Le président de la SNCF, Guillaume Pépy, a répondu au nouveau rapport d’expertise, rendu public le 12 novembre, et dont Basta! avait relayé les principaux enseignements. Ses réponses sont plus que surprenantes alors que ce rapport soulève de graves questions sur la sécurité ferroviaire. Guillaume Pépy s’est exprimé lors de l’émission web de la SNCF animée par le journaliste Thomas Lequertier, officiant également sur I-Télé (voir la vidéo). « Il ne s’agit pas d’un nouveau rapport puisque celui-ci avait fuité déjà dans la presse il y a déjà une quinzaine de jours et il avait déjà été commenté , a d’abord réagi le président de la SNCF, mis en examen en tant que personne morale suite à l’accident. Un argument étonnant puisqu’il s’agit bel et bien d’un nouveau rapport : le 5e précisément depuis l’accident [1]. Le rapport avait été remis à la direction de l’entreprise ainsi qu’aux représentants du personnel, le 24 octobre. Contrairement à ce que suggère le président de la SNCF, il éclaire d’un jour nouveau l’accident de Brétigny. Et ébranle les beaux discours sur les bienfaits de la déréglementation et de la libéralisation.
Une expertise agréée
Second argument du dirigeant : il ne s’agirait pas d’un rapport d’expertise mais d’un « rapport des syndicats ». Une affirmation inexacte et surprenante de la part d’un grand patron, censé savoir de quoi il parle. Il s’agit bien, là-aussi, d’un rapport d’expertise réalisé selon les dispositions légales du code du travail par un cabinet d’expertise agréé. Le code du travail prévoit qu’en cas de risques graves, les représentants du personnel élus aux comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) puissent faire appel à des experts. Ceux-ci doivent éclairer les élus sur l’effectivité du danger et les facteurs potentiels de risque, de façon à favoriser la prévention des risques professionnels. Une telle mission ne s’improvise pas. Pour la réaliser, ces experts doivent disposer d’un agrément délivré par le ministère du Travail. N’est donc pas expert qui veut, ni qui les syndicats veulent.
L’auteur du rapport, le cabinet Apteis, est ainsi agréé par le ministère du Travail qui a également validé sa méthodologie d’intervention. Celle-ci est d’ailleurs rappelée, comme il se doit, dans le rapport. Guillaume Pépy ne peut donc l’ignorer. En déniant sa qualité d’expertise et en le qualifiant de simple « rapport des syndicats », l’effet recherché est-il d’en réduire la portée et d’en décrédibiliser le contenu auprès du grand public ? Le rapport d’Apteis a d’ailleurs été mis en ligne par la SNCF elle-même sur le site consacré à l’accident de Brétigny, accompagné des commentaires du président du CHSCT local [2].
Guillaume Pépy ne répond pas sur le fond
Sur le fond, Guillaume Pépy, dont on peut comprendre la prudence dans cette affaire, ne dit pas un mot. Quid de la banalisation de l’urgence, de la dégradation de la culture de sécurité, des dysfonctionnements de l’organisation ou de la dégradation continue de la qualité de la maintenance ? Il n’a qu’une seule remarque, sur les effectifs, rappelant que depuis 2010 un redressement est en cours – ce que le rapport d’expertise signale d’ailleurs très précisément. Mais il demeure silencieux sur la période de 2000 à 2010, alors que lui-même est directeur général exécutif du groupe depuis 2003 avant d’en devenir PDG en 2008.
La réaction du PDG ne semble pas partagée par la direction de l’établissement de Brétigny. Elle émet quelques réserves, pointe quelques désaccords ou différences d’appréciation sur le rapport. Mais le ton y est très différent. De façon très significative, le directeur de l’établissement, qui préside le CHSCT, achève son exposé par une proposition faite à l’expert de revenir dans un an pour un « bilan d’étape » afin d’observer « la mise en place et l’efficacité des recommandations qui auront été retenues par l’établissement ».
Obsession concurrentielle
L’entretien de Guillaume Pépy avec le journaliste d’I-télé qui l’interroge pour la SNCF s’achève par un échange édifiant autour de la réforme ferroviaire. A ce dernier qui lui lance : « Vous le disiez tout à l’heure, la réforme ferroviaire, c’était peut-être aussi pour empêcher un Brétigny 2. C’est une réalité, ça aussi », le grand patron répond : « Oui. Ce que ce rapport critique, c’est l’organisation ancienne du système ferroviaire. Aujourd’hui il y a une organisation nouvelle dont l’objectif est justement d’améliorer les choses. » Le message est clair : la réforme ferroviaire résoudra tous les problèmes du transport ferroviaire !
Une communication qui rappelle l’argumentaire de la Commission européenne qui, alors que ses choix de libéralisation sont contestés du fait de leurs effets négatifs (hausse des prix, dégradation du service, inégalités d’accès, diminution des investissements...), répond systématiquement de façon idéologique en annonçant vouloir libéraliser davantage ! Cette obsession concurrentielle est pleinement appliquée dans son 4e paquet ferroviaire, comme le rappelait l’association Lasaire en novembre 2013. Et est transposée par le gouvernement français dès juin 2014, suscitant de vives réactions du côté syndical et un large mouvement de grève des cheminots, immédiatement discrédité sur les principales chaînes d’information télévisuelle. Nul doute, pourtant, qu’il va falloir rapidement rouvrir le débat !