock. Un autre de mes clients a fait un burn-out après son licenciement car il a été poussé à la démission violemment. » Pendant notre enquête, un gardien de nuit a contacté Basta! pour faire part de sa volonté d’attaquer le groupe en justice avec quelques collègues. Ils disent avoir travaillé plus de vingt ans de nuit sans être payés au tarif de cette tranche horaire.

Menaces de fermetures en série dans la restauration

Le 11 septembre 2024, le couperet tombe : le Hard Rock Café de Paris doit baisser le rideau d’ici la fin de l’année. « Cela a été une grande surprise pour nous mais on comprend la direction car l’économie n’y était plus, témoigne Sané, ancien cuisinier des lieux. C’est dommage qu’ils n’aient pas averti les employés plus tôt », ajoute-t-il. Le groupe Hard Rock se calque alors sur la fermeture du restaurant de Nice de 2023, où, en l’absence de CSE, les salariés n’avaient pas obtenu d’indemnités au-dessus des seules obligations légales ni de dispositifs de formation.

Alertée par ses syndiqués au sein de l’entreprise, la CFDT de la restauration mobilise alors un expert pour obtenir des chiffres précis sur la santé financière du restaurant, une assistance juridique. Le syndicat supervise les discussions. Au final, les négociations progressent et l’enveloppe initiale allouée aux indemnités de départ des salariés de Paris est triplée. Le groupe cède notamment 2,5 millions d’euros en plus des indemnités légales.

Une coquette somme au premier abord. Mais la centaine d’ex-salariés démarre cette nouvelle année 2025 sans emploi dans un contexte économique difficile, alors que les plans de licenciements se multiplient. « Il va y avoir beaucoup de restructurations dans les prochains mois. C’est l’après-Covid, il faut rembourser les prêts garantis par l’État dont l’échéance est en 2025, prédit Zineb Belambri. Les gros groupes tels que Hard Rock Café n’ont pas investi dans les structures, qui sont donc devenues inexploitables. Ou alors ces entreprises font travailler leurs salariés dans des conditions catastrophiques. Elles préfèrent donc vendre après avoir dégraissé en masse », analyse la syndicaliste.

Contacté par Basta!, le groupe Hard Rock International n’a pas donné suite à notre demande. Mais la fermeture du restaurant parisien semble bien être un choix stratégique avant tout, la santé financière du groupe ayant été jugée « solide » par l’agence de notation Fitch en novembre 2023. En 2024, Hard Rock International a même fait l’acquisition du célèbre casino Mirage de Las Vegas pour... un milliard de dollars.

Notes

[1Le prénom a été modifié.